Imaginez le discours que Racine tiendrait à Diderot pour détendre sa conception du théâtre et du langage poétique.
Publié le 29/08/2014
Extrait du document
La poésie de l'alexandrin n'a peut-être pas la vigueur de la prose réaliste, mais elle a la force des émotions bridées par la rigueur des vers ! La poéticité des vers bannit toute vulgarité : nulle parole choquante, nulle réalité trop crue !
Ainsi, Monsieur, je défends un théâtre de la rigueur et de l'élégance, contre le réalisme médiocre que vous prônez au détriment du plaisir du spectateur !
«
I..Je sujet â'invention
fiante du palais de Néron, véritable prison où l'empereur règne sans partage.
Pour captiver
le spectateur, il faut aussi concentrer son attention sur la crise.
Nul
besoin
de l'ennuyer avec la représentation de tous les épisodes qui précèdent
l'instant crucial
où le héros doit prendre une décision qui conduira inévitablement
à
sa perte.
Si le public a rendu un hommage unanime à ma tragédie orientale,
Bajazet, c'est parce que le respect de l'unité de temps créait un sentiment
d'urgence, qui obligeait Bajazet, menacé
de mort, à agir sans plus temporiser.
Dès lors, les événements, sous les yeux des spectateurs fascinés, s'enchaînaient
vers
la mort inéluctable et tragique du héros.
Le désir de plaire conduit aussi l'au
teur dramatique à concentrer l'intrigue sur le sort d'un ou deux personnages
principaux : celui d'Andromaque, poursuivie par
un homme qu'elle n'aime pas,
Pyrrhus, celui
de Bérénice, qui aime Titus sans aimer l'empereur de Rome, celui
de Phèdre, qui, poussée par Œnone et Vénus, commet des actions monstrueuses,
...
Comment toucher un spectateur qui a le sentiment d'être perdu, qui ne parvient
pas à comprendre qui sont les personnages qui
se succèdent devant lui et quels
sont leurs rapports? Croyez-moi, l'unité d'action est encore plus importante que
les autres !
La rigueur et le respect des règles sont les conditions sine qua non
pour émouvoir le spectateur ...
Vous m'accusez de n'être pas capable de faire parler nos rois, dont l'illustre
Henri IV.
Sur ce point, je suis entièrement d'accord avec vous.
Quand j'écris des
tragédies, je
ne m'intéresse guère à l'Histoire, quand je remplis ma charge d'his
torien auprès
de notre Roi, le très Illustre Louis, je ne pense pas en dramaturge.
L.:objet des tragédies n'est pas l'histoire récente de notre pays, la servitude au
réel, c'est l'Antiquité, la mythologie, ou la Bible.
Vous dites qu'il serait absurde
d'imaginer que Henri
IV puisse parler comme mon Agamemnon, mais le public
trouverait tout aussi ridicule qu'Agamemnon
se contente d'affirmer:« Ils me tue
ront, rien
n'est plus certain; ils me tueront».
Être vraisemblable, s'assurer que
le public croie à ce qui est joué sur scène, ce n'est pas être esclave de la vérité,
c'est
se montrer conforme aux attentes du public.
Or, le public connaît Agamem
non par
sa lecture d'Homère, par sa connaissance des épopées antiques.
Il ne peut
donc croire
qu'il s'exprime simplement.
Vous confondez vraisemblance et réalis
me, c'est
là votre tort...
Me permettrez-vous de vous conseiller la lecture de La
Poétique d'Aristote? Vous y trouverez des définitions tout à fait éclairantes et
peut-être,
en mettant les conseils de ce théoricien de génie en œuvre, pourrez
vous, à votre tour, écrire quelques tragédies dignes
de ce nom?
Enfin, je me vois contraint de vous signaler que vos critiques révèlent à la fois
de graves lacunes dans vos connaissances et votre pratique dramaturgiques,
mais également
un manque de sens poétique.
Comment rester insensible au
charme de l'alexandrin*? En prose, jamais Bérénice n'aurait fait douter Titus!
Pour jamais! Ah, Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien
ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un
mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de Mers
me séparent de vous ?
J'entends encore la voix de l'inimitable Champmeslé prononcer ces vers,.
»
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