J.-P. Sartre, Kean, IV, 2, (1954) adapté d'Alexandre Dumas
Publié le 17/01/2013
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Lecture analytique « Vous n'aimez que ce qui est faux « Introduction - En 1954, Jean-Paul Sartre, philosophe, romancier (Le mur, La nausée), auteur dramatique (Les Mouches, Huis clos, Les mains sales...) a repris en la modernisant une pièce d'Alexandre Dumas (Les Trois mousquetaires, Le Conte de Monte-Cristo) intitulée Kean. - Sous-titrée « désordre et génie «, ce drame, inspirée par l'acteur anglais Edmund Kean (1787-1833), est une réflexion romantique sur un destin d'acteur et sur l'hypocrisie de la société. - L'extrait proposé appartient à la fin de l'oeuvre, où l'acteur shakespearien quitte son rôle pour reprocher au public son goût pour l'artificiel. - Nous montrerons que la crise de folie de l'acteur qui joue Othello invite le spectateur à réfléchir sur le statut d'acteur. - Nous verrons dans un premier temps que ce texte utilise le théâtre dans le théâtre. Puis nous étudierons la révolte de l'acteur principal. Enfin, nous étudierons la notion de confusion dans cette scène. 1. Le théâtre dans le théâtre 1.1 Un acteur sur les planches - Tout le texte (l. 1 à 28) est une tirade. Kean s'adresse successivement à plusieurs personnages : Anna, Eléna, Le Prince de Galles et même au public. - Kean joue le rôle de Othello (didascalie l. 12), et fait référence aux autres personnages de la pièce de Shakespeare : « Desdémone « (l.5) et « Cassio « (l. 10). C'est du théâtre dans le théâtre. - Cet extrait retrace les incidents qui surviennent lors d'une représentation d'Othello de Shakespeare au début du XIXe siècle. 1.2 La repr&...
«
- On peut constater que le registre tragique, via l’orgueil, est au centre de cet extrait.
2.3 Le défi au public
- La violence verbale de Kean apparaît dans ses injures.
A deux reprises, il traite les spectateurs d’ « ? assassins » (l.
19).
Il ne
reconnaît en eux que des « gueules » (l.
19), terme familier.
- Kean manie à plusieurs reprises l’ironie : « Quel honneur » (l.
16).
Il prête au public des appréciations louangeuses : « Notre
grand Kean, notre cher Kean, notre Kean national » (l.
23-24) dont le rythme ternaire et la gradation soulignent la fausseté.
De plus, il oppose au « notre » prétendument consensuel, le « votre » méprisant et pitoyable dans « Eh bien le voilà, votre
Kean ! » (l.
24-25).
- Puis, dans le geste de l’acteur qui ôte son maquillage après son travail, Kean signifie qu’il met sa personne à nu, et le
souligne par sa déclaration : « Oui, voilà l’homme » (l.
26), qui est une référence directe au « Ecce Homo » de la Bible,
quand Jésus fut présenté devant les juifs.
3.
La confusion
3.1 Qui est l'acteur ?
- Dans cet extrait, Kean casse le « quatrième mur » en s’adressant directement au public, alors qu’il est sensé l’ignorer :
« Mesdames, messieurs » (l.
1, 6 et 17), « Madame » (l.
4), Monseigneur (l.
13).
- De même, les réactions du public sont écrites, les didascalies indiquent leur réactions : « rires » (l.
13), « sifflets » (l.
27) ce
qui signifie que des acteurs sont placés dans la salle.
- Le public joue un rôle commun, convenu, précisément au moment où Kean, est le plus sincère, où il ne joue pas.
3.2 L'aliénation la schizophrénie
- Le risque pour l’acteur est donc de dériver de sa personnalité propre vers le rôle qu’il interprète.
Hanté par son personnage,
le tragédien peut devenir un autre.
- Kean le jaloux devient peu à peu le furieux Othello.
La folie est d’être habité par un autre, si bien que l’acteur authentique
ne sait plus très bien qui il est.
- Kean se perd dans ce jeu de miroirs : il se voit comme « un acteur en train de jouer Kean dans le rôle d’Othello ».
3.3 La lucidité
- Agité par ses émotions, dépossédé de lui-même par le jeu, l’acteur n’en garde pas moins un reste de lucidité qui le fait
accéder au tragique de sa condition d’artiste (et d’homme) privé d’être.
- Après s’être démaquillé, l’acteur apparaît laid « Des traces livides apparaissent » (l.
24-25) et le public se remet à siffler (l.
27)
- Kean a compris que l’acteur est le produit d’une société.
Le public vient applaudir celui qui lui donne des simulacres
d’émotions.
Quand Kean bouleverse les codes et met au premier plan sa propre personnalité (sa jalousie) au détriment de
celle du personnage qu’il est censé interpréter (la jalousie d’Othello), il déclenche un tollé général.
Le public ne saurait
accepter d’être confronté à un vrai drame, à de vraies émotions.
La réponse de l’acteur est cinglante : « vous n’aimez que ce
qui est faux.
» (l.
27-28).
Conclusion
- Cette scène proche du dénouement insiste sur le coup de folie d’un acteur génial qui ne sait plus dominer ses émotions.
Les
lecteurs/spectateurs que nous sommes peuvent, grâce au miroir du théâtre en abyme, réfléchir aux interactions entre le
comédien et le public.
C’est aussi l’occasion d’examiner en détail les caractéristiques du texte théâtral et de sa force de
persuasion surtout lorsqu’il s’agit d’une scène pathétique.
Enfin il nous est possible de discerner dans cet acteur qui se révolte
et défie le public, les subtiles variations de Sartre sur la personnalité de l’acteur et les conséquences du métier de comédien.
- La pièce de Dumas ayant eu un grand succès, elle fut même parodiée en « Kinne », par Charles Chabot qui fait plusieurs
fois allusion à son auteur : Dumas.
(+ Ouverture sur les autres textes du corpus)
F-1.1.
»
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