Héritage de l'Antiquité dans la littérature du Moyen-Âge
Publié le 11/06/2012
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J. Le Goff, dans le chapitre « le merveilleux « de son ouvrage, L'imaginaire médiéval (p.19), s'interroge sur la possibilité d'existence d'un merveilleux chrétien dans le Roman d'Alexandre et dépasse le problème d'une incompatibilité entre la suspension interpérative du monde et la vision chrétienne de celui-ci en proposant de définir le merveilleux comme un « terme précoce pour qualifier des phénomènes surprenants, préalables à la prise en compte d'une explication qui viendrait satisfaire la curiosité et supprimer l'étonnement. « Ainsi énoncé, le merveilleux serait mis en doute dès lors que l'on pourrait l'identifier et cela reviendrait à restreindre les textes à une interprétation toute entière orientée vers la présence de la morale chrétienne et de l'existence de Dieu. Christine Ferlampin-Acher dans Merveilles et topiques merveilleuses dans les romans médiévaux ( ed. Honoré Champion ) rappelle à ce titre que si le miraculeux, le magique, le surnaturel, le fabuleux ou encore le prodigieux supposent l'existence d'une causalité et correspondent indubitablement à des interprétations, le merveilleux reste une interrogation maintenue en suspens. C'est alors au tour de Philippe Ménard de nous éclairer, en avancant l'hypothèse d'une alliance entre le merveileux et le mystère : « Mystère et merveilleux sont deux réalités à la fois proches et distinctes. Le merveilleux est toujours mystérieux, mais l'inverse n'est pas vrai : le mystère n'est pas forcément merveilleux. Dans la quête de l'étrange et du surprenant, le mystère, ....
«
marqué tout au long de sa vie par la tâche originelle ( la batârdise ) et ne parvient à fonder sur l'amour la perennité de son oeuvre ( l'épisode de la reineCandace est pour le moins frappant à cet égard par la tournure que prend la scène d'amour « courtois » : Alexandre manque de la tuer parce qu'elle adécouvert son identité; l'amour pour Roxane est par ailleurs quelque peu malmené.
).
Tout cela sans compter qu'Alexandre est pourvu d'un orgueil démesuré.Mais alors, comment faut-il comprendre l'adhésion que remporte ce héros ? Comment accepter ce caractère « hybride » (cf.
A.
Pauphilet, citationd'introduction.) si ce n'est par souci de réalisme ?Si l'attitude d'Alexandre dépasse les possibilités humaines, il permet le passage du surhumain au miraculeux et, du fait même de son ambivalence de caractère,il nous propose d'évoluer dans un monde non moins ambivalent dont les failles sont propices au surgissement du merveilleux.
Daniel Poirion, dans le merveilleuxdans la littérature française du Moyen-Âge, propose une approche quasiment typologique du merveilleux dans le Roman d'Alexandre.
A ses côtés, on peutremarquer que le merveilleux en passe souvent par l'exagération de la force des protagonistes du Roman.
Preuve en est, Alexandre et ses comparses n'ontcrainte d'escalader à pleines mains la « Roche orgueilleuse ».
A la force surhumaine du héros et des personnages s'ajoute l'exhaltation de la virilité comme unevertu allant de pair avec la violence.
On peut noter à ce titre qu'il en est de même dans Philomena où la violence atteint un degré de cruauté si excessif(« Tandis que l'enfant la [Procné] tenait tendrement embrassée, poussée par le diable à comettre cet acte d'une cruauté vraiment diabolique, elle lui a coupé latête et l'a donnée à Philomena.
Ensuite, très rapidement, elles ont à elles deux soigneusement apprêté la chair (...).
Quand la chair fut bien cuite et bien rôtie,ce fut l'heure de manger (...).
Elle vient trouver le roi (...) et elle l'invite avec insistance à venir manger (...).
» (v.1328-1343) On devine la suite...) qu'elleouvre une béance propice à la divaguation vers le merveilleux, territoire brutalement conquis.
Si ce qui est raconté n'est pas acceptable en tant que fait réel,c'est qu'il doit donc appartenir à l'imaginaire et conduit aisément à une interprétation du fait comme merveilleux , proche du « il était une fois » du conte,disjoint du réel, mais pas de la réalité.
