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INTÉRÊT HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE DE "PORT-ROYAL" DE SAINTE-BEUVE

Publié le 11/05/2011

Extrait du document

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Une étude d'histoire religieuse qui serait en même temps une étude d'histoire littéraire : il semble que si l'on définissait ainsi le Port-Royal, on ne serait pas très éloigné de la vérité ; et il faut nous placer maintenant à ce double point de vue pour examiner l'ouvrage.

I

L'histoire, même religieuse, ne s'invente pas, et la première qualité qu'on doive exiger d'un historien, c'est une vaste et précise information. Un historien doit être érudit, ou il n'est pas. Sainte-Beuve a largement et excellemment satisfait à cette condition. Plus on étudie le Port-Royal, plus on est familier avec le sujet qu'y traite Sainte-Beuve, plus on est émerveillé de la précision, de l'étendue et de l'exactitude de son information. La simple nomenclature de toutes les sources auxquelles il a puisé et que, pour la plupart, il cite d'ailleurs en note, — les notes de Sainte-Beuve sont toujours très instructives, et il ne faut jamais les négliger, — tiendrait sans doute de longues pages. Celui oui voudrait s'y reporter méthodiquement et qui referait à ce propos le travail auquel s'est livré l'historien, serait, je crois, amené à conclure qu'il a intelligemment utilisé toutes celles qui, de son temps, lui étaient accessibles, et qui étaient déjà innombrables. Au tome III de son livre, en réponse à un magistrat, il donne une véritable et excellente « bibliographie « de Port-Royal. Or, pour dresser cette bibliographie, il faut avoir, — un honnête travailleur ne s'y trompe pas, — longuement et consciencieusement pratiqué tous les ouvrages signalés.

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« Après plus de cinquante ans écoulés, à ne le juger même que comme oeuvre d'érudition, le Port-Royal reste toujoursdebout : on n'en saurait dire autant, nous le verrons plus loin, du Chateaubriand. Mais on n'est pas historien quand on se contente d'amasser des matériaux :l'historien digne de ce nom doit savoir choisir, et interpréter les faits qu'il arecueillis.

Or, avant de nous demander comment Sainte-Beuve s'est tiré decette partie essentielle de sa tâche, il y a une question préjudicielle à nousposer ; et cette question est la suivante.Pour étudier, comme a voulu le faire Sainte-Beuve, toute l'histoire religieusedu XVIIe siècle, Port-Royal était-il bien le meilleur observatoire que l'on pûtchoisir ?A la question ainsi posée, il est bien difficile de répondre par l'affirmative.Quelque respect, quelque sympathie, quelque admiration même que l'on puisseéprouver pour les religieuses et pour les hommes de Port-Royal, pour unemère Angélique, pour un Saint-Cyran, pour un M.

de Saci, pour un M.

Hamon,pour un Arnauld, pour une soeur de Sainte-Euphémie, pour un Pascal enfin, ilfaut bien reconnaître qu'ils se sont eux-mêmes placés en dehors du grandcourant religieux qui traverse tout le XVIIe siècle.

La réforme janséniste n'apas été acceptée par l'Église ; elle a été répudiée par Rome.

Le catholicisme aévolué, — c'est un fait que l'histoire ultérieure a mis en pleine évidence, —dans un sens tout différent de celui que les Jansénius et les Saint-Cyran ontessayé de faire triompher.

« Sans adopter le moins du monde, a écritCournot, la version jésuitique sur la grande conspiration anticatholique etantichrétienne du futur évêque d'Ypres et de l'abbé de Saint-Cyran, il fautbien reconnaître que la réforme janséniste est une seconde épreuve, une reproduction affaiblie du type de la réforme protestante, une réaction au sein du catholicisme contre la réactioncatholique 1 ».

Rien de plus exact.

Mais le jansénisme n'a pas eu la fortune qu'a connue le protestantisme.Condamné d'assez bonne heure par l'autorité suprême qu'il s'obstinait d'ailleurs, tout en repoussant certaines de sesdécisions, à reconnaître, il a vu, de proche en proche, la vie spirituelle se retirer de lui.

Frappée à mort par cettecondamnation, la doctrine a mis un assez long temps à mourir ; elle dépérit visiblement dès la fin du XVIIe siècle.Comme d'un arbre atteint dans ses oeuvres vives, la sève intérieure s'appauvrit et peu à peu tarit.

La persécutionn'a fait qu'avancer la décomposition finale.

