Héritage de l'Antiquité dans la littérature du Moyen-Âge
Publié le 19/08/2013
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Néanmoins, à y regarder de plus près, on ne peut refuser une évidence qui rentre en contradiction avec la construction d'un univers fictionnel associé à celui d'un monde merveilleux. Appuyons-nous sur l'épisode du songe d'Alexandre ( Branche I, laisses 9 à 14 ) où l'avenir du roi encore enfant est interprété par Aristote. Dans ce dernier, le merveilleux ( un serpent tournant autour d'oeuf comme symbole prémonitoire ) apparaît comme le mirage d'un savoir entrevu, mais non encore dominé. Il en est de même en ce qui concerne l'épisode du voyage sous-marin ( Branche III, laisses 18 à 29 ) et aérien ( Branche III, laisses 274 à 282 ), prémonitions à leur manière ou tout du moins présentiment quant à une technique, un art amené à se développer. Au sujet de l'art, le merveilleux du Roman de Thèbes présente ceci d'original qu'il est fréquemment associé avec le travail artistique (cf. tente et char d'Amphiaraüs.).
«
alors au public les arcanes et les mystères de l'ailleurs et l'océan indien devient ainsi un « récéptacle de rêves, de mythes et de légende » (J.
Le Goff, «l'Occident médiéval et l'océan indien : un horizon onirique » dans Pour un autre Moyen-Age, p.280-298).
Il paraît donc légitime de s'intéresser au hérosAlexandre et à ses aventures en gardant en tête qu'il incarne un rêve collectif de puissance et de connaissance.
On suit Alexandre dans ses périples et lelecteur s'enfonce malgré lui et avec le héros dans la faille de l'ambivalence : si Alexandre est avide de tout apprendre et élucider, il peine à bâtirconvenablement sa conquête et montre nombre de défauts qui participeront à sa perte.
Il en est ainsi de sa « largesse » tant vantée et peut-être à l'originede son empoisennement (il aura été trop « large » avec les vilains); il reste marqué tout au long de sa vie par la tâche originelle ( la batârdise ) et neparvient à fonder sur l'amour la perennité de son oeuvre ( l'épisode de la reine Candace est pour le moins frappant à cet égard par la tournure que prend lascène d'amour « courtois » : Alexandre manque de la tuer parce qu'elle a découvert son identité; l'amour pour Roxane est par ailleurs quelque peumalmené.
).
Tout cela sans compter qu'Alexandre est pourvu d'un orgueil démesuré.
Mais alors, comment faut-il comprendre l'adhésion que remporte cehéros ? Comment accepter ce caractère « hybride » (cf.
A.
Pauphilet, citation d'introduction.) si ce n'est par souci de réalisme ?Si l'attitude d'Alexandre dépasse les possibilités humaines, il permet le passage du surhumain au miraculeux et, du fait même de son ambivalence decaractère, il nous propose d'évoluer dans un monde non moins ambivalent dont les failles sont propices au surgissement du merveilleux.
Daniel Poirion,dans le merveilleux dans la littérature française du Moyen-Âge, propose une approche quasiment typologique du merveilleux dans le Roman d'Alexandre.
Ases côtés, on peut remarquer que le merveilleux en passe souvent par l'exagération de la force des protagonistes du Roman.
Preuve en est, Alexandre etses comparses n'ont crainte d'escalader à pleines mains la « Roche orgueilleuse ».
A la force surhumaine du héros et des personnages s'ajoute l'exhaltationde la virilité comme une vertu allant de pair avec la violence.
On peut noter à ce titre qu'il en est de même dans Philomena où la violence atteint un degréde cruauté si excessif (« Tandis que l'enfant la [Procné] tenait tendrement embrassée, poussée par le diable à comettre cet acte d'une cruauté vraimentdiabolique, elle lui a coupé la tête et l'a donnée à Philomena.
Ensuite, très rapidement, elles ont à elles deux soigneusement apprêté la chair (...).
