HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE POLICIÈRE
Publié le 21/11/2011
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A priori, on ne devrait pas pouvoir parler de littérature policière spécifique ... pour la raison évidente que toute littérature est naturellement, instinctivement policière ! D'ailleurs, la ligne de démarcation entre littérature en général et littérature policière en particulier est récente. Le passé ne se souciait pas d'établir de telles frontières : l'oeuvre d'Homère, que nous tenons justement pour un exemple littéraire, suit très étroitement la construction policière type. L'Iliade et l'Odyssée peuvent être lues comme le récit d'un enlèvement, d'une poursuite, d'un règlement de comptes.

«
La présentation même des ouvrages est significa
tive d'une volonté délibérée de démarquage ; le livre policier arbore une couverture clinquante,
s'orne dè titres ronflants ; à quelques pas de là, le roman de littérature prétendue traditionnelle dissi
mule son venin -ou son néant -sous le maigre
brouillard d'une typographie lilliputienne et sobre
au point d'en devenir rebutante, et ses titres
se réclament d'un passage d'Eluard ou de Saint John Perse.
Enfm, parlant d'un ouvrage de littérature généra le, on dira: un roman, un essai.
Le livre policier,
lui, se verra affublé de l'appellation argotique - et approximative ! - de « polar ».
Œdipe, ou · le précurseur
Toute différenciation suppose un jugement
qualitatif.
Ce qui n'est pas de notre ressort.
Le principe de la différence admis, nous p~éféreron~, quant à nous, au fil des paragraphes qu1 vont sui vre, tenter une définition strictement objective de la
littérature policière.
Ce qui, tout d'abord, appelle l'adjectif
policier, c'est la référence (souvent inconsciente) au mythe
d'Œdipe.
Œdipe nous paraît être l'archétype, le précurseur du thème policier.
Qu'est-ce qu'Œdipe, sinon un personnage naïf et
innocent
(innocent est à prendre ici dans l'accepta
tion médicale du terme) confronté à une énigme en
apparence insoluble
? Le livre policier ne se conçoit pas sans cette énigme, ni sans l'Œdipe qui
en reçoit la formulation et tente aussitôt de la
résoudre.
Dans la majorité des cas, Œdipe reçoit un sur
nom :
il est l'Inspecteur, le Commissaire, ou le Vengeur.
Entre Œdipe et un quelconque enquêteur
de roman policier, le risque est partagé : si Œdipe ne trouve pas la réponse à l'énigme, si l'enquêteur
n'aboutit pas à des conclusions indiscutables, le Mal est libéré, et il va déferler.
Car, de même que
l'appétit du Sphynx est insatiable, le criminel est
entraîné à multiplier ses forfaits.
Il y a donc, pour
Œdipe comme pour l'enquêteur, une sorte d'urgen
ce
à résoudre le problème posé.
Œdipe
ne recherche pas le Sphynx.
L'enquêteur,
lui non plus, ne se met pas en chasse d'énigmes à
deviner : dans la majorité des cas, l'enquêteur de roman policier est un homme banalisé (sinon
banal) qui est confronté à l'interrogation par le jeu des circonstances -circonstances qu'il n'a prati
quement jamais provoquées.
Autre comparaison possible : la devinette propo
sée à Œdipe par
le Sphynx est complexe surtout
par sa formulation; En réalité, la question et la
réponse sont simples.
Presque primaires.
On
(J.-L.
Charmel)
retrouve, dans l'organisation d'une énigme en litté
rature policière, le même malentendu : le crime est
souvent évident, le coupable facile à confondre ;
mais les faits sont agencés de manière à ce que l'in
terrogation paraisse posée en des termes impossi
bles.
Le plus significatif de tous les exemples étant,
peut-être, le problème posé à Rouletabille par la
célèbre Chambre Jaune: portes et fenêtres étant
verrouillées
de l'intérieur, comment l'assassin a-t-il
réussi à s'introduire ? La réponse (parce que la vic time faisait d'une certaine façon partie de la machi
nation) est décevante.
Qu'importe ? La puissance, le pouvoir de fascination du Sphynx ne résident pas
dans les réponses à ses impossibles devinettes, mais
dans la manière dont la Bête impassible pose ses questions -questions porteuses de mort.
Agatha Christie, tirant
les ficelles de deux
enquêteurs hors du commun -Hercule Poirot.
et Miss Marple - a poussé ce principe ludique jusqu'à ses extrêmes : le roman policier de Christie devient
partie de bridge ; le lecteur a pour partenaire impo sé un détective qui, par une série d'annonces préci
ses, codées comme les annonces du bridge, l'aide à
établir un pont (ou bridge) entre la question et la
réponse.
En cela, Agatha Christie se situe à mi chemin entre la littérature et le jeu de société : on.
»
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