Images de la mort dans Le Chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes
Publié le 23/12/2019
Extrait du document
Il est sauvé par Gauvain, qui souligne alors la folie de son geste. Cette folie suicidaire s'apparente ici à la folie amoureuse: elle est en ce sens inexplicable et incontrôlable. Dans les deux autres exemples (v. 4107 à 4422), les tentatives de suicide sont au contraire très maîtrisées et justifiées. Rappelons-en rapidement les circonstances. Le point de départ est une fausse nouvelle: Lancelot est fait prisonnier par les gens du roi Bademagu, mais la rumeur annonce sa mort. Cette mort présumée de Lancelot entraîne une tentative de suicide de la part de Guenièvre; elle refuse de s'alimenter et s'affaiblit au point qu'on la croit morte. La nouvelle de la mort de la reine parvient à Lancelot; il tente alors à son tour de se suicider, en s'étranglant avec sa ceinture. Cet enchaînement de motifs suicidaires est justifié par une seule motivation : l'amour et le désespoir amoureux. Dans les deux cas, le geste désespéré de Guenièvre ou celui de Lancelot s'explique par la volonté de rejoindre l'être aimé dans la mort. Nous retrouvons ici un thème éternel, celui de la réunion des amants dans la mort. Toutefois, les deux tentatives échouent, et les deux amants seront finalement réunis dans la joie. En fait, ce qui intéresse Chrétien de Troyes, dans ce motif du suicide, c'est qu'il lui permet de parfaire le portrait des amants. Les scènes de suicide sont en effet accompagnées de longs discours qui dévoilent les personnages.
Amour
«
pour clouer Lancelot sur le lit défendu, est un autre signe de
mort.
Le cortège de la reine, conduit par Méléagant au début
du récit
(v.
552 et suivants).
est un cortège funèbre : la litière,
sur laquelle gît le sénéchal
Keu blessé, apparaît comme un
cercueil (une «bière», écrit Chrétien); les demoiselles qui
poussent des cris désespérés
(v.
54-55) rappellent les pleu
reuses qui accompagnent les morts.
Ces quelques exemples soulignent à quel point le récit
baigne dans une atmosphère macabre.
En outre, le héros
est sans cesse confronté
à la mort.
Confrontations avec la mort
Les nombreuses épreuves ou aventures que doit affronter
Lancelot sont autant de rencontres avec
la mort.
Dans les combats, une
mort violente menace le héros et
ses adversaires.
Citons cette scène dans laquelle Lancelot
vole
au secours de la demoiselle victime d'un viol (v.
1128 et
suivants): l'échange de coups d'épée et de coups de hache
est d'une rare violence;
le but est de porter la mort à l'adver
saire, de «lui fendre en deux le crâne jusqu'aux dents»
(v.
1160-1161 ).
Parfois, le combat aboutit à la mort réelle de
l'adversaire;
c'est le cas avec la décapitation du chevalier
orgueilleux par Lancelot:
Il frappe et la tête vole au milieu de la lande, le corps s'écroule (v.
2922-2923).
C'est ce qui se passe également avec la décapitation finale
de Méléagant
(v.
7087).
Dans les autres épreuves,
il s'agit surtout du danger de
mort, qui guette le héros.
L'épreuve du Pont de !'Épée
(v.
3004 et suivants) énonce clairement le lien entre l'aventure
et la mort.
La description du pont est funeste : les adjectifs
«noir» (v.
3010), «infernal» (v.
3012) et« sinistre» (v.
3044)
soulignent le danger.
De plus, les compagnons de Lancelot
ne cessent
de le mettre en garde.
Ils évoquent le pouvoir
destructeur des monstres féroces qui gardent le pont :
ils vous tueront, sachez-le ! Ils auront tôt fait de vous briser
et de vous arracher tous les membres (v.
3069-3071 ).
137.
»
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