Hugo, Les Châtiments (1853) Ultima verba
Publié le 09/11/2012
Extrait du document
«
Je jetterai l'opprobre à tout ce qu'on bénit ! (vers 3-4)
L'invention verbale dans ce poème réside surtout dans cette feinte de langage qui va permettre de préciser, de
l'intérieur, les caractéristiques de la voix qui s'exprime :
Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non ! (vers 5-6)
" Voix ", " bouche ", le poète désigne d'abord son art par sa manifestation physique, acoustique comme un
prophète d'autrefois revenu parmi les vivants.
Empêché de parler, " sous le sac de cendre " de la censure, ce
banni peut parler d'une voix qui est différente de celle des autres.
Hugo ne consacre pas deux strophes à
définir les conditions de possibilité de son poème par hasard.
L'exil a fait de lui bien plus qu'un homme
politique : un sage.
Le rôle qu'il se donne est bien plus complexe qu'autrefois.
Son message n'est donc pas
seulement politique mais religieux et philosophique.
Le poète incite à voir plus loin, à prolonger l'exil pour que
revienne la République.
C'est pourquoi sa voix se hisse à la hauteur de cet espoir politique.
2.
Une pièce maîtresse du dispositif
Poème de conclusion (du moins dans l'édition de 1852), " Ultima verba " porte en puissance l'ensemble du
recueil.
Il doit aller plus loin que toutes les autres pièces, sonner plus fort, marquer plus profondément le
lecteur.
C'est pourquoi il reprend plusieurs thèmes du livre : la folie criminelle du neveu (" Moi, je te montrerai,
César, ton cabanon. " vers 8, allusion à la cellule où l'on enfermait les fous autrefois) ; réciproquement l'amour
et la nostalgie du pays (" O France ! France aimée qu'on pleure toujours " vers 14) ainsi que la solitude de
l'exilé (" J'accepte l'âpre exil ", vers 21).
Mais ces mots déjà lus, ces images déjà formées ailleurs servent ici le
projet de convaincre des lecteurs précis de s'abstenir de rentrer d'exil pour rester dans la lutte.
Préparant la strophe finale, le poète répond lui-même par avance et avec éloquence à des arguments qu'on
pourrait avancer contre sa décision.
A l'argument banal de l'attachement au pays natal, il répondra :
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours ! (vers 15-16)
L'association des adjectifs " douce " et " triste " attire d'emblée l'attention puis la rencontre de l'Histoire et de
l'autobiographie rend le deuxième vers très émouvant..
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