J.-M. DE HÉRÉDIA, Les Trophées, Les Conquérants:

« L'art de l'écrivain, c'est ce qui donne au poème sa beauté.

On peut se placer à plusieurs points de vue pour en découvrir et en apprécier les éléments constitutifs.

LA COMPOSITION Hérédia a impeccablement distribué son sujet dans les quatre strophes.

Le premier quatrain évoque le départ des aventuriers et en suggère l'aspect héroïque, le deuxième quatrain propose à l'imagination du lecteur la double image du but que poursuivaient les voyageurs et du voyage lui-même.

Puis, les deux tercets évoquent leurs visions, leurs hallucinations, et fait de leur voyage lui-même une sorte de rêve qui parait n'aboutir jamais.

Composition stricte et précise, mais qui, si l'on y prête attention, favorise l'évolution de la perspective et conduit insensiblement à l'impression par laquelle nous avons défini le 28 tercet.

Les quatrains, en effet, expriment bien la réalité du départ et du voyage, mais suggèrent aussi, le premier dans son dernier vers (v.

4), le second dans la 2e moitié du vers 6, et dans le vers 8, l'impression de lointain et de mystère à laquelle doit aboutir le poème.

Quant aux tercets, tout en assurant son épanouissement au thème qui leur est confié, ils savent y insérer quelques éléments de réalité : « chaque soir» (v.

9), «leur sommeil» (v.

11), «penchés à l'avant» (v.

12), «ils regardaient» (v.

13).

Mais cette réalité se trouve transfigurée par le contexte : le sommeil et la veille de ces aventuriers sont comme une apothéose fantastique, plus rêvée que vécue.

LA SUGGESTION Elle s'opère à trois niveaux : historique exotique, fantastique.

Dans chaque cas, elle tire sa force des images choisies et imposées par le poète.

Celle qui constitue la toile de fond est historique; c'est la moins importante, mais la plus nécessaire, puisqu'avant tout Hérédia doit situer dans le temps ces aventutiers.

Le quinzième siècle des expéditions audacieuses est suggéré naturellement par le début du vers 3 : « De Palos de Moguer ...

» qui éveille chez le lecteur le souvenir de Christophe Colomb, par l'expression« routiers et capitaines », par les « blanches caravelles» du dernier tercet;. »