GRÉCO-LATINE (littérature). Influence sur la littérature française
Publié le 14/12/2018
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GRÉCO-LATINE (littérature). Influence sur la littérature française. Athènes et Rome dominent et orientent, au moins jusqu’au xixe siècle, le cours de toutes les lettres occidentales; comme l’écrit Ernst-Robert Curtius, « le héros fondateur de la littérature européenne, c’est Homère ». Ni le christianisme, ni l’esprit scientifique — les deux novations culturelles les plus importantes qui se soient superposées à l'héritage gréco-latin — n’ont effacé la mémoire d’une Antiquité qui reste un exemple, un repère, et focalise une nostalgie passionnée. Au crépuscule de sa vie, devant la montée d’un enseignement « moderne », le peintre romantique Eugène Delacroix note dans son Journal : « Je connais les Anciens, c’est-à-dire que j’ai appris à les mettre au-dessus de tout : c’est le meilleur résultat d’une bonne éducation. Je m’en applaudis d’autant plus que les Modernes, enchantés d’eux-mêmes, négligent ces augustes exemples de toute intelligence et de toute vertu. Il est à la honte de notre temps que la ville et le gouvernement maintiennent et encouragent des collèges où l’on pose en principe que l’on peut se passer de l’étude des langues anciennes ». Les deux dernières décennies ont accompli un sevrage qui se préparait depuis plusieurs siècles; mais, pour n’ê-tre plus sentie comme une figure maternelle, encore toute proche au Moyen Age, ou comme l’image paternelle d’une haute perfection à l’époque classique, l’Antiquité demeure, pour nos contemporains, une référence constante et l’objet d’un regard ironique ou émerveillé.
Le Moyen Âge latin ou la familiarité maternelle
Aucune fracture ne sépare la romanité tardive de l’époque que les humanistes italiens nommèrent, non sans quelque mépris, le Moyen Âge. Les historiens s’interrogent sur la limite du monde antique : Constantin élève en 381 le christianisme au rang de religion d’État, inaugurant le déclin de la culture hellénistique traditionnelle; les invasions arabes, au viie siècle, parachèvent la ruine de l’Occident. Séparées, privées d’institutions qui assureraient l'unité et la transmission d’un savoir, livrées à l’afflux d’émigrants allogènes, les anciennes provinces romaines élaborent dialectes et langues nouvelles, dont les premiers témoignages écrits apparaissent à la fin du premier millénaire. Mais cette émergence des langues romanes — filles de Rome — s’accomplit dans un paysage encore constellé des vestiges de l’ancienne civilisation : théâtres, amphithéâtres, temples, basiliques, portiques, tombeaux ou riches « villas » (manoirs au centre d’une exploitation agricole), désormais livrés à la ruine, ou travestis par des usages nouveaux, et prêtant néanmoins à des songes sur les grandeurs passées, à la conviction d’une permanence. Ainsi, au cœur du morcellement et de la décadence vit le rêve d’un Empire restauré : le couronnement de Charlemagne fait du prince germanique et de ses successeurs de nouveaux césars. Parallèlement, le pouvoir religieux — la théocratie pontificale — revendique l’héritage de Rome et, à partir de la ville éternelle, tisse un réseau serré d’évêchés et de monastères qui maintient l’unité de la Romania (ensemble des pays jadis romains), convertit et intègre des barbares païens comme les Germains ou les Celtes de (Grande-)Bretagne.
La langue latine règne dans l’Église; dans les actes d’administration civile, elle n’est remplacée que lentement par les dialectes « vulgaires ». Elle sert d’instrument de communication à toute l’Europe, assurant une interpénétration des cultures locales; elle véhicule une immense littérature : traités théologiques, sommes encyclopédiques (comme l'Imago mundi et l’Elucidarium d’Honorius d’Autun, au XIIe siècle), épîtres, satires imitées d’Horace, pièces lyriques, épopées (comme l'Alexandréide de Gautier de Châtillon, poème héroïque du xiie siècle sur les exploits d’Alexandre, étudié ensuite à l’égal d’une œuvre classique), histoires universelles ou particulières. Cette emprise de la latinité — qui culmine au milieu du XIIIe siècle avec Albert le Grand et Thomas d’Aquin — ne transmet pas une image neutre et objective des littératures antiques; le grec est ignoré, et les efforts des Carolingiens pour en restaurer l’enseignement
échouent : le fameux adage Graecum est, non legitur (« c’est du grec, on ne saurait le lire ») doit cependant se corriger par la prise en compte de l’hellénisme dont est imprégnée la romanité (Pindare est saisi à travers Horace), voire par les transmissions arabes (Aristote est connu par Averroès). Si les moines assurent sans interruption la reproduction des manuscrits latins, le tableau des littératures anciennes que se font les hommes du Moyen Âge ne laisse pas de surprendre par une échelle de valeurs différente de la nôtre : les six poètes majeurs que Dante rencontre au début de son voyage infernal sont Homère, Virgile, l’altissimo poeta, Horace le satirique, Ovide, l'auteur des Métamorphoses « moralisées » (dotées de sens symboliques, religieux et éthiques) par les commentateurs médiévaux, puis Lucain et Stace, le disciple de Virgile qui raconta dans la Thébaïde la guerre fratricide entre les fils d'Œdipe. Plutôt que Plaute, Lucrèce, Catulle, Salluste ou Tacite, on médite les auteurs de l’Antiquité tardive, leur rhétorique sombre et violente ou leurs compilations plus ou moins allégoriques : saint Augustin, Boèce et ses Consolations, Martia-nus Capella et ses Noces de Mercure et de la Philologie, Prudence et sa Psychomachie (épopée symbolique de l’âme chrétienne)... Ainsi se compose le mirage d’une Antiquité familière, ambiante, enveloppante, mais fantastique et fantasmatique.
