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GREEN Julien : sa vie et son oeuvre

Publié le 14/12/2018

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GREEN Julien (né en 1900). Parce que, pour lui, la Foi est avant tout disponibilité au surnaturel, invitation à questionner la violence et le destin de l’homme, source d’angoisses qu’on peut certes surmonter, mais jamais effacer, Julien Green aurait sans doute trouvé grâce aux yeux de l’exigeant héros d’A rebours de Huysmans, cruellement déçu par la plupart des écrivains catholiques. A ceux qui ne partagent pas l’intérêt de Des Esseintes pour les préoccupations d’ordre religieux, Julien Green offre l’exemple d'un auteur habité par un impérieux et constant désir de vérité qui, bien sûr, est précieux dans son Journal ou son Autobiographie, mais qui aussi donne à ses œuvres de fiction une grande originalité.

 

« Je voudrais dire ma vérité un jour, une heure ou seulement quelques minutes... »

 

Pour le croyant qu’est Julien Green, toute vie humaine, à commencer par la sienne, suit un cours mystérieux, dont le secret n'est connu que de Dieu : « Nous sommes des personnages de roman qui ne comprennent pas toujours ce que veut leur auteur ». Mais en tenant jour après jour, depuis 1928, son Journal, il s’écrit une sorte de longue lettre qui ne s’achèvera qu’à sa mort et dans laquelle — avoue-t-il — « il se donne à lui-même de ses propres nouvelles ». Singulière correspondance que celle-là, puisqu’elle est aussi adressée aux autres, qui peuvent la lire régulièrement, après quelques coupures nécessitées par la publication.

 

Conscient malgré tout que la sincérité a des limites et que les mots sont de redoutables pièges, il s’aperçoit vite que seule la fiction, qui s’accompagne inévitablement d’une transposition, permet d’atteindre une profondeur de vérité. A travers des histoires imaginaires, d’abord des nouvelles et des romans, puis, à partir de 1950, trois pièces de théâtre — Sud (1953), l’Ennemi (1954) et VOmbre (1956) —, se dessinent aux yeux de l’auteur ébahi les contours du visage d’un homme qui lui était totalement inconnu. Cette catharsis — d’un genre particulier, puisqu’elle produit ses effets sur l'auteur — réussit, car Julien Green peut, en 1960. publier son premier roman sinon optimiste du moins apaisé, Chaque homme dans sa nuit.

 

A vingt-trois ans, déjà, il avait fait une première et vaine tentative de confession littéraire. Dix-sept ans plus tard, il avait repris ce projet, étant persuadé que tout ce qu’il écrivait « procédait en droite ligne de son enfance ». Mais il lui faut « se rejoindre » avant de pouvoir reconquérir son passé, et c’est seulement après l’achèvement de Chaque homme dans sa nuit qu’il pourra réaliser enfin cette indispensable Autobiographie (publiée entre 1963 et 1974).

 

Le difficile aveu

 

L’enfance de ce fils d’Américains « sudistes » établis à Paris fut heureuse. La mort de sa mère en 1914 le chassa de cette existence paradisiaque et l’obligea à affronter une nouvelle réalité, celle des autres. Au cours

 

d’un séjour, de 1919 à 1921, à l’université de Virginie, il rencontra un jeune homme, Mark, et devint le porteur d’un secret, le héros d’un drame. Ses romans et ses pièces de théâtre seront hantés par la figure de l’« homme qui vient d’ailleurs », de l’étranger qui survient et détruit un précaire équilibre. Déjà les premières nouvelles, Christine (1927), le Voyageur sur la terre (1927), Léviathan (1928), ont pour thème le passage d'un inconnu, que ce soit la petite Christine, Paul ou le voyageur mystérieux. L’arrivée de Guéret éveille les passions endormies chez tous les personnages de Léviathan et les plonge dans le drame. Brittomart vient bouleverser la vie de Fabien dans Si j’étais vous... (1947). L’intrusion de Joseph Day dans l’univers de Moïra et de Moïra dans l’univers de Joseph Day (Moïra, 1950), du lieutenant polonais Jan dans celui de Régina, et de Mac Lure dans la vie de Jan (Sud) sont autant d’événements tragiques.

