Introduire ses idées, commentaire de l'introduction au Banquet de Platon
Publié le 27/01/2015
Extrait du document
«
rapporté platonicien, que nous aborderons dans une autre partie).
Les traductions sont
intéressantes à ce titre, car le traducteur doit rendre la double négation « ουκ αμελετητοs »,
dont Jespersen dit qu’elle a un effet cumulatif, renforçant l’expression (dans Negation in
English and other langages , 1917), et autant il est possible en anglais de rendre le sens par un
« not unprepared », autant en français on peut hésiter.
Philippe Jaccottet dans l’édition du
Livre de Poche collection Les classiques de la philosophie traduit par « je ne suis pas mal
placé pour », restituant la double négation, alors que Paul Vicaire dans l’édition des Belles
Lettres lui choisit « je crois être assez bien préparé », optant donc pour un renforcement clair
sans négation.
Les deux néanmoins montrent une volonté certaine du narrateur de capter de
suite l’attention par un propos liminaire qui dit « vous qui m’écoutez, ne vous inquiétez pas,
je gère mon sujet comme personne, vous n’allez pas en revenir tellement cela va être
incroyable ».
Ou quelque chose approchant…une autre interprétation est possible, comme
nous le verrons plus loin.
A n’en pas douter, Platon nous plonge d’emblée au cœur du récit.
On est bien dans le in
medias res .
Comme souvent chez Platon.
Sur le blog de philosophie Pensées pour nous-
mêmes , on trouve cette réflexion : « Ceux-là (les Dialogues) sont écrits en dépit de tout ordre,
de toute structure, de toute cohérence ; ils commencent bien souvent in medias res (un
dialogue entre Socrate et Céphale), et se terminent, pour la majorité d’entre eux, par
l’évocation d’une aporie (dans le Théétète ), si ce n’est par le départ impromptu de Socrate
(c’est le cas du Protagoras ) ».
Cet avis n’est pas remis en question par notre point de vue,
mais plutôt augmenté.
Pour ne pas discréditer d’ailleurs l’auteur de ces lignes, il explicite par
la suite ce qu’il entend par l’absence d’ordre et de structure chez Platon ; il ne faut pas
prendre au pied de la lettre ses mots introductifs.
Car l’introduction, donc, pour en revenir à
notre texte, est tel un discours qui viendrait se rajouter sur le discours réel en filigrane, comme
un palimpseste mélangeant l’action qui ne souffre pas de délai pour commencer et un texte
qui suit néanmoins une véritable volonté introductive.
En fait on peut même avoir
l’impression qu’il n’y a pas d’introduction, car l’action commence dès la deuxième phrase.
Le
récit ponctué d’éléments de temps et de localisation ainsi démarre de suite, dès la phrase qui
fait suite à l’accroche liminaire.
Permettons nous ici une comparaison avec une œuvre
romanesque récente, dont un chapitre s’intitule In medias res ( Last night in Twisted river , de
l’auteur américain John Irving), pour souligner l’à propos romanesque de cette méthode.
Citons : « C'était lui ( l’apprenti écrivain ) qui lui avait appris la formule in medias res, parce
que ses récits commençaient souvent au beau milieu de l'histoire, sans suivre l'ordre
chronologique des évènements, ce que M.
Leary ( son professeur ) appréciait en tant que
lecteur ».
Cet extrait nous permet juste de souligner l’attention stylistique que porte Platon à
son texte pour qu’il soit appréhendé, perçu, compris par le lecteur.
Et de constater qu’à travers
le temps les lecteurs continuent à apprécier que l’on témoigne pour eux de l’attention,
notamment par l’utilisation de procédés narratifs qui concourent à la création d’une œuvre
d’art ouverte au plus grand nombre.
Introduction donc, cette partie dynamique, rythmée par le jeu des questions réponses entre
Apollodore et son public d’amis, crée les conditions du récit du banquet.
Il donne à voir très
rapidement le cadre de cet événement.
Le décor est posé par Platon pour dérouler ensuite son
discours.
Mais aux questions préalables auxquelles un incipit didactique peut ou doit répondre
pour faire son office (qui, quand, quoi, comment, pourquoi), Platon s’amuse à ne pas donner
toutes les clefs, ou à nous donner des clefs qui restent floues, imprécises, ouvertes à
interprétations.
Car le banquet s’est-il bien déroulé, comme raconté par Apollodore, avec ces
protagonistes-là, autour de ce sujet précis, à ce moment là ? Et surtout, cette question est-elle
bien importante (voire indispensable) dans le cadre strict de la narration d’un récit dont le but
est d’être lu, apprécié, compris ?.
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