Quand lachair fut bien cuite et bien rôtie, ce fut l'heure de manger (...).
Elle vient trouver le roi (...) et elle l'invite avec insistance à venir manger (...).
» (v.1328-1343) On devine la suite...) qu'elle ouvre une béance propice à la divaguation vers le merveilleux, territoire brutalement conquis.
Si ce qui est raconté n'estpas acceptable en tant que fait réel, c'est qu'il doit donc appartenir à l'imaginaire et conduit aisément à une interprétation du fait comme merveilleux ,proche du « il était une fois » du conte, disjoint du réel, mais pas de la réalité.
De la même façon et pour en revenir aux « romans antiques » et plusparticulièrement au Roman d'Alexandre, on peut remarquer que tous tissent un récit dans la trame continue du temps qu'ils retracent, dans ses origines,son devenir et sa fin, soit un ordre chronologique qui s'abstient pourtant de s'insérer entièrement dans une réalité historique.
Peut-être rejoignons-nous icice que signifie A.
Pauphilet lorsqu'il déclare que « l'originalité [des héros du roman d'Enéas et a forciori des romans antiques] est de n'appartenir tout à faità aucun temps.
».
Dans le Roman de Thèbes, c'est la figure de l'oracle qui infuse au texte la notion de fatalité, soit d'un pouvoir qui dépasse les temps etsoustrait le récit à la temporalité.
Mais venons-en plus précisément aux manifestations du merveilleux dans le Roman d'Alexandre et donnons en un relevéassez exhaustif : il y a bien sûr la tente d'Alexandre ( et son écho dans le Roman de Thèbes ) qui invoque les sortilèges et la magie ( l'extérieur en peau deserpent est infranchissable pour les femmes legères.
) et résume tout le savoir en son intérieur, où sont représentées les différentes découpes du temps etdu monde ; le bestiaire du Roman présente aussi nombre d'animaux merveilleux : le cheval d'Alexandre en premier lieu, Bucéphale, les hippopotamescarnivores qui entraînent les chevaliers sous l'eau, les oiseaux dangereux, les griffons, les lions blancs, les serpents ailés et enfin les couleuvres à têtes defemme portant une pierre magique au pouvoir guérisseur.
Seul Alexandre est capable, à chaque occasion, de maîtriser ces forces inconnues.
L'humaniténon plus n'est pas épargnée : l'homme prend des allures monstrueuses , le liotifal est nu, velu et mesure douze pieds de haut, tandis que d'autres sont« fendus jusq'au nombril » ( Branche III, laisse 179 ).
Dans le Roman de Thèbes, c'est le nom des hommes qui, en fonctionnant par glissementmétonymique, prend une connotation merveilleuse : Salamandre est le nom d'un païen, il circule alors ainsi de l'animal à l'humain.
Ici encore, ces racesnouvelles, entre hommes et bête, proposent une ouverture dans le champ des représentations : quid d'Adam et Eve ? Et quelle est la part de « bestialité »en Alexandre et ses compagnons ? Comment le conquérant apprehende-t-il le monde merveilleux qu'il a conquis, est-ce que conquérir et prendreéquivalent à comprendre ? Soit, si le merveilleux offre très vite une série d'interrogation philosophiques et religieuse, il n'en reste pas moins que lemerveilleux ne verse pas toujours du côté du positif.
Dans le Roman d'Alexandre, la nature « merveilleuse » est à la fois source d'émerveillement et depeur.
Les filles-fleurs, impossibles à cueillir, sont sources de frustrations; les filles de l'eau séduisent les chevaliers avant de les noyer, le val est« périlleux » etc.
On soupçonne alors le sortilège, l' « enchantement » diabolique.
L'une des occurrences du mot ( Branche III, v.2163 ), souligne d'ailleurscet entre-deux, espace d'ambivalence suggéré par le mot : « (...) Et le [Alexandre] traitent de fils de putain, né d'un enchanteur ».