De la même façon et pour en revenir aux « romans antiques » et plus particulièrement au Roman d'Alexandre, on peutremarquer que tous tissent un récit dans la trame continue du temps qu'ils retracent, dans ses origines, son devenir et sa fin, soit un ordre chronologique quis'abstient pourtant de s'insérer entièrement dans une réalité historique.
Peut-être rejoignons-nous ici ce que signifie A.
Pauphilet lorsqu'il déclare que« l'originalité [des héros du roman d'Enéas et a forciori des romans antiques] est de n'appartenir tout à fait à aucun temps.
».
Dans le Roman de Thèbes, c'estla figure de l'oracle qui infuse au texte la notion de fatalité, soit d'un pouvoir qui dépasse les temps et soustrait le récit à la temporalité.
Mais venons-en plusprécisément aux manifestations du merveilleux dans le Roman d'Alexandre et donnons en un relevé assez exhaustif : il y a bien sûr la tente d'Alexandre ( et sonécho dans le Roman de Thèbes ) qui invoque les sortilèges et la magie ( l'extérieur en peau de serpent est infranchissable pour les femmes legères.
) et résumetout le savoir en son intérieur, où sont représentées les différentes découpes du temps et du monde ; le bestiaire du Roman présente aussi nombre d'animauxmerveilleux : le cheval d'Alexandre en premier lieu, Bucéphale, les hippopotames carnivores qui entraînent les chevaliers sous l'eau, les oiseaux dangereux, lesgriffons, les lions blancs, les serpents ailés et enfin les couleuvres à têtes de femme portant une pierre magique au pouvoir guérisseur.
Seul Alexandre estcapable, à chaque occasion, de maîtriser ces forces inconnues.
L'humanité non plus n'est pas épargnée : l'homme prend des allures monstrueuses , le liotifal estnu, velu et mesure douze pieds de haut, tandis que d'autres sont « fendus jusq'au nombril » ( Branche III, laisse 179 ).
Dans le Roman de Thèbes, c'est le nomdes hommes qui, en fonctionnant par glissement métonymique, prend une connotation merveilleuse : Salamandre est le nom d'un païen, il circule alors ainsi del'animal à l'humain.
Ici encore, ces races nouvelles, entre hommes et bête, proposent une ouverture dans le champ des représentations : quid d'Adam et Eve ?Et quelle est la part de « bestialité » en Alexandre et ses compagnons ? Comment le conquérant apprehende-t-il le monde merveilleux qu'il a conquis, est-ceque conquérir et prendre équivalent à comprendre ? Soit, si le merveilleux offre très vite une série d'interrogation philosophiques et religieuse, il n'en reste pasmoins que le merveilleux ne verse pas toujours du côté du positif.
Dans le Roman d'Alexandre, la nature « merveilleuse » est à la fois source d'émerveillementet de peur.
Les filles-fleurs, impossibles à cueillir, sont sources de frustrations; les filles de l'eau séduisent les chevaliers avant de les noyer, le val est« périlleux » etc.
On soupçonne alors le sortilège, l' « enchantement » diabolique.
L'une des occurrences du mot ( Branche III, v.2163 ), souligne d'ailleurs cetentre-deux, espace d'ambivalence suggéré par le mot : « (...) Et le [Alexandre] traitent de fils de putain, né d'un enchanteur ».
Alexandre est batârd, pris dansl'entre-deux d'une identité à moitié assurée, « hybide », il semble tout compte fait évoluer dans le monde merveilleux qu'il conquiert.
Néanmoins, à y regarderde plus près, on ne peut refuser une évidence qui rentre en contradiction avec la construction d'un univers fictionnel associé à celui d'un monde merveilleux.Appuyons-nous sur l'épisode du songe d'Alexandre ( Branche I, laisses 9 à 14 ) où l'avenir du roi encore enfant est interprété par Aristote.
Dans ce dernier, lemerveilleux ( un serpent tournant autour d'oeuf comme symbole prémonitoire ) apparaît comme le mirage d'un savoir entrevu, mais non encore dominé.