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qui se soient superposées à l'héritage gréco-latin -
n'ont effacé la mémoire d'une Antiquité qui reste un
exemple, un repère, et focalise une nostalgie passionnée.
Au crépuscule de sa vie, devant la montée d'un enseigne
ment « moderne», le peintre romantique Eugène Dela
croix note dans son Journal : « Je connais les Anciens,
c'est-à-dire que j'ai appris à les mettre au-dessus de
tout :c'est le meilleur résultat d'une bonne éducation.
Je
m'en applaudis d'autant plus que les Modernes, enchan
tés d'eux-mêmes, négligent ces augustes exemples de
toute intelligence et de toute vertu.
Tl est à la bonte de
notre temps que la ville et le gouvernement maintiennent
et encouragent des collèges où l'on pose en principe que
l'on peut se passer de l'étude des langues anciennes».
Les deux dernières décennies ont accompli un sevrage
qui se préparait depuis plusieurs siècles; mais, pour n'ê
tre plus sentie comm� une figure maternelle, encore toute
proche au Moyen Age, ou comme l'image paternelle
d'une haute perfection à l'époque classique, l'Antiquité
demeure, pour nos contemporains, une référence
constante et l'objet d'un regard ironique ou émerveillé.
Le Moyen Âge latin ou la familiarité maternelle
Aucune fracture ne sépare la romanité tardive de
l'époque que les humanistes itJliens nommèrent, non
sans quelque mépris, le Moyen Age.
Les historiens s'in
terrogent sur la limite du monde antique : Constantin
élève en 381 le christianisme au rang de religion d'État,
inaugurant le déclin de la culture hellénistique tradition
nelle; les invasions arabes, au vu• siècle, parachèvent la
ruine de l'Occident.
Séparées, privées d'institutions qui
assureraient l'unité et la transmission d'un savoir, livrées
à l'aff! ux d'émigrants allogènes, les anciennes provinces
romaines élaborent dialectes et langues nouvelles, dont
les premiers témoignages écrits apparaissent à la fin du
premier millénaire.
Mais cette émergence des langues
romanes -filles de Rome -s'accomplit dans un pay
sage encore constellé des vestiges de l'ancienne civilisa
tion : théâtres, amphithéâtres, temples, basiliques, porti
ques, tombeaux ou riches «villas» (manoirs au centre
d'une exploitation agricole), désormais livrés à la ruine,
ou travestis par des usages nouveaux, et prêtant néan
moins à des songes sur les grandeurs passées, à la
conviction d'une permanence.
Ainsi, au cœur du morcel
lement et de la décadence vit le rêve d'un Empire res
tauré : le couronnement de Charlemagne fait du prince
germanique et de ses successeurs de nouveaux césars.
Parallèlement, le pouvoir religieux -la théocratie pon
tificale -revendique l'héritage de Rome et, à partir de
la ville éternelle, tisse un réseau serré d'évêchés et de
monastères qui maintient l'unité de la Romania (ensem
ble des pays jadis romains), convertit et intègre des bar
bares païens comme les Germains ou les Celles de
(Grande- )Bretagne.
La langue latine règne dans l'Église; dans les actes
d'administration civile, elle n'est remplacée que lente
ment par les dialectes «vulgaires».
Elle sert d'instru
ment de communication à toute l'Europe, assurant une
interpénétration des cultures locales; elle véhicule une
immense littérature : traités théologiques, sommes ency
clopédiques (comme l'Imago mundi et l' Elucidarium
d'Honorius d'Autun, au xn• siècle), épîtres, satires imi
tées d'Horace, pièces lyriques, épopées (comme
l'Aiexandréide de Gautier de Châtillon, poème héroïque
du xn• siècle sur les exploits d'Alexandre, étudié ensuite
à l'égal d'une œuvre classique), histoires universelles ou
particulières.
