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HISTOIRE LITTÉRAIRE (Histoire de la littérature)

Publié le 15/12/2018

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HISTOIRE LITTÉRAIRE. La locution « histoire littéraire » n'acquiert sa signification actuelle d’« histoire de la littérature et du phénomène littéraire » qu’au cours du xviiie siècle. Quand on la rencontre auparavant, elle signifie « histoire ou chronique de la vie (biographie) et des ouvrages (bibliographie) des écrivains » (quels que soient ces écrivains; du passé ou contemporains, mathématiciens, physiciens, poètes ou romanciers...). C'est que la distinction moderne entre science et littérature n’existe pas encore : la « littérature » est généralement définie par les mots « érudition, doctrine », c'est-à-dire comme une connaissance profonde et méthodique du savoir transmis par les livres, et l’adjectif « littéraire », bien que né au xvie siècle, reste rare (il est enregistré en 1721 par le Dictionnaire de Trévoux). Les «lettres» (terme beaucoup plus usuel que « littérature ») désignent l’assimilation par l’esprit humain, et l’exposé écrit des

 

« sciences » qui signifient, elles, toute activité intellectuelle. Pour qu’« histoire littéraire » prenne son sens moderne, il faut donc que le découpage conceptuel et lexical change : peu à peu, au xviiie siècle, les mots « lettres », « belles-lettres » et « littérature » se spécialisent, par opposition à « sciences », pour désigner les œuvres où la fonction esthétique, le travail du langage l'emportent sur la référence précise, utilitaire — et bientôt mathématique — à la réalité objective. L’« histoire littéraire », avec beaucoup de lenteur, devient alors une chronique de la république des lettres (Bibliothèque anglaise ou Histoire littéraire de la Grande-Bretagne, Amsterdam, 1717-1728), puis, à peu près comme aujourd’hui, une histoire des littérateurs et des livres (Dom Rivet relayé par Dom Clémencet, Histoire littéraire de la France, 1733-1763, 12 volumes). Le sens actuel ne se fixe véritablement qu’au début du xixe siècle.

 

Après avoir conquis, au prix de durs affrontements et de mainte polémique, une place dominante aux dépens des anciennes « belles-lettres » et de l’ancestrale rhétorique, l'histoire littéraire s’est trouvée, à son tour, contestée par les modernes herméneutiques, psychanalyse et structuralisme, qui prétendent la réduire à un rôle accessoire et l’exclure de l’acte essentiel dont elle avait le monopole : dire le sens — ou les sens — du texte. Aussi le moment semble-t-il favorable à une redéfinition, à une rétrospective, et surtout à la prise de conscience de problèmes nouveaux.

 

Entre critique et histoire

 

L’histoire littéraire est un hybride, un sous-genre, issu du croisement de la critique littéraire et de l’histoire. La critique se propose d’expliquer et d’apprécier les ouvrages et les auteurs d'hier et d’aujourd’hui; l’histoire littéraire se spécialise dans l’examen des œuvres du passé. Elle rappelle, conserve et classe des phénomènes qui composent la vie des littératures : les écrivains et leurs productions; le public; les rapports entre l’auteur et le consommateur du livre. Elle en fournit des explications. Plus profondément, elle tente de les faire comprendre et même de les faire revivre, ou de postuler, sous l’amoncellement des faits, les normes ou les lois qui régissent leur structure et leur devenir. Comme l’écrit Gustave Lanson, « nos opérations principales consistent à connaître les textes littéraires, à les comparer pour distinguer l’individuel du collectif et l’original du traditionnel, à les grouper par genres, écoles et mouvements, à déterminer enfin le rapport de ces groupes à la vie intellectuelle, morale et sociale de notre pays, comme au développement de la littérature et de la civilisation européennes ».

