HUGO: Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée. Livre VII, 1
Publié le 23/03/2010
Extrait du document
Sonnez, Sonnez toujours, clairons de la pensée.
Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu'il fit le roi se mit à rire ; 5
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
--Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ?
À la troisième fois, l'arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l'armée en marche,
Et les petits enfants venaient cracher sur l'arche, 10
Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;
Au quatrième tour, bravant les fils d'Aaron,
Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,
Les femmes s'asseyaient en filant leur quenouille,
Et se moquaient, jetant des pierres aux Hébreux ; 15
À la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées,
Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées ;
À la sixième fois, sur sa tour de granit
Si haute qu'au sommet l'aigle faisait son nid, 20
Si dure que l'éclair l'eût en vain foudroyée,
Le roi revint, riant à gorge déployée,
Et cria :- ces Hébreux sont bons musiciens ! -
Autour du roi joyeux, riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple et délibèrent. 25
À la septième fois, les murailles tombèrent.
19 mars 1853, Jersey
Plan de l'étude
Introduction - place du poème dans les Châtiments - présentation du poème
Finalité du poème, sa portée symbolique
Énonciation
L'anecdote biblique - les accents bibliques - les personnages bibliques - la couleur locale -
l'apport de V. Hugo à l'anecdote
Conclusion
«
Sonnez, sonnez toujours ...
est le poème d'ouverture du livre VII des Châtiments .
Il
apporte un premier développement de l'idée contenue dans le titre de ce septième livre
Les Sauveurs se sauveront, qui par l'ironique polysémie de sauver (ironie de l'emploi de
"sauveur" au sens de "sauver les autres", quand on songe aux massacres et aux
désespoirs que "Nox" met en scène ; ironie de "se sauver" au sens de s'enfuir) et par
l'emploi du futur "se sauveront" annonce la chute certaine du tyran et de ceux qui le
soutiennent .
Ce poème est d'inspiration biblique ; il raconte un épisode de la vie des Hébreux connu
par le "livre de Josué", dans la Bible .
La chute de la ville de Jéricho , l'action divine dans
la victoire des Hébreux, deviennent une représentation allégorique de la destinée du
second empire.
Finalité du poème
Ce poème est un avertissement donné à Napoléon III, image ici du tyran, et à ceux qui le
servent.
Les temps de la défaite, et de l'expiation qui lui est associée si on en juge par la fin
de Jéricho , approchent ; comme Josué a fait, pendant six jours, le tour de la ville, précédé
de l'arche devant laquelle marchaient sept prêtres porteurs de sept trompes, puis le
septième jour sept fois le tour de la ville au son des trompettes, ainsi la "voix" qui résonne
dans le premier poème du premier livre France ! à l'heure où tu te prosternes où le poète la
présentant par la métaphore "l'airain qui sonne" l'assimile déjà aux trompettes de Jéricho,
vient-elle maintenant, après avoir pendant six livres jeté l'anathème et appelé à la révolte,
d'entamer son septième tour.
Comme Moïse triomphe de Pharaon parce que Dieu est avec
lui, comme Josué de Jéricho parce que l'arche marche devant lui, de même la parole, si
elle est l'expression d'une noble idée , d'une cause juste ou sainte, peut devenir une
force agissante supérieure à celle des armes .
Le poète banni rendra, en abattant le tyran
par le verbe d'une cause qu'il sait juste, la liberté aux hommes enchaînés, et l'espoir (cf
Stella) à l'humanité plongée dans le doute ; que cette cause soit juste n'est point douteux
puisque ces vers de Fonction du poète (L es Rayons et les Ombres ) affirment que
l'engagement du poète est voulu par Dieu
Dieu le veut, dans les temps contraires,
Chacun travaille et chacun sert.
L'énonciation
La typographie partage le poème en trois parties ; un vers pour la première, vingt-quatre
pour la seconde, un pour la troisième.
Or l'étude de l'énonciation ne confirme pas cette
présentation.
Du point de vue de l'énonciation, en effet, seul le premier vers se détache de
l'ensemble ; il appartient au système du discours , par les deux impératifs "sonnez" et
l'apostrophe qu'est la métaphore "clairons de la pensée".
La présence implicite d'un "je".
»
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