Guillaume APOLLINAIRE, Oeuvres poétiques, «Poème à Yvonne»
Publié le 18/10/2010
Extrait du document
Vous dont je ne sais pas le nom ô ma voisine Mince comme une abeille ô fée apparaissant Parfois à la fenêtre et quelquefois glissant Serpentine onduleuse à damner ô voisine
Et pourtant soeur des fleurs ô grappe de glycine
En robe verte vous rappelez Mélusine'
Et vous marchez à petits pas comme dansant Et quand vous êtes en robe bleu-pâlissant Vous semblez Notre-Dame des fleurs ô voisine Madone dont la bouche est une capucine
Sinueuse comme une chaîne de monts bleus Et lointains délicate et longue comme un ange Fille d'enchantements mirage fabuleux
Une fée autrefois s'appelait Mélusine Ô songe de mensonge avril miraculeux
Tremblante et sautillante ô vous l'oiselle étrange Vos cheveux feuilles mortes après la vendange Madone d'automne et des printemps fabuleux Une fée autrefois s'appelait Mélusine
Êtes-vous Mélusine ô fée ô ma voisine
Guillaume APOLLINAIRE, Oeuvres poétiques, «Poème à Yvonne«, 1903.
Vous ferez un commentaire composé de ce poème. Vous pourrez montrer par exemple comment, grâce à la magie de l'écriture poétique, Apollinaire transforme la vision fugitive d'une femme en une rêverie lyrique.
Ce beau poème exige une analyse détaillée des formes, des effets poétiques, des sonorités... On essaiera en particulier d'en mettre en valeur la beauté musicale. On verra comment le poète transforme le thème très classique (la rencontre amoureuse) en une méditation sur les deux visages de la femme (Madone et Mélusine). Le poème d'Apollinaire suppose, pour être abordé dans de bonnes conditions, une bonne connaissance de son ceuvre et des images qui la parcourent (et que l'on trouve déjà dans ce texte qui date de sa jeunesse).
«
Madone dont la bouche est capucine
donne à la fleur une connotation plus vibrante et plus enflammée : fleur ronde de couleur rouge et orangée, lacapucine est à la fois rappel à l'enfance (qui ne dansa, tout en rond, la capucine ?) et appel brûlant aux baisers surdes lèvres rouges...
La jeune fille devient donc, à elle seule, tant elle est fleurs de toutes sortes, un «avril miraculeux», et la «madone(...) des printemps fabuleux».
Étrangement aussi, dans cette même dernière strophe, elle prend une tout autrecouleur et s'associe à d'autres images :
Vos cheveux feuilles mortes après la vendange
renvoient certes, l'image est transparente, à la blondeur classique de la chevelure (on remarquera que c'est, avec labouche, la seule partie du visage de la femme qui est explicitement citée), mais, la référence suivante à «l'automne»renforçant encore cette sensation, il y a subitement comme un sentiment de l'écoulement brutal du temps etbeaucoup de nostalgie dans la strophe, avec ces «feuilles mortes», ces «vendanges» et la préposition «après» quimarquent le passage inexorable des jours et un au-delà de la maturité (univers donc d'où disparaissent les fleurs)...Il apparaît ainsi que la jeune fille revêt un double aspect : la «voisine» semble en effet placée sous le double signedu vert, qui la fait ressembler à Mélusine, ou du «bleu-pâlissant» qui la fait prendre pour la madone...
Automne ouprintemps, laquelle est la vraie ?
Dans sa «robe bleu-pâlissant» qui évoque la virginité par ses couleurs pâles (blanc et bleu, couleurs de la Viergecatholique, auxquelles autrefois étaient voués certains enfants) que le participe présent «pâlissant» accentueencore, elle est une créature lointaine qui passe, une fleur inaccessible.
Sinueuse comme une chaîne de monts bleus Et lointains...
Le bleu ici encore traduit l'éloignement (ce que l'enjambement, avec rejet de l'expression : «Et lointains» appliquésaux monts auxquels elle est assimilée, accentue encore) : elle est couleur de l'horizon, pays bleu, que l'on s'efforced'atteindre, terre promise, espérance, rêve, illusion peut-être, elle prend en compte tous les désirs des hommes.
Elleest encore, un peu plus loin, dans le même registre mystique ou religieux, associée à «un ange»...