 

Province de l’histoire, qui est mémoire du passé à l’intention du présent et rapport, souvent passionnel, aux grands ancêtres morts, l’histoire littéraire restreint son champ de recherche à un domaine particulier : mais situer les écrits dans leur contexte économique, social, politique et culturel, y voir les symptômes ou les signes d’une mentalité, d’une vision caractéristique du monde, ou le négatif du fait, les virtualités refoulées, l’intentionnalité secrète, c’est côtoyer — et quelquefois envahir — le territoire de l’historien proprement dit; c’est, en tout cas, emprunter les méthodes et les disciplines historiques : établissement des textes (étude comparative des manuscrits et des éditions, restitution d’états corrects ou définitifs et de leur genèse) et des événements (biographiques, sociaux, culturels, plus ou moins rangés en séries propres à un traitement statistique); détermination de causes (immédiates, conjoncturelles; lointaines, profondes, structurelles) ou, du moins, de facteurs qui conditionnent la vie littéraire au cours des âges. Cela exige sens critique, impartialité, sympathie; la réflexion moderne sur l’épistémologie historique a montré que les

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« concepts opératoires qui ordonnent les faits (mouve­ ments littéraires- baroque, classicisme, romantisme-, doctrines esthétiques, notion de génération ...

), le sens dont sont affectés les phénomènes (sens patent ou latent, implicite ou explicite ...

) dépendent étroitement de la mentalité de l'historien, qui, par son questionnement, introduit dans le passé de nouveaux découpages, des associations originales, des mutations de proportion qui font de toute historiographie un équilibre instable et mouvant.

On concevait volontiers, au XIX e siècle, la litté­ rature française comme dominée par le classicisme du règne de Louis XJV : enfance, apogée, déclin, recherche d'un nouveau sommet analogique du premier, au milieu de la corruption du goüt; aujourd'hui, on verrait davan­ tage, au fil du progrès technique et de l'évolution cultu­ relle, la succession de différents « modèles » de relation entre un auteur et des cercles de lecteurs de plus en plus larges (avec les résistances et les réactions à ces changements : chapelles, ésotérismes, hermétisme, voire multiplication d'éphémères avant-gardes).

Province de la critique, l'histoire littéraire est discours sur les œuvres, « métalangage >> tenu par des lettrés qui ambitionnent peu ou prou de construire, eux aussi, un monument qui prenne rang dans la littérature; aucune hétérogénéité, ici, entre le commentaire et le commenté - d'où rivalités et revendications.

L'historien littéraire allègue son métier, sa technique, moyens de l'« objecti­ vité» : en littérateur, il ne saurait s'empêcher d'appré­ cier; le dilettante, l'honnête homme ou l'amateur pas­ sionné méprisent et ses fiches, et les pesanteurs de ses déductions : ils veulent ressentir directement J'empreinte et l'impression des chefs-d'œuvre et n'ont cure de préli­ minaires ou de points de vue préformés.

Ainsi la situation de l'histoire littéraire au croisement de deux activités mentales de plus en plus séparées lui impose une tension entre deux pôles qui menace sans cesse son unité et sa stabilité, l'expose à toutes les atta­ ques et singularise son évolution par rapport au devenir général de l'historiographie française.

L'émergence de l'histoire littéraire moderne L'archéologie de l'histoire littéraire s'étend jusqu'au début du xrx• siècle : le romantisme réveille alors défini­ tivement la curiosité et le goût du passé; auparavant, des biographies, des bibliographies, des anthologies, des compilations de jugements fragmentent le champ litté­ raire en monographies qui se répartissent en catégories convenues : la Bibliothèque française ou Histoire de la littérature française de l'abbé Goujet (1740-1756, 18 volumes, poursuivie par divers auteurs pour atteindre finalement 34 volumes) adopte un découpage générique et traite séparément les grammairiens, les rhéteurs, les poètes...

Le Lycée (1797 -1805) de La Harpe (1739- 1803), premier cours raisonné de littérature française, confronte les œuvres à un idéal rationnellement défini et les juge, non sans nuances : ce dogmatisme du « beau idéal » règne sans partage sur les siècles classiques (mal­ gré mainte affirmation de la relativité du goüt au XVIII e siècle), décourage toute chaleureuse compréhen­ sion du passé et ne s'effrite que lentement, avec la grande mutation des mentalités qui marque la décennie 1760-1770.

Chateaubriand, dans le Génie du christianisme ( 1802), pour prouver la supériorité de sa religion sur le paganisme, inaugure avec brio l'histoire comparée des thèmes et des personnages.