Il enest de même en ce qui concerne l'épisode du voyage sous-marin ( Branche III, laisses 18 à 29 ) et aérien ( Branche III, laisses 274 à 282 ), prémonitions à leurmanière ou tout du moins présentiment quant à une technique, un art amené à se développer.
Au sujet de l'art, le merveilleux du Roman de Thèbes présentececi d'original qu'il est fréquemment associé avec le travail artistique (cf.
tente et char d'Amphiaraüs.).
S'il y est aussi question d'enchantement ( v.4958.
Lechar au sept arts n'a pu être réalisé que « par art, par enchantement » ), le rapprochement avec le mot art sous entend l'idée que ce dernier, en plus d'être unmiroir de la science, serait porteur d'un savoir universel que l'homme ne peut acquérir parce que la raison est obscurcie par diverses servitudes ( après tout,Alexandre ne découvre-t-il pas de nouvelles techniques – y entendre tekhné, le savoir-faire, l'art – en agissant de manière audacieuse et contre l'avis de sespaires ? ).
Soit, par ce jeu d'ambivalence « mêlant l'étrange avec le familier » et présentant des « personnages (...) hybrides » ( cf.
citation initale de A.Pauphilet ), on obtient donc des textes où le merveilleux même est mis en doute, « où l'on ne ressent qu'un dépaysement limité » puisque qu'ils jouxtent avec laréalité et ses aspirations sans vouloir s'y réduire.Encore faut-il remarquer que l'ambivalence ne se contente pas du seul récit et qu'elle a pour vocation de donner sens au « climat moral incertain » auquelA.Pauphilet fait référence.
Soit, si nous relisons ce qui vient d'être dit, on observe que le Roman d'Alexandre constitue une forme syncrétique, comme « uneutopie de transition entre les mythes antiques et les mots d'ordre chrétiens.
» ( Daniel Poirion, dans l'ouvrage cité plus haut.
) Et pour cause, les mythesantiques fondateurs, dans le cas du Roman d'Alexandre, mais aussi du Roman de Thèbes, de Pyrame et Thisbé et de Narcisse sont au service d'un merveilleux àproprement parler médiéval.
Le traitement du merveilleux antique suggère alors une interprétation influencée par une réflexion sur le christianisme.
Si lesrapprochements à faire avec la Bible où avec la morale chrétienne sont nombreux, on peut s'étonner des manifestations de la présence de Dieu dans un universmarqué par le merveilleux.
Comment agencer l'incertitude induite par le merveilleux ainsi que les ambivalences des récits avec une interprétation chrétienne dumonde ? Si les textes semblent être revêtus d'un sens caché ou à découvrir, comment l'appréhender ?
J.
Le Goff, dans le chapitre « le merveilleux » de son ouvrage, L'imaginaire médiéval (p.19), s'interroge sur la possibilité d'existence d'un merveilleux chrétiendans le Roman d'Alexandre et dépasse le problème d'une incompatibilité entre la suspension interpérative du monde et la vision chrétienne de celui-ci enproposant de définir le merveilleux comme un « terme précoce pour qualifier des phénomènes surprenants, préalables à la prise en compte d'une explication quiviendrait satisfaire la curiosité et supprimer l'étonnement.
» Ainsi énoncé, le merveilleux serait mis en doute dès lors que l'on pourrait l'identifier et celareviendrait à restreindre les textes à une interprétation toute entière orientée vers la présence de la morale chrétienne et de l'existence de Dieu.
ChristineFerlampin-Acher dans Merveilles et topiques merveilleuses dans les romans médiévaux ( ed.
Honoré Champion ) rappelle à ce titreque si le miraculeux, le magique, le surnaturel, le fabuleux ou encore le prodigieux supposent l'existence d'une causalité et correspondent indubitablement à desinterprétations, le merveilleux reste une interrogation maintenue en suspens.
C'est alors au tour de Philippe Ménard de nous éclairer, en avancant l'hypothèsed'une alliance entre le merveileux et le mystère : « Mystère et merveilleux sont deux réalités à la fois proches et distinctes.
