Introduction à Dom Juan de Molière
Publié le 03/05/2011
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I Les origines lointaines du thème.
Le thème de l'homme aux mille femmes est absent de la littérature antique, comme des littératures occidentales, jusqu'à la fin du XVIe siècle. Au chant IV de l'Enéide de Virgile, l'amour de Didon et d'Enée est constant et profond. Avec les troubadours sera célébré l'amour unique, fidèle jusqu'à la mort, celui de Tristan et d'Yseut l'un pour l'autre. C'est cette conception qui restera vivante chez Dante, Pétrarque, Du Bellay, etc... Assurément, des hommes comme les élégiaques latins ou Ronsard ont eu des maîtresses multiples, mais ils n'ont jamais célébré pour elle-même l'inconstance. Or, l'inconstance devient assez soudainement un thème littéraire de premier plan, aux environs de 1580. Cela peut s'expliquer par des causes complexes : — remous politiques, religieux, sociaux. — influence importante de saint Augustin : en 1578 paraissent à Louvain ses oeuvres complètes. Or, ce théologien, comme son maître Platon, insiste sur la fluidité et l'inconstance de toutes choses hormis Dieu. — influence énorme de Montaigne, repris par Du Vair, auteur d'un Traité de l'inconstance. Sur l'évolution de ce thème, voir Jean Rousset, La Littérature de l'âge baroque en France, Paris, Corti, 1953; et Anthologie de la poésie baroque, Armand Colin, 1961.

«
comme un roman d'aventures; son caractère religieux est très marqué, et cela se comprend dans un pays où lareligion tient la première place en tout (voir l'admirable Relation du Voyage d'Espagne, de la comtesse d 'Aulnoy).Don Juan Tenorio, toujours accompagné de son valet Catalinon, séduit à Naples la jeune duchesse Isabelle en sefaisant passer pour son fiancé.
Contraint ensuite de s'enfuir et ayant fait naufrage, il est recueilli par une ravissantebergère, Tisbée, dont il obtient les faveurs en lui promettant de l'épouser.
Mais rentré à Séville, il reçoit du roi l'ordred'épouser la duchesse Isabelle, dont il a compromis la réputation; or Don Juan est maintenant tout rempli de l'imaged'Anna, fille de Don Gonzalo d'Ulloa, commandeur de Calatrava; habilement, il se substitue à l'amoureux de cent-ci etpénètre chez Don Gonzalo.
Mais il est découvert, le père d'Anna accourt : Don Juan le tue et prend à nouveau lafuite.
Pendant une halte dans un village, il est fasciné par la jeune Aminta dont on célèbre la noce : il éloigneBatricio, le futur, et séduit la jeune fille.
Rentré à Séville, il tombe dans une église sur la statue de sa victime, DonGonzalo, qui l'invite à dîner : Don Juan, par bravade, accepte; mais, le lendemain, au moment où il allait sortir durepas, il est entraîné en enfer par le Commandeur, après avoir demandé en vain un prêtre (c'est en effet undébauché, mais pas un incroyant).
Et son valet va raconter au roi l'horrible châtiment que Dieu inflige à ceux qui selivrent aux convoitises criminelles de la chair et remettent toujours le repentir.«La pièce, après avoir commencé par de banales aventures d'amour, s'achève en un drame religieux d'une grandioseampleur.
» (G.
de Bévotte.)Tirso de Molina fait école.
Le thème de sa pièce est repris en Italie par le Florentin Cicognini (sans doute avant1650) et par Giliberto (1653).
Mais Cicognini fait de Don Juan un être grossier, introduit les personnages et lesprocédés comiques de la Commedia dell'arte, et transforme la pièce en un mélange décousu de meurtres, de farceset d'imbroglios.
L'oeuvre de Giliberto est perdue, mais on peut s'en faire quelque idée par les adaptations desFrançais Dorimond, à Lyon (1658), et Villiers, à Paris (1659) : par eux, le personnage de Don Juan fait son entréedans notre littérature.
Leurs oeuvres ont le même titre, Le Festin de pierre ou Le Fils criminel, et sont étroitementsemblables.
Ces deux tragi-comédies en vers, où le comique devient rare, présentent un Don Juan quelque peumatamore, mais déjà philosophe : c'est un révolté, qui refuse de s'incliner devant les diverses contraintes que lasociété impose à l'individu (famille, morale, hiérarchies...); cependant, il n'est toujours pas incroyant.
Détailtechnique : toute l'action se déroule à Séville.Qu'a connu Molière de toutes ces oeuvres? On ne sait s'il a lu la pièce de Tirso de Molina, mais il semble se souvenirparfois de Cicognini : Sganarelle emprunte en effet au valet Passarino quelques répliques, par exemple : « Mesgages, mes gages .» Les premiers —au moins vers 1658 — les comédiens italiens avaient introduit le thème, dansune adaptation bouffonne, de Cicognini précisément, et Molière a dû le découvrir chez eux (il jouait dans les mêmessalles qu'eux : le Petit Bourbon, puis à partir de 1662, le Palais-Royal, en alternance).
En 1659, il put voir jouer lapièce de Villiers, à l'hôtel de Bourgogne; puis en 1661, celle de Dorimond, rue des Quatre-vents.
C'est à eux queMolière a emprunté la plupart des éléments de son propre Dom Juan : jalousie en face du bonheur de deuxamoureux, récit du naufrage, paysannes, morale épicurienne, cavaliers qui veulent venger une femme dont l'honneurest outragé, hypocrisie, etc.Jamais Molière n'a autant emprunté.
Une véritable tradition s'était constituée en France en moins de dix ans; lepublic se passionnait pour le personnage de Don Juan, et l'extraordinaire succès des Italiens obligeait peu à peutoutes les troupes de Paris à jouer Le Festin de Pierre.
Molière se trouvait en face d'un personnage déjà aussi définiqu'Amphitryon, Electre ou Jeanne d'Arc : des traits essentiels étaient fixés, qu'il fallait conserver.
Cependant les unsinclinaient à la farce (lés Italiens), les autres au drame sombre (Dorimond et Villiers).
Comment Molière allait-il voir lepersonnage, quelle allait être son originalité, comment allait-il créer le surprenant chef-d'oeuvre que constitue DomJuan?
III Un thème baroque.
Le baroque en littérature, c'est la célébration esthétique de toutes les inconstances.
Dom Juan est donc visiblementun thème baroque, la destinée de l'homme aux mille femmes.
On imagine mal comment ce tourbillonnement eût puentrer dans le cadre étroit, dans le champ-clos d'une dramaturgie classique.
Ni les sacro-saintes unités, ni la loi dela séparation des genres et des tons, ni la règle du vraisemblable, ni celle de la sobriété du spectacle, n'ont été lemoins du monde respectées.
1 L'unité de temps :Done Elvire a beau nous dire qu'elle est toute changée depuis « ce matin» (IV, 6), on se demande si Molière nes'amuse pas à parodier Corneille s'efforçant de montrer que Le Cid peut tenir en vingt-quatre ou trente-six heures.Les déplacements de Don Juan, le naufrage, les deux soupers (déjà deux jours après le naufrage), etc.
prouventsurabondamment que Molière n'est guère soucieux de se plier aux édits des théoriciens.
2 L'unité de lieu :Elle n'est aucunement respectée.
La scène se passe en Sicile, dans ou aux abords d'un port.• Un palais de cette ville al• La campagne, la mer (II).• Une forêt, un mausolée (III).• Une chambre (IV).• La campagne, l'enfer (V)..
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