GUILLAUME DE DIGULLEVILLE : sa vie et son oeuvre
Publié le 15/12/2018
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GUILLAUME DE DIGULLEVILLE (xive siècle). Dans le Songe du vieil peleriti, Philippe de Mézières se réfère à « une belle figure que le noble moine de Chaalis récite dans son Pèlerinage de l'âme » (I, 572). Il s’agit en effet d’un véritable modèle qu’a composé Guillaume de Digulleville (ou de Deguileville), moine cistercien,
prieur de Chaalis, mort en 1380, avec sa trilogie de poèmes allégoriques, souvent recopiés, traduits, illustrés et encore édités au XVIIe siècle, le Pèlerinage de Vie humaine (1331), le Pèlerinage de Pâme (1355) et le Pèlerinage Jésus Christ. Ces trois textes, qui sont un aboutissement de la tradition de l’allégorie religieuse, permettent mieux que d’autres de saisir le fonctionnement du procédé et constituent un important témoignage sur la mentalité de l’époque.
L'allégorie et la doctrine
« Cy sensuit le noble romant/Du pelerin bon et utile/Compose bien elegamment/Par Guillaume de Deguileville... » Le narrateur de Pèlerinage de Vie humaine voit apparaître en songe la Jérusalem céleste. Le voici dans la situation de l’homme qui vient de naître à la vie terrestre. Une belle femme se présente pour l’aider et le conduit à une maison où un personnage cornu habillé en évêque le lave par le baptême des souillures de neuf mois. C’est Moïse, devant lequel va se dérouler un débat entre Grâce, Raison, Nature, qui délimite les domaines de validité de chacune des notions : Nature doit se soumettre à Grâce après que Raison, assistée d’Aristote, a été incapable d’expliquer le mystère de la transsubstantiation. Le pèlerin reçoit, dans un passage à caractère humoristique (rien ne lui va parce qu’il est trop gras), son équipement, son bourdon
«
en
1355, enrichie de passages en latin et destinée à un
public de clercs, précise cette orientation, mettant le
Roman du côté des dangereuses séductions de la jeunesse
(cf.
P.-Y.
Badel).
R.
Tuve (Ailegoricallmegery, 1966) a magistralement
analysé les illustrations des manuscrits, les échanges
entre le signe peint et le signe écrit, cette quête de l'adé
quation entre mot et image qui est l'impossible rêve de
l'allégorie.
Le réalisme grotesque des figures de Vices,
le génie du laid, qui confine à l'art fantastique (en parti
culier pour la représentation bestiale de Rude Entende
ment), se combine avec le caractère abstrait de la signifi
cation.
Texte et image sont deux réalisations de l'idée,
l'image servant de limite asymptotique de l'écriture et
procurant l'appréhension immédiate du sens.
Mais elle
en est aussi le point de départ, car elle ne s'explicite que
par l'intermédiaire du discours, qui redéploie en mots les
signes peints.
Pèlerinage de l'âme
et Pèlerinage Jésus Christ
Ces « suites » sont à la fois complémentaires et diffé
rentes.
La référence au Roman de la Rose disparaît au
profit de texte� comme la Divine Comédie ou les œuvres
des Chartrains.
L'âme, libérée du corps, est mise en
jugement.
Guidée par son Ange gardien, défendue par
saint Michel, elle est sauvée de l'Enfer par Miséricorde
et se retrouve au Purgatoire.
Le texte nous conduit, à
travers les espaces, aux lieux où l'âme a péché; aussi
est-il parsemé d'allusions satiriques contemporaines
(jugement sévère concernant les fonctionnaires royaux,
l'armée de mercenaires).
Le Pèlerinage Jésus Christ
nous ramène au prince de la Jérusalem céleste qui mourut
d'une plaie au flanc : la vie du Christ d'après Matthieu
et Luc relie le destin individuel à celui de l'univers.
L'allégorie atteint alors ce vers quoi elle tend implicite
ment dans la plupart des œuvres qu'elle inspire: la vision
totale, l'explication de toute la réalité, J'organisation du
sens de la vie humaine et de celui du monde.
L'adéqua
tion n'est plus seulement question d'écriture entre le
langage et J'imagination, mais de métaphysique : dans la
quête du sens « immédiat » dans 1' image, se reflète celle
d'un sens ultime des choses.
La métaphore même du
pèlerinage devient alors non seulement source du texte
mais miroir de son fonctionnement.
[Voir ALLÉGORIE
MÉDIÉVALE, ROMAN DE LA ROSEl.
BIBLIOGRAPHŒ
Texte.
-Éd.
J.J.
StUrzinger, le Pèlerinage de Vie humaine,
Londres, 1893; le Pèle rina ge de l'âme, Londres, 1895; le Pèleri
nage Jésus Chris t, Londres, 1897.
A consulter.
-· E.
Faral, Histoire littéraire de la France.
XXXIX, 1962: le s pages consacrées au Pèlerinage de Vie
humaine par P.-Y.
Badel dans le Roman de la Rose au xtv' siècle,
Genève.
Droz.
1980: R.
Bergmann.
Die Pilgerfahrt z:um him
mlischen Jerusa1em.
Wiesbaden, L Reichert, 1983 (reprint du
Pèlerinage de vie humaine): ainsi que les articles suivants:
J.H.
Blythe.
« The Influence of Latin Manuals on Medieval Alle
gory », Romania, XCV, 1974; J.M.
Keenan.
«The Cistercian
Pilgrimage to Jerusalem », dans J.R.
Sommerfeldt, Studies in
Medieval Cistercian History, Kalamazoo, Western Michigan
Univ., 1976..
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