Innocence et culpabilité dans la Chute de Camus
Publié le 10/01/2020
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(illustrée dans l'épisode central de La Peste) ne trouve pas place dans La Chute, Tout en repoussant au passage certains attendrissements trop conventionnels (il y a « des orphelins féroces», note-t-il page 21), Clamence observe le silence non seulement sur sa propre enfance, mais aussi sur l'enfance en général. S'il évoque, dans sa confession, la faiblesse de certains êtres, c'est seulement celle des femmes; mais celles-ci l'intéressent prioritairement pour d'autres raisons.
Jeux de doutâtes
À en croire Clamence, l'idée d'innocence est innée chez l'homme : elle se trouve «comme au fond de sa nature» (p. 86). Mais l'intellectuel a pour rôle de ne pas accepter sans examen les idées innées; il est, aux yeux de Camus, celui qui se dédouble. Porter un regard sur soi-même, c'est se juger, donc perdre son innocence. Mais se dédoubler, c'est aussi perdre son accord origine! avec le monde : au lieu de voir les choses simplement telles qu'elles sont, on leur accorde des significations. Prisonniers de leurs canaux tandis que leur imagination voyage dans les îles de l'Indonésie, les Hollandais offrent de manière symbolique une image de ce dédoublement.
Le sport et le théâtre sont, pour Clamence aussi bien que pour Camus, des moyens de se réconcilier avec soi et de retrouver l'innocence perdue. Les deux activités exigent un don total de son corps et supposent une communion collective. Mais le théâtre suppose aussi un espace fabriqué, un auteur qui y investit sa culture, des interprètes qui s'y dédoublent. On peut donc juger paradoxal qu'il soit lié au sentiment d'innocence. En réalité, comme le fait observer Clamence, la « règle du jeu » n'y est pas « sérieuse » (p. 93) : jouer à être double n'est pas vraiment mentir. À défaut de retrouver son enfance, Clamence s'est plu et se plaît encore à ces jeux qui nous rendent une sorte d'innocence.
Il en va différemment avec d'autres «jeux», comme ceux qu'on exécute sur la «scène» du tribunal (p. 30) ou qui se pratiquent dans la séduction amoureuse : sur le théâtre de l'amour, les partenaires se mettent à l'unisson pour «brûler les planches» (p. 66), mais ils n'arrivent à

«
par la société.
Mais l'univers dans lequel Meursault baigne
au quotidien serait pour Clamence un état édénique qu'il
désigne lui-même comme «la vie en prise directe» (p.
31 ).
La conscience perpétuellement en éveil de Clamence
empêche cette vie en prise directe; elle se traduit par une
interrogation sur le monde et le conduit à tout transformer
en symboles1.
La perte de l'innocence
Cette perte de l'innocence, on peut chercher à lui trou
ver une histoire.
Les horreurs de la guerre (les exactions
des miliciens, les camps, l'extermination des juifs) obsè
dent Clamence; elles ont pareillement infléchi la pensée
de Camus, comme en portent la trace les constantes
retouches apportées à Caligula entre la première ébauche (1937) et sa création (1945).
Mais la monstruosité de l'hu
manité ne date pas des années 1940 : les horreurs
récentes n'ont fait que mieux révéler à l'homme les mau
vais instincts qu'il portait depuis toujours en lui.
Aussi loin
qu'on remonte, le ver est dans le fruit : si on veut rêver de
rencontrer l'innocence, elle ne peut se situer qu'avant le
début de l'histoire de l'humanité.
Une question, que ne soulève pas le texte : les « inno
cents» massacrés sur l'ordre d'Hérode l'étaient-ils vrai
ment? Suivant la théologie chrétienne, l'humanité n'a pas
à proprement parler commis de péchés durant les siècles
où elle n'était pas encore en mesure d'être rachetée par le
Christ.
L'Église nous enseigne pourtant que, le péché origi
nel ayant frappé toute la descendance d'Adam et Ève,
nous naissons tous en état de péché.
Nous ne pouvons
donc croire à la parfaite innocence de nouveau-nés, même
quand ils sont venus au monde avant l'enseignement de
Jésus.
Il reste que, sauf à souscrire avec rigueur aux
conséquences du péché originel, on considère volontiers
le temps de l'enfance comme étant celui de l'innocence.
Clamence ne prend jamais position sur ce sujet : la ques
tion de l'absurde et révoltante souffrance des enfants
1.
Voir Jacqueline Lévi-Valensi, «La relation au réel dans le roman camusien », Cahiers Albert Camus, 5.
Albert Camus, œuvre fer mée, œuvre ouverte? (voir bibliographie, p.
170)..
»
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