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HERMÉTISME ET LITTERATURE

Publié le 15/12/2018

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HERMÉTISME. Il est difficile de savoir si l'hermétisme est, à l’origine, une religion avec ses églises et ses rites ou s’il s’agit d’une simple attitude discursive, rhétorique, et donc littéraire. Venus de Perse et d’Egypte, les mages, initiés au culte du dieu lunaire Toth (l'Hermès des Grecs), ont assurément infléchi le rationalisme grec dans le sens d'une philosophie astrologique ou d’une théoso-phie postulant l’unité de la création, la correspondance entre le microcosme et le macrocosme, recourant ainsi à un système de représentation plus symbolique que linguistique.

 

Si l’« art royal », synthèse de toutes les sciences enseignées par Hermès Trismégiste, le maître « trois fois grand », suppose une ascèse personnelle et débouche sur une sagesse païenne, il ne comporte pas d’initiation sacramentelle. Néanmoins l’hermétisme, essentiellement connu par la compilation de Michel Psellos, Corpus her-meticum (xic siècle), coexiste avec le développement des

 

pratiques gnostiques et des mystères chrétiens. Il annonce en outre l’idéal de purification individuelle attribué au symbole alchimique de la transmutation du plomb en or, aussi bien que l’allégorie constructiviste de la maçonnerie opérative.

 

Le fonctionnement des doctrines hermétiques ne peut se concevoir sans la volonté, sinon la nécessité, de cacher le sens réel d’un message à tous ceux qui ne sont pas jugés dignes d’en comprendre la signification profonde. Ainsi les premiers chrétiens durent-ils recourir à l'énigme ou à la parabole pour voiler la vérité divine détenue par leur secte. C’est encore à la polysémie de l’hermétisme que Pascal recourra pour justifier la notion de Deus cibsconditus, nom qui est donné à la divinité dans les Ecritures : la religion « travaille également à rétablir ces deux choses : que Dieu a établi des marques sensibles dans l’Eglise pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement; et qu’il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu’il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur » (Pensées, III, 194).

 

Au niveau des œuvres païennes, on parlera dans la même perspective de l’hermétisme de Villon : son jargon était-il destiné à n’être compris que des truands? L’argot, le verlan, les sigles ou les signes de reconnaissance des sociétés secrètes, la recherche délibérée de l'obscurité, les messages codés du temps de l’Occupation — qui furent à la source de bon nombre de poèmes surréalistes — sont de même des formes d’hermétisme, aussi bien que l’utilisation d’un langage spécialisé destiné à tenir les néophytes à l’écart des privilèges acquis au sein d’un ordre, d’une corporation ou d'une profession.

 

Sur le plan littéraire, la poésie est un des lieux de prédilection où s’épanouit l’hermétisme. Genre abstrait par excellence, le poème suppose une concentration réflexive dans le choix et l’agencement de ses signes, et il s’intéresse plus au mécanisme du code linguistique qu’à la réalité référentielle (cf. la définition de la « fonction poétique » du langage d’après Roman Jakobson). Si la prose se veut transparente, le propre de la poésie semble être de ménager une certaine opacité dans le langage. Figurée plus que concrète, elle introduit à un savoir essentiellement symbolique. Ainsi Mallarmé est-il considéré comme « hermétique » au sens d'obscur. Claudel le serait par son niveau de langue et la préciosité d’un style accessible seulement à une élite. Quant à Nerval, il autorise, surtout dans les Chimères, toutes sortes d'interprétations cabalistiques, démonologiques ou magiques parce qu’il défie les lois de la logique cartésienne. De même l’entreprise surréaliste, poursuivant en cela le syncrétisme religieux et l’« universelle analogie » du sentiment romantique, tente-t-elle de représenter l’ineffable et de proposer une « vision du monde exprimée par symboles », ce qui est commun aussi bien à l’art de Salvador Dali qu’à la définition de l’illuminisme d'un Jacob Boehme.

« phie : Igne Natura Renovarur Integra « Par le feu, la nature entière est rénovée» (dans E.

Canseliet, Trois Anciens Traités d'alchimie; calligraphie el prolégomè­ nes, 1975).

L'existence d'un double niveau de lecture permet donc d'interpréter tout message comme la repré­ sentation allégorique d'une gnose alchimique, astrologi­ que, hiératique, rosicrucienne, etc.

Ainsi peut-on consi­ dérer que les contes de Perrault, par exemple, voilent en fait des vérités initiatiques, que derrière la fiction narra­ tive du Roman de la rose se cache un véritable crypto­ gramme, tout comme dans la Divine Comédie (cf.

René Guénon, l'Ésotérisme de Dante, 1949).