Alexandre est batârd,pris dans l'entre-deux d'une identité à moitié assurée, « hybide », il semble tout compte fait évoluer dans le monde merveilleux qu'il conquiert.
Néanmoins,à y regarder de plus près, on ne peut refuser une évidence qui rentre en contradiction avec la construction d'un univers fictionnel associé à celui d'unmonde merveilleux.
Appuyons-nous sur l'épisode du songe d'Alexandre ( Branche I, laisses 9 à 14 ) où l'avenir du roi encore enfant est interprété parAristote.
Dans ce dernier, le merveilleux ( un serpent tournant autour d'oeuf comme symbole prémonitoire ) apparaît comme le mirage d'un savoir entrevu,mais non encore dominé.
Il en est de même en ce qui concerne l'épisode du voyage sous-marin ( Branche III, laisses 18 à 29 ) et aérien ( Branche III,laisses 274 à 282 ), prémonitions à leur manière ou tout du moins présentiment quant à une technique, un art amené à se développer.
Au sujet de l'art, lemerveilleux du Roman de Thèbes présente ceci d'original qu'il est fréquemment associé avec le travail artistique (cf.
tente et char d'Amphiaraüs.).
S'il y estaussi question d'enchantement ( v.4958.
Le char au sept arts n'a pu être réalisé que « par art, par enchantement » ), le rapprochement avec le mot artsous entend l'idée que ce dernier, en plus d'être un miroir de la science, serait porteur d'un savoir universel que l'homme ne peut acquérir parce que laraison est obscurcie par diverses servitudes ( après tout, Alexandre ne découvre-t-il pas de nouvelles techniques – y entendre tekhné, le savoir-faire, l'art –en agissant de manière audacieuse et contre l'avis de ses paires ? ).
Soit, par ce jeu d'ambivalence « mêlant l'étrange avec le familier » et présentant des« personnages (...) hybrides » ( cf.
citation initale de A.
Pauphilet ), on obtient donc des textes où le merveilleux même est mis en doute, « où l'on neressent qu'un dépaysement limité » puisque qu'ils jouxtent avec la réalité et ses aspirations sans vouloir s'y réduire.Encore faut-il remarquer que l'ambivalence ne se contente pas du seul récit et qu'elle a pour vocation de donner sens au « climat moral incertain » auquelA.Pauphilet fait référence.
Soit, si nous relisons ce qui vient d'être dit, on observe que le Roman d'Alexandre constitue une forme syncrétique, comme « uneutopie de transition entre les mythes antiques et les mots d'ordre chrétiens.
» ( Daniel Poirion, dans l'ouvrage cité plus haut.
) Et pour cause, les mythesantiques fondateurs, dans le cas du Roman d'Alexandre, mais aussi du Roman de Thèbes, de Pyrame et Thisbé et de Narcisse sont au service d'unmerveilleux à proprement parler médiéval.
Le traitement du merveilleux antique suggère alors une interprétation influencée par une réflexion sur lechristianisme.
Si les rapprochements à faire avec la Bible où avec la morale chrétienne sont nombreux, on peut s'étonner des manifestations de la présencede Dieu dans un univers marqué par le merveilleux.
Comment agencer l'incertitude induite par le merveilleux ainsi que les ambivalences des récits avec uneinterprétation chrétienne du monde ? Si les textes semblent être revêtus d'un sens caché ou à découvrir, comment l'appréhender ?
J.
Le Goff, dans le chapitre « le merveilleux » de son ouvrage, L'imaginaire médiéval (p.19), s'interroge sur la possibilité d'existence d'un merveilleuxchrétien dans le Roman d'Alexandre et dépasse le problème d'une incompatibilité entre la suspension interpérative du monde et la vision chrétienne decelui-ci en proposant de définir le merveilleux comme un « terme précoce pour qualifier des phénomènes surprenants, préalables à la prise en compted'une explication qui viendrait satisfaire la curiosité et supprimer l'étonnement.
