GUILLERAGUES, Gabriel-Joseph de La Vergne, comte de
Publié le 15/12/2018
Extrait du document
«
Esprit
né pour la Cour et maître en l'art de plaire,
Guilleragues qui sais et parler et te taire.
On savait qu'il avait fait partie du cercle peu nom
breux que Boileau et Racine consultaient avant de
publier leurs ouvrages, qu'il avait dirigé un temps la
Gazelle, et le style de celle-ci, dit Bayle, «en était
devenu aisé et coulant» (voir, par exemple, les articles
sur la mort de Turenne, en 1675, ou sur la bataille de
Tabago aux Antilles, en 1677).
Son amie M'"• de Sévigné
a rapporté de ses bons mots.
dont celui sur le poète
Pellisson qui «abusait de la permission qu'ont les hom
mes d'être laids».
Saint-Simon reconnaît aussi son
esprit : «Celui-ci avait eu accès et puis familiarité avec
ce qu'il y avait de meilleur à la Cour et à Paris ...
», mais,
sans doute eu égard à ses liens avec M'"' de Maintenon,
nuance un peu la séduction du personnage : « ...
gour
mand, plaisant, de beaucoup d'esprit, d'excellente com
pagnie, qui avait des amis et vivait à leurs dépens ».
Né à Bordeaux, il avait fait ses études au collège de
Navarre, le meilleur qui fOt pour l'étude de l'Antiquité.
Les Mémoires de Daniel de Cosnac nous renseignent un
peu sur sa jeunesse, qui ne dédaignait pas les plaisirs.
En
1651, le prince de Conti le remarque à Bordeaux et se
l'attache; il l'aura près de lui lors de son gouvernement
de Guyenne, ainsi qu'en 1655, aux États du Languedoc,
et en 1656, à Pézenas, où joue Molière et où Guilleragues
ordonne les plaisirs.
Après un riche mariage en 1658
avec Marie-Anne de Pontac, il est, en 1660, nommé pre
mier président de la cour des Aides de Bordeaux.
Il vivra
en province jusqu'à la mort du prince de Conti en 1666,
date à laquelle il sollicite un emploi près du roi et vend
sa charge pour venir s'installer à Paris.
Il y fréquente la
société de l'Hôtel de Richelieu (M'"'8 de Coulanges, de
Sévigné, Barillon, Je cardinal d'Estrées ...
).
C'est l'épo
que où il compose l'essentiel de son œuvre, les Valentins
paraissant en octobre 1668 et les Lettres portugaises en
janvier 1669.
Il achète la charge de gentilhomme ordi
naire de la chambre du roi, devient un homme en vue à
la Cour et gagne l'amitié du prince de Marcillac, fils de
La Rochefoucauld et favori de Louis XIV.
Il vend sa charge en 1675.
En 1678, protégé par Col
bert et Seignelay, il obtient une ambassade à Constanti
nople : il s'y occupe à des discussions sur le cérémonial
ainsi qu'à des négociations au sujet de l'expédition de
Duquesne contre les Tripolitains.
Il utilise les lumières
de Galland pour enrichir les collections du roi et meurt
d'apoplexie.
Il semble qu'il ait été assez vite oublié.
Seul, vingt ans plus tard, Galland, dédiant Je recueil
des Mille et Une Nuits à Mm• de Villiers d'O, fille de
Guilleragues (et mère de la future Mm• d'Épinay), rappel
lera « la perte irréparable de ce génie [ ...
], Je plus capable
de goOter et de faire estimer les belles choses >>.
« Ses
moindres pensées, toujours brillantes, ses moindres
expressions, toujours précises et délicates, faisaient l'ad
miration de tout le monde, et personne n'ajoint ensemble
tant de grâces et tant de solidité >>.
Le roman des Lettres portugaises
Dès leur parution, en 1669, les Lettres portugaises
suscitèrent de très vives polémiques : d'une part, elles
paraissaient un prolongement -en plus naturel -des
tragédies raciniennes.
De 1' autre, un certain public,
auquel se rangera Saint-Simon, se fondant sur la chroni
que galante, croit fermement qu'il s'agit de vraies lettres
d'amour adressées à un certain Chamilly par une reli
gieuse portugaise, et 1' Avertissement de l'éditeur insiste
à dessein sur la valeur de document humain du recueil.
Pourtant, bien des contemporains avisés (Guéret, Le
Pays ...
) y soupçonnent un excès de réalisme, un effet de
vraisemblable qui trahit l'illusion.
Donneau de Visé, en
1693, définit Guilleragues comme « un homme qui fait
1070 très
bien des vers aussi bien que des lettres amoureu
ses», et M'"• de Sévigné qualifie de «portugaise» une
lettre d'amour réussie, comme elle dirait d'une lettre
spirituelle que c'est une «voiture» (c'est-à-dire «digne
de Voiture »).
Dans sa fameuse lettre à Racine de 1684, à propos des
paysages vrais et imaginés de la Grèce, Guilleragues
dévoile quelque peu son esthétique de romancier mas
qué : «Dans le fond, les grands auteurs, par la seule
beauté de leur génie, ont pu donner des charmes éternels
et même l'être aux royaumes, la réputation aux nations,
le nombre aux armées et la force aux simples murailles >>.
Au xvmc siècle, Rousseau est à peu près le seul à
pencher pour 1' art : « Je parierais tout au monde que les
L.P.
ont été écrites par un homme>>.
Le XIX", derrière
Sainte-Beuve, croit plutôt ces lettres« écrites au moment
de la passion [ ...
] d'un charme particulier dans leur
désord re>>.
Il faudra attendre 1926 et J'article de
F.C.
Green pour que soient dénoncées les contradictions
de la thèse du chef-d'œuvre instinctif; en 1954, Leo
Spitzer traite enfin les Lettres en œuvre, liant la composi
tion dramatique au mouvement psychologique, étudiant
leur influence sur Rilke, qui les traduisit.
Jacques Rou
geot rattache l'inspiration des Lettres à celle des Va/en
tins et, avec Frédéric Deloffre, donne la première édition
critique des Œuvres de Guilleragues, en soulignant l'im
portance des sources littéraires : élégiaques latins, Sénè
que, Racine, auteurs modernes de maximes et de ques
tions d'amour, etc.
Les cinq lettres de la Religieuse
commencent à être décrites comme les cinq actes d'une
tragédie, avec crise, stances, catastrophe et perspective
morale, comme l'histoire d'une victoire de la lucidité
sur la passion.
Aujourd'hui, l'œuvre fascine encore la
critique par son statut ambigu et son caractère de com
munication bloquée, source paradoxale de sa dynamique.
Les Lettres se réfèrent à un discours absent, les lettres
du chevalier, puis à son silence.
Essentielles à l'évolu
tion du roman, les Lettres montrent qu'il est possible
d'écrire quelque chose en ne parlant de rien : « Le texte
de la Religieuse peut s'écrire, non pas par une casuisti
que amoureuse, mais par un développement de l'écriture
elle-même>> (Fabien Sfez).
[Voir aussi MYSTIFICATION
LITTÉRAIRE)..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Lettres portugaises traduites en français de Gabriel-Joseph de La Vergne, comte de Guilleragues
- GUILLERAGUES (Gabriel Joseph de Lavergne, comte de)
- ADÉLAÏDE. Nouvelle de Joseph Arthur, comte de Gobineau (fiche de lecture)
- LAUDON Louis de. Personnage du roman de Joseph Arthur, comte de Gobineau, les Pléiades
- PLÉIADES (les). Roman de Joseph Arthur, comte de Gobineau (résumé et analyse de l'oeuvre)