Mme de Staël rattache le litté­ raire au social, au politique et au culturel (De la littéra­ ture, 1800) et, pour opposer le classicisme français au romantisme allemand, met en action, dans De t'Allema­ gne (181 0), des concepts complexes (objectivité et sub­ jectivité; réalisme et idéalisme ...

) qui désignent à la fois une période et une attitude mentale, synthèses de faits nécessaires pour envisager la complexité du devenir.

La première partie du siècle voit, sur ces bases, s'épanouir des tentatives fort diverses : Villemain (1790-1870) donne un Cours de littérature française (1828-1830), oratoire et superficiel, sur le Moyen Age et sur le XVIIIe - siècle; Saint-Marc Girardin (1801-1873) utilise l'histoire pour stigmatiser l'invasion du matérialisme et de la débauche (Cours de littérature dramatique, 1843-1868); Désiré Nisard (1806-1888) ordonne fermement son His­ toire de la littérature française (1844-1861) selon une architecture synthétique déjà moderne (par périodes et par mouvements).

L'idéal moral, religieux et esthétique qu'est pour Nisard le« Grand Siècle» n'y interdit pas la compréhension : même une profession de foi dogmatique s'accompagne désormais, dans la pratique, d'un relati­ visme historiciste.

Sainte-Beuve, enfin, par la grâce de ses « portraits >>, par 1' ampleur de son Port-Royal (1840- 1859), reste le symbole d'une historiographie littéraire plus intuitive que méthodique, plus soucieuse de vie et de mouvement que d'exactitude pointilleuse ou d'érudition.

La seconde partie du XIX e siècle s'ouvre sur les systé­ matisations d'Hippolyte Taine (1828-1893); un scien­ tisme apparenté à celui de Claude Bernard entend ici fournir une explication totale du phénomène littéraire : la singularité psychologique (la « faculté maîtresse �>) se reflète dans l'œuvre et relaie sur le plan individuel une causalité plus générale : race, milieu, moment.

Ferdinand Brunetière (1849-1906), voulant restaurer une critique normative dont l'objet soit« de juger, de classer, d'expli­ quer>> , privilégie une causalité proprement interne à la « biologie >> des genres , littéraires et emprunte son modèle au darwinisme (l'Evolution de la critique, 1900).

Entre 1880 et 1900, s'appuyant sur la puissante logisti­ que de l'Université, l'histoire littéraire a conquis droit de cité, et son prodigieux essor l'incline parfois à la démesure.

Renan avait déjà déclaré toute admiration his­ torique, et pronostiqué que la nouvelle discipline était « destinée à remplacer en grande partie la lecture directe des œuvres de l'esprit humain>>.

Les résistances se mul­ tiplient, au nom de l'hédonisme, du spiritualisme, du bon goût; le modèle explicatif, mécanique et réductionniste, est de plus en plus contesté au nom d'approches spécifi­ ques, nécessairement subjectives.

Gustave Lanson (1857-1934) revient à un strict positivisme; il trace à l'histoire littéraire ses programmes et ses méthodes, en condamnant les usurpations et les abus du scientisme : aux marges de sa mouvance se situent l'intuitionnisme de l'abbé Henri Bremond (1865-1933), dans son Histoire littéraire du sentiment religieux en France (1916-1928), le bergsonisme d'Albert Thibaudet (1874-1936) et les biographies d'André Maurois (1885-1967).

Problèmes et réponses Le succès de la véritable institution universitaire qu'est devenue l'histoire littéraire rencontra toujours des oppositions, sourdes ou vives; dans les années 60, la querelle entre «nouveaux critiques >> et tenants de 1 'his­ toricisme positiviste a envahi les colonnes de la grande presse et fusé en pamphlets (Raymond Picard, Nouvelle Critique ou nouvelle imposture, 1965; Roland Barthes, Critique et vérité, 1966).

Tout ce bruit révèle une crise profonde; car les attaques issues de l'extérieur ne sont plus lancées, comme dans la première moitié du xxe siè­ cle, au nom de valeurs jugées dépassées ')U dépourvues de pertinence (le patriotisme; l'éminence de la culture classique ...

), mais correspondent à des doutes internes : l'histoire littéraire se trouve confrontée à de nouvelles idéologies qui sapent les fondements théoriques de son. »

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