Introduction à la méthode de Léonard de Vinci de Paul Valéry
Publié le 06/04/2011
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En pourpoint Renaissance: Vinci-Valéry. Après avoir dépeint sa jeunesse dans l'éphèbe antique, Valéry se costume en artiste de la Renaissance et tente de s'identifier avec son modèle, mais entre Léonard et Narcisse une crise intellectuelle a mûri l'adolescent, l'a détourné des joies imprécises de la poésie et l'a conduit, par le détour des mathématiques, à une méthode générale de connaissance, applicable à la fois au sujet et à l'objet dans tous les domaines. Le hasard d'une commande de la Nouvelle Revue est pour Valéry le prétexte pour donner une forme à ses méditations. De là est née Y Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895), reprise vingt-quatre ans après dans Note et Digression (1919), complétée en 1929 par un essai Léonard et les Philosophes, et commentée par l'auteur dans des notes marginales, que reproduit la belle édition du Sagittaire. Dans l'intervalle des différentes ébauches, l'apprenti est devenu maître.
«
Les épreuves de la vie, les succès aussi, qui engourdissent alors que les critiques stimulent, n'ont pas -défiguré leVinci idéal qu'il avait créé à son image dans la rigueur intransigeante de la jeunesse.
Devenir dur pour le jeunehomme qu'il faut bien souffrir d'avoir comme aïeul..., c'est là se faire plus sot qu'on ne l'a jamais été...
Méthode de travail.
Laissons au peintre le soin de revoir ses ébauches, d'accentuer tel trait, de poursuivre telle ligne simplementamorcée, de donner une valeur symbolique au portrait particulier.
Montaigne sur les marges d'un exemplaire desEssais composait une image enrichie de lui-même.
Valéry a fait de même : attaché à se scruter sans cesse etincapable de trouver un cadre définitif, il a laissé une série d'esquisses où se reconnaît la continuité de la penséedans la succession des âges.
1.
- Première ébauche.
Vinci, créature de pensée.
Je me propose d'imaginer un homme de qui auraient paru des actions tellement distinctes que si je viens à leursupposer une pensée, il n'y en aura pas de plus étendue.
Et je veux qu'il ait un sentiment de la différence deschoses infiniment vif, dont les aventures pourraient bien se nommer analyse.
Je vois que tout l'oriente : c'est àl'univers qu'il songe toujours et à la rigueur.
Il est fait pour n'oublier rien de ce qui entre dans la confusion de ce quiest : nul arbuste.
Il descend dans la profondeur de ce qui est tout le monde, s'y éloigne et se regarde.
Il atteint auxhabitudes et aux structures naturelles, il les travaille de partout, et il lui arrive d'être le seul qui construise,énumère, émeuve.
Il laisse debout des églises, des forteresses ; il accomplit des ornements pleins de douceur et degrandeur, mille engins, et les figurations rigoureuses de mainte recherche.
Il abandonne les débris d'on ne sait quelsgrands jeux.
Dans ces passe-temps, qui se mêlent de sa science, laquelle ne se distingue pas d'une passion, il a lecharme de sembler toujours penser à autre chose...
Un nom manque à cette créature de pensée, pour contenirl'expansion de termes trop éloignés d'ordinaire et qui se déroberaient.
Aucun ne me paraît plus convenir que celui deLéonard de Vinci...
.Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1894-1895).
Notes marginales.
1.
En réalité, j'ai nommé homme et Léonard ce qui m9apparaissait alors comme le pouvoir de l'« esprit ».
2.
Univers, — c'est plutôt universalité.
Je n'ai pas voulu désigner le Total fabuleux (que le mot d'Univers tented'évoquer, d'ordinaire) tant que le sentiment de l'appartenance de tout objet à un système qui contient (parhypothèse) de quoi définir tout objet...
3.
Un auteur qui « compose » une biographie peut essayer de vivre son personnage, ou bien de le construire.
Et il ya opposition entre ces partis.
Vivre, c'est se transformer dans l'incomplet.
La vie, en ce sens, est tout anecdotes,détails, instants.
La construction, au contraire, implique les conditions a priori d'une existence qui pourrait être toutautre.
Cette « sorte de logique » est ce qui conduit dans la suite des expériences sensibles à former ce que j'aiappelé plus haut un « Univers », et mène ici à un personnage.
Il s'agit, en somme, d'un usage du possible de lapensée, contrôlé par le plus de conscience possible...
» (Ibidem.
Edition du Sagittaire, 1931.)
II.
- Retouche.
Vinci, vingt-cinq ans plus tard : « Quoique j'eusse vingt-trois ans, mon embarras fut immense.
Je savais trop que jeconnaissais Léonard beaucoup moins que je ne l'admirais.
Je voyais en lui le personnage principal de cette ComédieIntellectuelle qui n'a pas jusqu'ici rencontré son poète, et qui serait pour mon goût bien plus précieuse encore que laComédie Humaine, et même que la Divine Comédie.
Je sentais que ce maître de ses moyens, "ce possesseur dudessin, des images, du calcul, avait trouvé l'attitude centrale à partir de laquelle les entreprises de la connaissanceet les opérations de l'art sont également possibles ; les échanges heureux entre l'analyse et les actes,singulièrement probables : pensée merveilleusement excitante...
Si légèrement que je l'eusse étudié, ses dessins,ses manuscrits m'avaient comme ébloui.
De ces milliers de notes et de croquis, je gardais l'impression extraordinaired'un ensemble hallucinant d'étincelles arrachées par les coups les plus divers à quelque fantastique fabrication.Maximes, recettes, conseils à soi, essais d'un raisonnement qui se reprend; parfois une description achevée; parfoisil se parle et se tutoie...
Mais je n'avais nulle envie de redire qu'il fut ceci et cela : et peintre, et géomètre, et...
Et d'un mot, l'artiste dumonde même...
Note et Digression (1919).
III.
- Image achevée.
La conscience pure : spectateurs au théâtre.
Cette conscience accomplie j s'étant contrainte à se définir par letotal des choses, et comme l'excès de la connaissance sur ce Tout, — elle, qui pour s'affirmer doit commencer parnier une infinité de fois, une infinité d'éléments, et par épuiser les objets de son pouvoir sans épuiser ce pouvoirmême, — elle est donc différente du néant, d'aussi peu que l'on voudra.1.
»
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