» Ainsi énoncé, le merveilleux serait mis en doute dès lors que l'on pourraitl'identifier et cela reviendrait à restreindre les textes à une interprétation toute entière orientée vers la présence de la morale chrétienne et de l'existencede Dieu.
Christine Ferlampin-Acher dans Merveilles et topiques merveilleuses dans les romans médiévaux ( ed.
Honoré Champion ) rappelle à ce titreque si le miraculeux, le magique, le surnaturel, le fabuleux ou encore le prodigieux supposent l'existence d'une causalité et correspondent indubitablementà des interprétations, le merveilleux reste une interrogation maintenue en suspens.
C'est alors au tour de Philippe Ménard de nous éclairer, en avancantl'hypothèse d'une alliance entre le merveileux et le mystère : « Mystère et merveilleux sont deux réalités à la fois proches et distinctes.
Le merveilleux esttoujours mystérieux, mais l'inverse n'est pas vrai : le mystère n'est pas forcément merveilleux.
Dans la quête de l'étrange et du surprenant, le mystère,c'est le premier degré (...).
Il faut surtout se souvenir qu'en littérature, le mystère se tient en-deça du merveileux.
Il ne nous fait point pénétrer dans unmonde surnaturel.
Nous restons dans un monde humain, mais dans un monde obscur.
Nous sommes à la surface des choses parce que les explicationsnous font défauts.
» Dans le Roman de Thèbes, n'y aurait-il pas en effet un mystère à l'origine du monde merveilleux échaffaudé par le récit ? Nous avonsmentionné plus haut l'idée que l'oracle du Roman est une figure du fatum et plus particulièrement de la fatalité, insinuant un pouvoir au delà des temps,tout comme le Sphinx qui porte en lui l'énigme comme mystère originel questionnant la destinée de l'homme ( en effet, l'énigme porte sur le comportementde l'homme suivant les différents âges de la vie.
) Il y aurait donc là un double usage du mystère et du merveilleux : le premier se révèle aux initiés, et lesecond suscite un faiceau interprétatif multiple et impossible à réduire.
Et pour cause, lorsque Guy Raynaud de Lage, dans son édition du Roman de Thèbes( « Introduction », Le Roman de Thèbes, éd.
Guy Raynaud de Lage, Paris : Champion,2002, p.
32) remarque que l'auteur a « allégé la narration et du poids du Destin et du fatras mythologique », il nous faut comprendre que l'oracle est unmystère « perçé », rattrapé par la fiction et ce bien que la tension entre la prédestination divine et la liberté humaine soit toujours présente et reprise dansle texte via les enjeux posés par le merveilleux.Soit, il n'en reste pas moins qu'Oedipe tue tout de même son père, Laïus, involontairement.
Il revient à G.
Andreucci de relever dans son mémoire (M1.Fatum, prédestination et liberté : le Roman de Thèbes, roman chrétien ? p.12 et suites) qu'Oedipe n'est alors pas tout à fait maître de ses actes et agitcomme un simple agent.
Pareillement lors du meutre d'Atys par Tydée, c'est l'épée qui est fautive.
Et lorsque, aux vers 1583 à 1590, il est précisé qu'àl'épée de Tydée « ni fer ni acier ne lui résistent, jamais chevalier n'en posséda d'aussi bonne; le forgeron Galant la forgea et Vulcain en avait coulé le métal;trois déesses contribuèrent à sa trempe, et trois fées à lui donner un sortilège », on comprend qu'à la prédestination du meurtre du père, expression d'uneforce supérieure certes, mais attendue par le lecteur et allégée par l'auteur, se succède une apparition divine plus discrète et ambivalente ( car c'est uneaide autant qu'une malédiction que de posséder une telle épée ) qui contribue à infuser le mystère dans les moindres détails du récit.
D'autres objets sontaussi incertains dans leur pouvoir et leur nature, en témoigne les « semblances » que Darius offre à Alexandre ( Branche I, v.
1906.
).
Il revient donc à.
»
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