«Il faut peindre d'après nature » (MOLIÈRE)
Publié le 14/02/2011
Extrait du document
Sens et portée de la formule. — La discuter s'il y a lieu.
Introduction. L'opposition du goût précieux, ami de l'extraordinaire héroïque ou burlesque, au goût classique, ami du naturel, s'est manifestée dès les premiers succès de Molière. Dans la « Critique de l'Ecole des Femmes « Molière oppose la tragédie cornélienne, telle qu'il la voit, — et il la considère comme étant aussi invraisemblable qu'un roman de Mlle de Scudéry ! — à sa propre comédie : « Ce sont des portraits peints à plaisir (ceux de la tragédie) où l'on ne cherche point de ressemblance... Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. « Laissons de côté la critique de Corneille, sommaire et injuste pour des raisons de polémique, et examinons le sens et la portée de la dernière formule.
«
êtres vivants.
3.
— Discussion.
La formule de Molière peut s'accommoder de la stylisation
qui, un peu à la manière de la caricature, ne déforme la réalité que pour mieux en faire voir certains aspects :stylisation héroïque (Corneille ne tombe pas sous la condamnation de Molière si, en fait, il a compris l'héroïsme et sises héros sont bien individualisés) ; stylisation tragique (Racine) ; stylisation comique (Molière) ; stylisation réaliste(Zola).
Mais elle exclut les fantaisies de l'imagination : la grandeur gratuite qui est invraisemblance psychologique ;le goût de l'irréel (E.
Poë) ; les inventions de la comédie italienne, les arlequinades...
Elle exclut aussi le vrai qui sortde l'ordre commun, car, selon Boileau
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
Or les goûts condamnés par Molière sont légitimes.
Pour de nombreux lecteurs, la littérature est une évasion.
Quantaux héros vrais mais « hors de l'ordre commun », ils répondent au désir littérairement très juste d'éviter la banalitéennuyeuse de la réalité quotidienne.
Conclusion.
La formule de Molière est donc l'expression d'un goût, peut-être plus légitime que d'autres, mais d'un simple goûtquand même.
Et on ne discute pas des goûts.
« Il faut » est donc trop catégorique En effet, dans le domaine del'art, une certaine largeur de vues sied.
Certes, pour plaire à un public de goût réaliste, l'auteur peut peindre leshommes tels qu'ils sont...
Encore doit-il éviter les êtres communs représentés d'une façon plate.
Il faut des « motsde caractère », des traits de mœurs dignes d'être remarqués, des mots « savoureux ».
Il faut choisir dans la réalitéce qui est intéressant et l'arranger au besoin pour la rendre encore plus intéressante.
Corneille choisit des héros, «hors de l'ordre commun », Racine des passionnés, criminels..., Molière des maniaques, Hugo, avec Hernani,
« Une âme de malheur faite avec des ténèbres.
»
Mais pour plaire on peut aussi sacrifier aux modes (galanterie du XVIIe siècle, satire sociale du « Mariage de Figaro», héros fatal romantique...) on peut aussi laisser le vraisemblable pour la fantaisie ou la poésie (Arlequin poli parl'amour, de Marivaux ; les Fourberies de Scapin, Fantasio, de Musset...).
Au fait ! Que dire de ce sac ridicule danslequel Géronte s'enveloppe ? Ne sommes-nous pas là en pleine fantaisie ? La véritable formule n'est-elle pas plutôtcelle-ci, qui est de Molière également : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas deplaire »...
même aux dépens du réalisme et de la vraisemblance !.
»
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