Le merveilleux est toujoursmystérieux, mais l'inverse n'est pas vrai : le mystère n'est pas forcément merveilleux.
Dans la quête de l'étrange et du surprenant, le mystère, c'est le premierdegré (...).
Il faut surtout se souvenir qu'en littérature, le mystère se tient en-deça du merveileux.
Il ne nous fait point pénétrer dans un monde surnaturel.Nous restons dans un monde humain, mais dans un monde obscur.
Nous sommes à la surface des choses parce que les explications nous font défauts.
» Dans leRoman de Thèbes, n'y aurait-il pas en effet un mystère à l'origine du monde merveilleux échaffaudé par le récit ? Nous avons mentionné plus haut l'idée quel'oracle du Roman est une figure du fatum et plus particulièrement de la fatalité, insinuant un pouvoir au delà des temps, tout comme le Sphinx qui porte en luil'énigme comme mystère originel questionnant la destinée de l'homme ( en effet, l'énigme porte sur le comportement de l'homme suivant les différents âges dela vie.
) Il y aurait donc là un double usage du mystère et du merveilleux : le premier se révèle aux initiés, et le second suscite un faiceau interprétatif multipleet impossible à réduire.
Et pour cause, lorsque Guy Raynaud de Lage, dans son édition du Roman de Thèbes ( « Introduction », Le Roman de Thèbes, éd.
GuyRaynaud de Lage, Paris : Champion,2002, p.
32) remarque que l'auteur a « allégé la narration et du poids du Destin et du fatras mythologique », il nous faut comprendre que l'oracle est unmystère « perçé », rattrapé par la fiction et ce bien que la tension entre la prédestination divine et la liberté humaine soit toujours présente et reprise dans letexte via les enjeux posés par le merveilleux.Soit, il n'en reste pas moins qu'Oedipe tue tout de même son père, Laïus, involontairement.
Il revient à G.
Andreucci de relever dans son mémoire (M1.
Fatum,prédestination et liberté : le Roman de Thèbes, roman chrétien ? p.12 et suites) qu'Oedipe n'est alors pas tout à fait maître de ses actes et agit comme unsimple agent.
Pareillement lors du meutre d'Atys par Tydée, c'est l'épée qui est fautive.
Et lorsque, aux vers 1583 à 1590, il est précisé qu'à l'épée de Tydée« ni fer ni acier ne lui résistent, jamais chevalier n'en posséda d'aussi bonne; le forgeron Galant la forgea et Vulcain en avait coulé le métal; trois déessescontribuèrent à sa trempe, et trois fées à lui donner un sortilège », on comprend qu'à la prédestination du meurtre du père, expression d'une force supérieurecertes, mais attendue par le lecteur et allégée par l'auteur, se succède une apparition divine plus discrète et ambivalente ( car c'est une aide autant qu'unemalédiction que de posséder une telle épée ) qui contribue à infuser le mystère dans les moindres détails du récit.
D'autres objets sont aussi incertains dans leurpouvoir et leur nature, en témoigne les « semblances » que Darius offre à Alexandre ( Branche I, v.
1906.
).
Il revient donc à Alexandre d'incarner la figure dusceptique et de participer avec lucidité et discernement au monde qui l'entoure.
Pour preuve, il apparaît comme le maître de la glose ( v.2028-2030 ), cherche àéprouver la réalité des difficultés auxquelles il est confronté ( tel qu'il en est lors de l'épisode des statues aux bornes d'Hercule, Branche III, laisse 141 ou encorede la grotte de Liber et Arthur, Branche III, laisse 186.).
De plus, il présente un goût prononcé pour le changement : il retourne la lettre et les envois de Dariusà son avantage; se déguise ou prend l'identité d'un autre en se faisant passé pour Antigonus (Branche III, laisse 191).
Sans verser dans la caricature, il estmanifeste que le personnage d'Alexandre est, du fait de ses attitudes, à rapprocher de l'auteur lui-même.
C'est alors que se forge une instance narrative àl'identité complexe, propice à la formation d'un véritable statut d'écrivain.Tout dabord et même si le narrateur conserve son omniscience, il convient de remarquer que sa position perd en transparence devant un personnage (.
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