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«Il ne faut pas qu'un écrivain s'intéresse trop à son époque, sous peine de faire des oeuvres qui n'intéressent que son époque.» Vous expliquerez et discuterez cet aphorisme de Montherlant.

Publié le 17/01/2022

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« nuance qu'il appartenait aux classes les plus pauvres des «Pieds noirs», qu'il fut un intellectuel besogneux, etc.

Etcertes Camus a toujours soutenu, comme Montherlant, qu'il y avait des valeurs supra-historiques et, à la différencede Sartre, son engagement ne l'a pas conduit à méconnaître des valeurs éternelles comme la beauté, la mesure,etc.

Pourtant sa vision même de la beauté, de la mesure et de la condition humaine trouve ses bases dans lesregards qu'un enfant pauvre d'Alger a portés sur le monde dans les années 1930 et c'est ce que Camus explique lui-même dans L'Envers et l'Endroit (Ibidem, p.

494).

Si Camus s'était contenté d'études générales sur la beauté, la mesure, etc., il serait peut-être devenu un bon professeur de philosophie, il ne serait pas devenu un écrivain et unartiste.

On pourrait multiplier ce genre d'analyses qui reviennent à montrer qu'il n'y a d'art qu'autant que le créateurprend appui sur son sol personnel, qui est évidemment son insertion historique et géographique dans un monde, dansune civilisation, dans un temps. 2 Il y a l'actuel et l'actuel.

De toute façon, Montherlant n'a jamais dit qu'il fallait que l'écrivain ne s'intéressât nullement à son époque, mais qu'il ne s'y intéressât pas trop.

En effet il ne faut pas mettre tout ce qui relève de l'actuel sur le même plan : il y a des événements qu'un écrivain ne saurait écarter d'un haussement d'épaules souspeine de se mutiler gravement.

Montherlant lui-même a écrit un Chant funèbre pour les morts de Verdun, un Solstice de Juin (ses souvenirs de l'été 1940), a laissé publier ses Carnets (1930-1944), ses Textes sous une occupation (1940-1944), etc.

Quel écrivain a pu rester indifférent devant l'explosion des premières bombes atomiques pas plus que les philosophes du XVIIIe siècle devant le tremblement de terre de Lisbonne ? Il y a, comme l'a très bien vu Sartre, des événements qui sollicitentgravement la responsabilité de l'artiste et auxquels son absence de réaction serait une forme de réponse (cf.

sujet24).

Où la thèse de Sartre est excessive, c'est lorsqu'elle demande à l'écrivain de s'intéresser à tout ce qui se passesur la planète et le fait vivre ainsi dans un état de perpétuelle sollicitation à l'égard d'une actualité ressentie enpermanence.

Camus a très bien montré, dans sa dernière nouvelle de L'Exil et le Royaume (1957), Jonas, la façon dont une pareille attitude poussée à la limite aboutit à empêcher totalement l'artiste de produire ou borne saproduction à des manifestes, des articles, des analyses politiques rapides.

On peut du reste se demander si pareillemésaventure n'est pas arrivée à Jean-Paul Sartre qui avait abandonné le genre romanesque depuis 1949 et laproduction théâtrale depuis 1959 (son volume sur Flaubert, L'Idiot de la famille, Gustave Flaubert, 3 vol., Gallimard, 1971-1972, ne constituant pas, malgré les apparences, un retour à des questions littéraires pures, mais cherchantjustement à propos d'un écrivain dont on avait fait le symbole de l'art pur, à montrer comment l'oeuvre de ce dernierfut, malgré qu'il en eût, liée à sa vie et à son temps).

Mais qu'incontestablement un écrivain doive être un hommeouvert aux ébranlements de son temps, aux mille voix d'une époque, c'est une idée sur laquelle la formule deMontherlant n'insiste peut-être pas assez (il est vrai que Montherlant réagit contre ce qui est devenu depuis Sartreun véritable lieu commun). 3 L'individualisme artistique est chose relativement récente.

En fait la question de savoir si un écrivain doit s'intéresser ou non à son époque est une question relativement récente et ceci parce que jusqu'aux XVIIe-XVIIIesiècles l'écrivain ne pouvait guère faire autrement.

Aux époques que nous appellerons pour simplifier «primitives»(Grèce homérique, moyen âge des XIe-XIIe siècles, etc.), l'écrivain est intimement lié à la civilisation pour laquelle ilécrit ; sans aller jusqu'à l'hypothèse d'une épopée produite par le peuple, on voit mal comment le trouvère anonymequi a composé La Chanson de Roland aurait pu exprimer autre chose que les problèmes de son temps : lutte contre l'Islam, rapports féodaux, rôle du souverain, etc.

Dans ce genre de civilisation l'artiste n'écrit jamais pour lui-mêmeen espérant un succès différé, mais pour un public qui est lié à sa condition même de trouvère ou de jongleur.Comme, de plus, le sens historique fait complètement défaut à ce genre d'époque, même si le trouvère croit évoquerune histoire ancienne et des problèmes d'autrefois, il parle en réalité, à travers des faits prétendument anciens, deproblèmes qui sont ceux de ses contemporains, même s'il les imagine éternels.

Quand Chrétien de Troyes pose leproblème des rapports de l'action et de l'amour chez les chevaliers de la cour du roi Arthur, il pose en réalité leproblème de la noblesse féodale à la fin du X& siècle lorsqu'elle voulait rester une classe dirigeante et active tout ens'ouvrant à certains raffinements de la culture et de la sensibilité.

Plus près de nous, l'illusion classiqued'universalisme a été fort bien dénoncée par la critique contemporaine : à l'idéal du noble qui voulait se distinguersuccède vers 1650 l'idéal du bourgeois qui veut au contraire se conformer à un certain modèle humain universel,mais cet universalisme est lui-même un fait historique, un fait d'époque que nous n'avons aucune raison d'acceptercomme vérité éternelle.

Même au XVIIIe siècle, l'écrivain reste encore souvent l'homme qui parle spontanément aunom d'une civilisation : Voltaire est le «mondain», c'est-à-dire le bourgeois qui veut accéder à tous les charmes dela vie aristocratique et s'irrite de la prétention des nobles à se réserver certains privilèges.

La possibilité théoriquepour un écrivain de se désintéresser de son époque n'apparaît donc guère qu'à la fin du XVIIIe siècle et au début duXIXe siècle pour deux raisons fondamentales : développement du sens historique qui permet à l'écrivain de seréfugier par l'imagination dans une autre époque (c'est alors qu'on peut déclarer, comme le fait parfois Montherlant,qu'on est un homme de la Renaissance égaré en plein XXe siècle) ; rupture de l'écrivain avec son milieu, notammentavec la bourgeoisie dont il sort souvent, mais qu'il vomit (Théophile Gautier, Haubert, Baudelaire, etc.).

C'est alorsque l'écrivain peut se demander s'il doit ou non faire à son époque la grâce de s'y intéresser, soit qu'il tranche enfaveur de l'art pur éternel, soit qu'il opte pour «l'engagement».

Mais ce dilemme lui-même n'est peut-être qu'un faitd'époque qui pourrait disparaître si, comme le croit Michel Foucault, l'idée d'homme éternel venait elle-même àdisparaître. III L'écrivain à la pointe de son époque En attendant, force est bien à l'écrivain, dont le statut matériel est généralement celui d'un travailleur isolé etartisanal, de se construire des liens à peu près satisfaisants avec son temps.

Nous avons vu que la pure et simple. »

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