Certains roman­ ciers tels que Marcel Brion, Raymond Abellio ou même Michel Tournier tentent d'échapper aux clichés du posi­ tivisme classique en proposant une « grille de déchiffre­ ment» empruntée aux philosophies spiritualistes ou aux traditions légendaires.

Régression vers l'obscurantisme ou réaction antimatérialiste, la structure de leurs ouvra­ ges est dominée par le souci d'attribuer une signification mystique ou ésotérique aux événements de l'histoire contemporaine.

De même, la description de la nature, apparemment réaliste, d'un Bosco ou d'un Giono ren­ voie-t-elle à une conception mythique de l'univers, sinon à un savoir occulte.

Quant à un opéra tel que la Flûte enchantée, tous les exégètes de Mozart se sont fait fort d'y voir, au-delà du manichéisme simpliste formé par le couple déjà symbolique de Sarastro (le Bien) et de la Reine de la Nuit (le Mal), une signification politique à clés (Sarastro =von Born; la Reine= l'impératrice Marie-Thérèse; Tamino =Joseph Il; Pamina =la Liberté) et une interprétation initiatique (Sarastro = le Soleil; la Reine= Hécate) reposant sur la symbolique des quatre éléments (Tamino =Je Feu; Pamina =l'Eau; Papageno =l'Air; Monostatos =la Terre), lesquels figu­ rent en bonne place dans le rituel d'initiation maçonnique.

Recourir à l'hermétisme, au gnosticisme ou à l'ésoté­ risme n'est donc, dans bien des cas, qu'une façon de reconnaître et d'affirmer la polysémie du message symbolique, l'ambiguïté et l'ambivalence peut-être inconscientes de la création artistique, la plurivalence enfin de la réception individuelle des œuvres du passé ou appartenant à une culture au code de laquelle on n'a pas directement accès.

Dans Tristan el Iseut, Brangaine répond de façon sibylline aux soldats chargés de 1 'exécu­ ter qu'elle n'est coupable de rien, sinon que «quand madame Iseut partit d'lrlande, elle avait une chemise de lin plus blanche que neige neigée; elle devait en faire présent au roi Marc; et il y avait avec elle une sienne demoiselle qui en avait une autre aussi gente et aussi fine.

Madame perdit la sienne dans la mer pendant Je voyage; ce dont elle eOt été malvoulue, si la demoiselle dont je parle ne lui avait offert, de par moi, la sienne qu'elle avait bien gardée.

Madame fut ainsi tirée d'em­ barras» (adaptation André Mary).

Ses pourreaux saisis­ sent-ils l'allusion périphrastique au pucelage perdu de la reine, sa maîtresse? De même un amateur du xx• siècle, en présence du tableau de Vermeer l'Atelier, voit-il en la personne de la femme inspiratrice du peintre l'image allégorique de Clio, la muse de 1' Histoire (avec ses attri­ buts conventionnels : un livre, un planisphère, une trom­ pette et une couronne de lauriers)? L'ésotérisme n'est plus ici un sens second, latent par rapport au sens mani­ feste, mais une signification immédiate perdue du fait de l'affaiblissement du code culturel lui assurant son statut symbolique.

C'est ainsi que l'héraldique, issue d'un sys­ tème sémiologique stable, encore vivace dans les romans du XIX" siècle, finit par nous apparaître hermétique, nim­ bée de mystère et de poésie, désormais enrichie de connotations imaginaires aux sens multiples.

L'occultisme conduit par conséquent au merveilleux.

Les théosophies du xv111 • siècle développées en marge des Lumières, telles que l'exégèse biblique d'un Swe­ denborg ou le martinisme, ont été une source d'inspira­ tion pour le fantastique des premiers romans de Balzac mais aussi un modèle explicatif, une philosophie rivale du scientisme positiviste.

En rendant vraisemblables les scènes d'évocation et de magie, en réaffirmant l'exis­ tence de réalités suprasensibles échappant aux méthodes d'investigation expérimentales et objectives, l'occul­ tisme conférait au XIX" siècle la dimension spiritualiste - spiritiste, chez Victor Hugo -dont le privaient les progrès éclatants de la révolution industrielle.

Il ouvrait la voie au symbolisme, à la psychanalyse, aux recherches d'un Jung sur l'inconscient collectif, à la découverte des structures de l'imaginaire.

Il n'est pas jusqu'à Saussure qui n'ait étudié dans les allitérations des poésies latines le fonctionnement des anagrammes involontaires et des rébus, tant le rôle de 1 'hermétisme est lié au jeu de l'in­ conscient littéraire [voir FANTASTIQUE, POÉSIE].. »

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