Elle aurait galvanisé le jansénisme, si le jansénisme n'était déjà mort.Il suit de là que faire de Port-Royal le centre de l'histoire religieuse du XVIIe siècle, c'est, de quelque façon qu'on s'yprenne, déformer la réalité de l'histoire ; si ingénieux qu'on puisse être,— et Dieu sait si l'est Sainte-Beuve ! — pourélargir le sujet, pour faire rentrer l'étude générale dans l'étude particulière, c'est fausser la perspective.

C'estabandonner la grande route pour les chemins de traverse.

Port-Royal n'est pas, en dépit de Pascal, sur la grandevoie royale qui va de saint François de Sales à saint Vincent de Paul, de saint Vincent de Paul à Bossuet et àFénelon.

Et pour qui ne veut pas s'enfermer, comme l'a fait Racine par exemple, dans la clôture du couvent, c'estaborder de biais, et non de face, un très vaste sujet, et c'est, si j'ose le dire, se condamner à une attitude un peugauche.

Il y a une secrète contradiction intime entre le sujet strictement choisi et le lointain objet poursuivi. Cette contradiction a pesé sur tout le livre ; et peut-être conviendrait-il de rapporter à ce vice originel la plupartdes défauts qu'on y pourrait relever.Et d'abord cette tendance qu'a trop souvent Sainte-Beuve à confondre l'idée chrétienne et l'idée janséniste.

Il y acertes du christianisme dans le jansénisme ; mais il y en a aussi en dehors du jansénisme, et c'est ce qu'on seraitparfois assez tenté d'oublier en lisant le Port-Royal.

Sainte-Beuve a épousé la cause — et les préjugés — j'allais direde ses clients.

Il dira, en parlant des hommes de Port-Royal : « nos Messieurs », « nos amis ».

Il écrira, un peunaïvement : « Nous sommes équitables, et dès lors nous sommes favorables à Port-Royal ».

Il est de la maison ; ilest du cloître.

S'il s'en évade quelquefois, s'il s'émancipe un jour jusqu'à écrire : « C'est bête », d'une prétentionridicule des jansénistes, il revient toujours au vallon sacré avec piété et attendrissement.

Il ressemble à ce M.

dePontchâteau, dont il a conté si joliment les escapades et les retours repentants, ou encore au poète de Phèdretombant à genoux aux pieds d'Arnauld.Et c'est pourquoi il lui arrive d'atténuer sans le vouloir, — car nul n'est plus convaincu que l'être humain estcomplexe, un prodigieux mélange de grandeur et de misère, nul n'est plus épris de vérité et de réalité humaine, — illui arrive, dis-je, d'atténuer et même de voiler un peu les faiblesses de ses héros.

Tout récemment, on lui a reprochéassez vivement d'avoir idéalisé outre mesure et surfait Saint-Cyran.

Je crois, pour ma part, que si Saint-Cyran avaitde tous points ressemblé à l'image un peu caricaturale qu'on nous eu trace, des personnalités aussi diverses qu'unsaint Vincent de Paul, une mère Angélique, un Bérulle, un M.

de Saci n'auraient pas subi son ascendant ou fait de luile cas qu'ils en ont fait ; et surtout il n'aurait pas eu l'influence durable qu'il a exercée.

Mais enfin, il est possible, etj'admets très volontiers que Sainte-Beuve n'a pas su voir, ou du moins qu'il n'a pas mis suffisamment en lumièrecertains traits un peu désobligeants ou ridicules du personnage.

Et, d'une manière générale, j'incline à penser que,tout libre esprit qu'il fût, et très sincèrement désireux d'équité; Sainte-Beuve, sous l'action des témoignagesjansénistes, n'a pas toujours suffisamment mêlé les rayons et les ombres, ni suffisamment appuyé sur les faiblessesde ses « amis ».

L'impartialité absolue n'est sans doute pas de ce monde.

L'histoire de Port-Royal, telle que Sainte-Beuve l'a exécutée, n'est peut-être pas, à cet égard, beaucoup plus que celle de Racine, exempte de toutreproche.Et de même qu'il a épousé la cause de ses héros, il a aussi épousé leurs querelles.

Leurs adversaires sont devenusles siens.

Évidemment un pur janséniste trouverait un peu trop nuancées, et même parfois insuffisantes, ses pagessur les Provinciales ; mais, en les lisant, il applaudirait souvent, et, au total, sa lecture achevée, il se déclareraitfort satisfait.

L'histoire exacte, scrupuleuse, impartiale, ne saurait accepter toutes les conclusions de Sainte-Beuve.. »

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