 

Rentré à Paris en 1922, Julien Green retrouva Mark en 1923, et, lors d’une promenade avec lui le long de la Seine, il ne parvint pas à lui faire l’aveu de son amour. Toute l’œuvre romanesque se nourrit, à quelques rares exceptions près, des souvenirs de cette période, qui va de 1914 à 1923. Bien plus, comme l’a fait remarquer Jacques Petit, romans et théâtre reprennent, chacun à sa manière, pour la rejouer indéfiniment, la scène de l’impossible aveu, devenue à la fois le nœud de tous les drames et la source féconde de la vocation de l’écrivain. Prenant la forme d’un secret tantôt d’amour, tantôt de crime, parfois des deux, cette séquence clé se retrouve dans Mont-Cinère (1926), Adrienne Mesurât (1927), l'Autre Sommeil (1931), Moïra et Sud. Seul Angus, l’un des personnages de Chaque homme dans sa nuit ( 1960), réussit à dire ce que jusque-là tous les héros de Julien Green avaient refoulé au plus profond d’eux-mêmes.

 

Avant de remporter une victoire tardive, une revanche sur le malheureux épisode de 1923, l’œuvre s’était développée en trois phases, que dégage finement Jacques Petit. Avant 1930, c’est-à-dire avant la rédaction de rAutre Sommeil, des romans comme Mont-Cinère ou Adrienne Mesurât, une nouvelle telle que Léviathan baignaient dans une atmosphère sombre et racontaient les efforts désespérés des personnages vers une inaccessible libération. Emily Fletcher, l’héroïne de Mont-Cinère, ne rompt la solitude qui l'enserre qu’en allumant un incendie; Adrienne Mesurât finit par faire tomber son père tyrannique dans l’escalier, mais passe ensuite sous la dépendance d’une voisine, avant de sombrer dans la folie. Guéret, dans Léviathan, après avoir défiguré Angèle et tué un vieillard rencontré sur son chemin, doit affronter la réalité menaçante et angoissante sous la forme anecdotique d’un chantier de charbon, et finit par se faire arrêter. De 1930 à 1947, date à laquelle commence la composition de Moïra, la narration romanesque de Green hésite entre l’évocation d'un pesant ennui quotidien et la fuite dans le rêve. Dans Epaves (1932), le romancier adopte la première solution : ce récit de la lâcheté de Philippe, dont les premières pages ont sans doute inspiré Camus pour la Chute, est tout entier construit autour de la Seine qui s’écoule, mais qui ne cesse pas d’être associée à une dérobade que le héros ne peut oublier. Si j’étais vous... illustre l’autre voie, et l’on y assiste au voyage de Fabien, qui s’incarne en quatre êtres différents pour fuir une existence et une personnalité qui ne le satisfont pas. Il s’aperçoit bien vite que le sort de son patron sexagénaire n’est guère enviable, que le jeune homme roux à la « laideur énergique et dominatrice » est en réalité victime de Bcrthc — qu'il aime et qui se moque de lui —, que le studieux, subtil et intelligent Emmanuel Fruges aimerait rejoindre l’enfance, et que la famille de Camille n’a rien d'un nid douillet. Enfin, troisième phase, les pièces de théâtre ainsi que le Malfaiteur (1956) et Chaque homme dans sa nuit, ne

« gardent que les thèmes les plus douloureusement enraci­ nés dans la conscience et l'inconscient de l'auteur et­ peut-être parce que les personnages y évoluent toujours sur deux plans, dont celui du passé, qui empêche de vivre - trouvent une conclusion apaisante dans le pardon accordé à Max par Wilfred mourant (Chaque homme dans sa nuit).

Une aventure de l'écriture Grâce au Journal, on peut suivre pas à pas l'auteur dans son voyage romanesque au bout de lui-même.

On y découvre notamment un écrivain qui travaille sans plan préétabli et qui se laisse guider par ses personnages, se refusant à leur imposer le moindre geste ou la moindre réplique.

Il lui faut pour cela écarter la tentation de reprendre des situations ou des intrigues qui ont assuré le succès de ses livres précédents et chercher le point de départ qui seul se révélera fécond : «Il n'y a qu'un commencement possible entre vingt, entre cent autres ».

Des réflexions sur la création romanesque font l'objet aussi du troisième récit inclus dans Varouna (1940) où le Journal de Jeanne, une romancière presque contempo­ raine, qui tente d'écrire la vie d'Hélène Lombard, racon­ tée dans la seconde partie du livre, fait penser au Journal des Faux-Monnayeurs de Gide.

Il nous montre comment l'auteur crée des personnages à partir de sa propre substance mais ne peut les empêcher d'agir en retour sur lui-même.

Sud.- , 1968.

L'étude la plus complète et la plus remarquable est due à Jacques Petit, Julien Green, l'homme qui venait d'ailleurs, Des­ clée de Brouwer, 1969.

Voir aussi les Actes du colloque interna­ tional de 1988, CEDIC-Univ.

Lyon III, 1989.

D.

MORTIER. »

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