Mais la jeune fille,à d'autres moments, semble revêtir d'autres apparences, qui la rendent peut-être plus inquiétante.
Associée à des créatures non humaines, on l'a vu, abeille ou oiselle, la jeune voisine est aussi, par sa démarche, liéeà d'autres créatures animales, moins sympathiques : ainsi est-elle, aussi, à certains égards, femme serpent, ouplutôt «...glissant serpentine onduleuse...» : l'image, certes, est belle (et on la trouve déjà chez Baudelaire :démarche onduleuse de la femme sensuelle comparée à un «serpent qui danse»), mais aussi vaguement inquiétante,comme si la femme n'était plus tout à fait humaine, non plus marchant, mais «glissant».
Les sonorités sont d'uneexquise douceur : «serpentine» en particulier, avec sa finale en «-ine», ce suffixe diminutif féminin qui adoucit ceque le terme de serpent pourrait avoir de brutal et de trop direct, et qui permet au mot de reprendre la tonalitédominante du poème, puisque, seulement à la rime, cette sonorité revient neuf fois dans un ensemble de vingtalexandrins ; l'adjectif «onduleuse» évoque aussi le charme et la sensualité de la démarche ; mais le poète luiadjoint aussitôt en complément l'infinitif «à damner», qui certes est un cliché du langage courant (elle est belle àdamner tous les saints du paradis, dit-on avec admiration d'une très jolie dame...) — une hyperbole classique dulangage amoureux — mais si l'on prend au pied de la lettre l'expression, et qu'on la rapproche du serpent, l'image dudiable apparaît bien vite ; et l'on se retrouve ainsi en territoire connu : celui du double visage de la femme quedepuis le Moyen Âge véhiculent écrivains et moralistes...
La femme est à la fois «Madone», on l'a vu ; elle est aussiune créature dangereuse.
Ange ou démon ? Ange et démon ? Elle est, semble-t-il, tout cela à la fois.
D'où lesmétamorphoses nombreuses qu'elle subit dans le poème où elle prend tour à tour des visages divers etcontradictoires...
Dès le deuxième vers, ainsi, elle est «fée».
On le sait : depuis longtemps la femme a la réputationd'exercer un pouvoir magique, — d'être une sorcière aux pouvoirs multiples, qui sait jouer de ses charmes (au senspremier du terme : elle jette des sorts, connaît des formules magiques, elle ensorcelle).
C'est le cas ici, où on lavoit, dès le vers deux, «apparaissant» subitement à la fenêtre comme une
créature mystérieuse.
Puis successivement elle se transforme et endosse des formes variées : les comparaisons quiponctuent le poème sont très révélatrices ; elle est d'abord «abeille», puis «fée», serpent, «soeur des fleurs»,«grappe de glycine», «Mélusine», «Notre-dame des fleurs».
«Madone», «capucine», «chaîne de monts bleus»,«ange», «mirage fabuleux», «songe de mensonge», «oiselle étrange», «feuilles mortes», «Madone d'automne et desprintemps»...
Cette liste a le mérite de faire clairement apparaître le double visage (complémentaire ou antithétique?) de cette femme qui est sûrement archétype de la femme (sinon de la «vraie» femme, au moins de la femmepoétique qui inspire les hommes et la plupart des poètes...
) : d'un côté une série de comparaisons aux connotationsnettement élogieuses (madone, fleurs) ; de l'autre, des arrière-pensées plus ambiguës, même si rien n'estfranchement péjoratif.
Ainsi la «chaîne de monts bleus» traduit plutôt un sentiment positif (l'appel au rêve) mais lacomparaison est annoncée par un adjectif, «sinueuse», qui insiste fortement, une fois de plus, sur la physionomie«serpentine onduleuse» et renoue vaguement avec le diable...
La courbe est image de beauté («onduleuse»), elleest aussi l'indice d'une certaine duplicité et d'un trouble désir de séduction.
Toute femme n'est-elle pas fée, plus oumoins, dotée de pouvoirs étranges dont on ne sait trop s'ils sont au service du bien ou du mal ?
C'est en effet la référence à Mélusine qui doit maintenant retenir l'attention ; le nom de la fée légendaire revientsouvent dans le poème (quatre occurrences auxquelles on peut adjoindre les quatre répétitions du mot «fée»),.
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