Harangue du vieux tahitien, Diderot
Publié le 14/01/2013
Extrait du document


«
apocalyptique que renforcent encore les allusions à la destruction et la mort ( calamité, funeste
avenir ).
L’énumération des méfaits des colonisateurs donne à l’évocation un caractère vivant qui
cherche à frapper l’imagination des auditeurs ( hypotypose ).
En même temps, le vieillard use d’un
autre procédé du langage prophétique en procédant par énigme : usage du conditionnel et de
l’indéfini : vous auriez un moyen d’échapper à un funeste avenir, mais j’aimerais mieux mourir que
de vous en donner le conseil .
(En fait, il pense à une mise à mort des étrangers, solution qui est
contraire à son éthique, comme l’indique le souhait par lequel il clôt ce discours : qu’ils s’éloignent
et qu’ils vivent ).
La dénonciation du vieillard prend une signification à la fois morale et politique.
Il fustige
l’immoralité des Européens tout au long de son discours : à « méchants et ambitieux » répond
symétriquement ensuite « leurs extravagances et leurs vices » ; il souligne la dégradation morale
que cette colonisation va entraîner chez les Tahitiens.
La comparaison ternaire : « aussi
corrompus, aussi vils, aussi malheureux » met l’accent sur l’idée de dénaturation morale qui sera au
centre de son second discours.
Enfin, le vieillard (et à travers lui Diderot) dénonce les institutions au
service desquelles agissent les colonisateurs : l’armée et l’église, désignées par métonymie , à l’aide
de leur attribut respectif : l’épée et la croix.
Bref au-delà de Bougainville et de son expédition, c’est
bien la collusion entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux qui est ici condamnée.
Dès ce premier discours, le vieillard incarne la figure du sage.
Il s’oppose par sa lucidité et
sa puissance visionnaire à l’aveuglement de son peuple ; il s’adresse à eux comme un père ou un
patriarche à ses « fils », cherchant à les « éveiller », à les effrayer ou les émouvoir - en leur
annonçant sa fin prochaine (« je me console, je touche à la fin de ma carrière ») – pour les sauver.
Il
s’oppose aussi aux européens et renverse par ses paroles l’opposition conventionnelle entre le
sauvage et le civilisé : à la cruauté des colonisateurs, que l‘Eglise cautionne scandaleusement, il
répond par la magnanimité et la modération (comme l’indique l’ antithèse des lignes 7-8 où le
vieillard n’invoque la possibilité de mettre à mort les étrangers que pour la rejeter comme contraire
à ses valeurs morales).
2.
La harangue contre la colonisation (lignes 19-32)
Le second discours est adressé à Bougainville (Orou, un autre tahitien, n’est interpellé dans
le discours qu’à titre de témoin à charge, ligne18) ; il a pour but de dénoncer les méfaits et
l’illégitimité de la colonisation.
Plus développé, ce discours est aussi strictement construit selon les
règles de l’art oratoire.
Après un bref exorde (lignes 9-10), le vieillard en vient à l’énoncé des faits
(ligne 10-17) avant de proposer une réfutation des arguments colonialistes (ligne 18-29).
Une
péroraison concise, symétrique à l’exorde, conclut cette partie du discours (ligne 30-32 ; mais le
discours n’est pas achevé !).
L’exorde s’ouvre par une interpellation accusatrice du destinataire : Bougainville, désigné
par une périphrase dépréciative (« chef des brigands »), est déjà dénoncé comme voleur et assassin.
Le ton et la thématique centrale du discours sont ainsi clairement annoncés.
Exorde et péroraison se
répondent par l’usage de l’injonction (« écarte ton vaisseau », « Laisse-nous nos mœurs »).
Cette
double exhortation exprime la même idée de rupture nécessaire entre les Tahitiens et les Européens
et suggère l’incompatibilité de leurs modes de vie.
La détermination du vieillard s’accompagne d’un
jugement sans appel des mœurs européennes ( oxymore ironique des « inutiles lumières »).
Le corps du discours commence par une séquence assertive (ligne 10-17) qui énumère les
effets nocifs de l’arrivée des Européens à Tahiti.
Cette séquence procède par juxtaposition
d’ antithèses qui opposent société européenne et société tahitienne.
Le « tu » s’oppose au « nous ».
Quelles sont les accusations qui ressortent de ce réquisitoire ? Les Européens sont accusés de
menacer le bonheur des Tahitiens (ligne11) en dénaturant leur « caractère » (ligne 12) : par
l’introduction du sens de la propriété privée (ligne 12), par l’introduction de la passion et de la
violence dans les rapports sexuels (lignes 13-16) ; et en déniant la liberté des Tahitiens (lignes 16-
17).
Les antithèses permettent d’opposer à la fois deux univers culturels absolument différents et de
faire ressortir les effets désastreux de l’arrivée des blancs.
Tous les verbes qui désignent l’action.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La harangue du vieux tahitien
- Discours du vieux Tahitien_Supplément au voyage de Bougainville_DIDEROT
- Dans cet extrait, Diderot imagine le discours que pourrait faire un chef tahitien au navigateur et colon Bougainville.
- Diderot, Supplément au voyage de Bougainville (1796) / Discours du vieillard tahitien"
- Diderot, Supplément au voyage de Bougainville (1796) / Discours du vieillard tahitien