HUGO: J'ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline - Les Contemplations (commentaire)
Publié le 29/03/2011
Extrait du document
(Victor Hugo a écrit ce poème pour Juliette Drouet, après une excursion dans une des îles anglo-normandes, au cours de son exil.) J'ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline. Dans l'âpre escarpement qui sur le flot s'incline, Que l'aigle connaît seul et peut seul approcher, Paisible, elle croissait aux fentes du rocher. L'ombre baignait les flancs du morne promontoire ; Je voyais, comme on dresse au lieu d'une victoire Un grand arc de triomphe éclatant et vermeil, A l'endroit où s'était englouti le soleil, La sombre nuit bâtir un porche de nuées. Des voiles s'enfuyaient, au loin diminuées; Quelques toits, s'éclairant au fond d'un entonnoir, Semblaient craindre de luire et de se laisser voir. J'ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée. Elle est pâle et n'a pas de corolle embaumée. Sa racine n'a pris sur la crête des monts Que l'amère senteur des glauques goémons ; Moi, j'ai dit : « Pauvre fleur, du haut de cette cime, Tu devais t'en aller dans cet immense abîme Où l'algue et le nuage et les voiles s'en vont. Va mourir sur un cœur, abîme plus profond. Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde. Le ciel, qui te créa pour t'effeuiller dans l'onde, Te fit pour l'océan, je te donne à l'amour «. Le vent mêlait les flots', il ne restait du jour Qu'une vague lueur, lentement effacée. Oh! comme j'étais triste au fond de ma pensée Tandis que je songeais, et que le gouffre noir M'entrait dans l'âme avec tous les frissons du soir! Les Contemplations, Ile de Serk, août 1855
Faites un commentaire composé de ce poème de Victor Hugo, extrait des Contemplations (livre V) : vous pourrez étudier comment, tout en célébrant le triomphe de l'amour sur le monde tourmenté, Victor Hugo cède progressivement à l'angoisse que ce même monde lui communique.
Que vous suiviez ces lignes directrices ou que vous en choisissiez d'autres, ne dissociez pas vos différentes impressions ou idées sur ce poème de l'observation précise des moyens artistiques qu'il met en œuvre.
«
une première partie, complétée par l'étude de deux autres thèmes.
Nous proposons de s'arrêter :
— sur le thème de l'amour
— sur le thème de l'angoisse
en suivant le mouvement du texte.
Ce n'est ni obligatoire, ni toujours souhaitable.
La justification ici : la longueur(exceptionnelle) du poème.
La présence de l'amour
Le poème n'est pas dédié à une femme précise (absence de nom), ce qui peut renforcer paradoxalement soncaractère personnel (inutile de nommer la femme aimée, elle est la seule, etc.).
La femme, d'autre part, n'a iciaucune présence physique, en dehors des deux mots : sein et cœur, qui se doublent l'un l'autre, et qui d'ailleurssont des clichés, des mots vides.
Alors qu'elle est la dédicataire, elle n'occupe qu'une place très réduite dansl'ensemble («pour toi, ma bien-aimée»); autre preuve que l'amour n'est pas le vrai sujet du poème, malgré sonapparent triomphe à trois reprises :
— le fleur a été cueillie juste après que s'est englouti le soleil et avant qu'elle n'ait elle-même disparu dans la nuit,dans un geste de conjuration contre la nuit et la mort;
— cueillie et offerte, elle échappe au mécanisme de la nature, promise à l'océan, elle s'humanise sur le sein de lafemme; elle est arrachée à un infini (l'abîme) pour être donnée à un autre (l'abîme du cœur), mieux connu et plusrassurant;
— enfin elle encadre le texte :
J'ai cueilli cette fleur pour toi J'ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée et c'est par deux fois l'amour qui semblerelancer le texte.
Mais le poème ne s'achève pas au vers 23 (« je te donne à l'amour »).
L'angoisse n'est pas vaincue, l'amour se perd dans le noir et le froid du soir : les éléments négatifs dominent, l'amourn'a pas vaincu la peur.
L'angoisse
C'est elle qui sous-tend l'ensemble :
a) le monde entier est vu comme une somme de choses qui disparaissent dans la nuit/la mort :
— le soleil
— les voiles
— les toits des hommes en train de s'éteindre au fur et à mesure que le couchant s'obscurcit, ou qui sont tropfragiles pour résister au vent et au froid :
— la fleur
— les nuages
— les algues
— les voiles (vers 19)
b) le temps du poème est rythmé par la montée de la nuit, et du vent, et du froid (vers 5 : l'ombre; vers 9 : lasombre nuit; vers 24-25 : il ne restait du jour...; vers 27 : le gouffre noir), que ne vient pas équilibrer une égalemontée de l'amour.
c) enfin le monde du poème est très faiblement humanisé : les voiles (diminuées), les toits (craintifs) n'indiquent quevaguement la présence humaine.
Pour le reste, c'est un monde abrupt, sauvage, à la fois infini (l'homme estimpuissant) et rétréci (l'homme est en prison, cf.
« entonnoir »), glauque, froid et gluant enfin (goémons, algues...).
d) triomphe des forces de nuit et de mort, qui laissent le Je comme une épave sur le bord de la mer.
Même laprésence de l'arc de triomphe — qui ne fête aucune victoire — est un signe négatif (avec un retour peut-être duthème politique).
Inversion du thème humaniste.
Mort du soleil..
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