Guy de Maupassant : « La nuit. Cauchemar », extrait de Scènes de la vie parisienne
Publié le 27/09/2018
Extrait du document
Je criai. Personne ne me répondit. J'appelai plus fort. Ma voix s'envola, sans écho, faible, étouffée, écrasée par la nuit, par cette nuit impénétrable. Je hurlai : « Au secours! au secours! au secours! » Mon appel désespéré resta sans réponse. Quelle heure était-il donc? Je tirai ma montre, mais je n'avais point d'allumettes. J'écoutai le tic-tac léger de la petite mécanique avec une joie inconnue et bizarre. Elle semblait vivre. J'étais moins seul. Quel mystère ! Je me remis en marche comme un aveugle, en tâtant les murs de ma canne, et je levais à tout moment les yeux vers le ciel, espérant que le jour allait enfin paraître; mais l'espace était noir, tout noir, plus profondément noir que la ville. Quelle heure pouvait-il être? Je marchais, me semblait-il, depuis un temps infini, car mes jambes fléchissaient sous moi, ma poitrine haletait, et je souffrais de la faim horriblement... Et tout à coup, je m'aperçus que j'arrivais aux Halles. Les Halles étaient désertes, sans bruit, sans un mouvement, sans une voiture, sans un homme, sans une botte de légumes ou de fleurs. Elles étaient vides, immobiles, abandonnées, mortes ! Une épouvante me saisit, horrible. Que se passait-il? Oh! mon Dieu! que se passait-il? Je repartis. Mais l'heure? qui me dirait l'heure? Aucune horloge ne sonnait dans les clochers ou dans les monuments. Je pensai : « Je vais ouvrir le verre de ma montre et tâter l'aiguille avec mes doigts. » Je tirai ma montre... elle ne battait plus... elle était arrêtée. Plus rien, plus rien, plus un frisson dans la ville, pas une lueur, pas un frôlement de son dans l'air. Rien ! plus rien! plus même le roulement lointain du fiacre, plus rien! J'étais aux quais, et une fraîcheur glaciale montait de la rivière. La Seine coulait-elle encore? Je voulus savoir, je trouvai l'escalier, je descendis... Je n'entendais pas le courant bouillonner sous les arches du pont... Des marches encore... puis du sable... de la vase... puis de l'eau... j'y trempai mon bras... elle coulait... froide... froide... froide... presque gelée... presque tarie... presque morte. Et je sentais bien que je n'aurais plus jamais la force de remonter... et que j'allais mourir là... moi aussi, de faim - de fatigue - et de froid.
«
J'étais aux quais, et une fraîcheur glaciale montait de la rivière.
La Seine coulait-elle encore 1 Je voulus savoir, je trouvai l'escalier, je descendis ...
Je n'entendais
pas le courant bouillonner sous les arches du pont.
..
Des marches
encore . ..
puis du sable . ..
de la vase ...
puis de l'eau ...
j'y trempai mon bras ...
elle coulait...
froide ...
froide . ..
froide ...
presque gelée . ..
pres-
que tarie ...
presque morte.
Et je sentais bien que je n'aurais plus jamais la force de remonter ...
et que j'allais mourir là ...
moi aussi, de faim -de fatigue -et de
froid.
Guy de
MAUPASSANT, Scènes de la vie parisienne.
Vous ferez
de cet extrait d'un conte de Maupassant un commentaire
composé que vous organiserez à votre gré.
Vous pourriez par
exemple, tout en étudiant les moyens littéraires qu'a utilisés
l'auteur, montrer le lien qui existe entre les différents thèmes de
cette page.
Depuis les travaux de Freud et les découvertes de la psychanalyse,
nous savons à quel point
le rêve peut être le révélateur de désirs ou
d'angoisses refoulés dans
le subconscient.
Un des maîtres du conte
fantastique, Maupassant, nous
offrait déjà, dans une page extraite des
Scènes
de la vie parisienne, un exemple particulièrement
saisissant de cauchemar :
la technique de l'écrivain lui permet de
nous communiquer
la sensation d'angoisse qui étreint le rêveur , et
que précisera une étude des
motifs de cette « aventure nocturne ».
L'écriture même de ce passage excelle à traduire l'atmosphère
d'angoisse propre au cauchemar.
Le rythme des phrases est haché,
voire haletant, en raison des très nombreux parallélismes
de
construction ; les expressions se succèdent et s'accumulent par
simple juxtaposition :
« Ma voix s'envola, sans écho, faible,
écrasée par la nuit...
»; « l'espace était noir, tout noir, plus
profondément noir que
la ville ,.
; « Les Halles étaient désertes,
sans bruit, sans un mouvement, sans une voiture, sans un homme,
sans une botte de légumes ou de
fleurs .
Elles étaient vides,
immobiles, abandonnées, mortes
» ; « Plus rien, plus rien, plus un
frisson dans
la ville, pas une lueur, pas un frôlement de son dans
l'air
» ; « elle coulait...
froide...
froide ...
froide ...
presque gelée ...
presque tarie...
presque morte.
» Le texte est fractionné en de
nombreux paragraphes, dont certains se réduisent à une seule
question angoissée :
« La Seine coulait-elle encore? ».
A de
nombreuses reprises
(§ 4, 7, 10 et 11), des points de suspension.
»
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