Cette emprise de la latinité -qui culmine
au milieu du xm• siècle avec Albert le Grand et Thomas
d'Aquin -ne transmet pas une image neutre et objective
des littératures antiques; le grec est ignoré, et les efforts
des Carolingiens pour en restaurer l'enseignement échouent
: le fameux adage Graecum est, non legitur
( « c'est du grec, on ne saurait le lire ») doit cependant se
corriger par la prise en compte de l'hellénisme dont est
imprégnée la romanité (Pindare est saisi à travers
Horace), voire par les transmissions arabes (Aristote est
connu par Averroès).
Si les moines assurent sans inter
ruption la reproduction des manuscrits latins, le tableau
des littératures anciennes que se font les hommes du
Moyen Age ne laisse pas de surprendre par une échelle
de valeurs différente de la nôtre : les six poètes majeurs
que Dante rencontre au début de son voyage infernal sont
Homère, Virgile, l' altissimo poe ta, Horace le satirique,
Ovide, l'auteur des Métamorphoses «moralisées»
(dotées de sens symboliques, religieux et éthiques) par
les commentateurs médiévaux, puis Lucain et Stace, le
disciple de Virgile qui raconta dans la Thébaïde la guerre
fratricide entre les fils d'Œdipe.
Plutôt que Plaute,
Lucrèce, Catulle, Salluste ou Tacite, on médite les
auteurs de l'Antiquité tardive, leur rhétorique sombre et
violente ou leurs compilations plus ou moins allégori
ques : saint Augustin, Boèce et ses Consolations, Martia
nus Capella et ses Noces de Mercure et de la Philologie,
Prudence et sa Psychomachie (épopée symbolique de
l'âme chrétienne) ...
Ainsi se compose le mirage d'une
Antiquité familière, ambiante, enveloppante, mais fan
tastique et fantasmatique.
Cette masse de textes composites est considérée
comme un trésor que l'on peut piller au gré des besoins :
elle recèle des thèmes argumentés et développés, prêts à
devenir des lieux communs; des mythes qu'on déforme
pour les christianiser; des histoires ou des légendes,
parées d'un merveilleux magique; des personnages réels
ou imaginaires; des modèles stylistiques : descriptions,
figures, formules...
Ainsi le paysage idéalisé (locus
amoenus), les grands héros épiques, le système d� la
rhétorique classique traversent-ils tout le Moyen Age,
avec des variations qui atteignent à l'aberration.
On
prend Alcibiade pour une femme, Virgile pour un savant
mage.
Les œuvres à sujets antiques [voir RoMANS ANTI
QUES] empruntent leur matière à des récits tardifs : le
Roman de Troie (vers 1165) de Benoît de Sainte-Maure
s'inspire de la Guerre de Troie de Dictys de Crète (rv•
siècle) et de l'Histoire de la chute de Troie de Darès le
Phrygien ,(vi• siècle).
Le Roman de Thèbes ( 1150) imite
Stace, l' Enéas (1160) Virgile, et le Roman d'Alexandre
(fin du xn• siècle) s'emplit d'un Orient insolite ou
extraordinaire, emprunté au pseudo-Callisthène ou à
Julius Valerius ...
On a cent fois raillé ce salmigondis
sans perspective historique, ce bric-à-brac sans percep
tion de la différence; mieux vaut apprécier le bénéfice
indirect, mais essentiel, de cette vision floue et sans
distance : une créativité originale dont témoignent la
chanson de geste, les romans, les fabliaux, les mystères,
les formes lyriques.
Nul respect paralysant, nulle
connaissance exacte pour entraver ou décourager l'émer
gence de structures littéraires ou de styles nouveaux.
La
déconstruction des thèmes et des formes de l'Antiquité
par l'« ignorance » médiévale ouvre des possibilités illi
mitées de réassemblage, sans tarir la fécondité de chefs
d'œuvre toujours lus et médités.
La Renaissance,
ou la redécouverte du père
A la fin du Moyen Âge se multiplient les traductions
d'œuvres latines, et même grecques (Nicolas Oresme, au
xrv• siècle, traduit, d'après le texte original, plusieurs
traités d'Aristote) : c'est le signe d'une curiosité nou
velle qui explose au xvr• siècle.
Les érudits, comme Guil
laume Budé ou Henri Estienne, les poètes qui se groupent
en «Pléiade » veulent connaî'tre le monde antique et s'en.
»
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