Grand oral du bac : Les artistes « maudits » (Histoire de la littérature)
Publié le 14/11/2018
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LE POÈME EN PROSE
Le poème en prose est un genre littéraire spécifiquement français, apparu au cours du xixe siècle. Expérimenté par le poète Aloysius Bertrand au début du xixe siècle (Gaspard de la nuit, 1842), il est considéré aujourd'hui comme une invention de Baudelaire. Exploitant les ressources de l'image et du rythme mais sans recours au vers ni à la rime, il fait appel aux procédés de la prose comme la narration, le dialogue, la description. Brillamment illustrée par Rimbaud et Mallarmé, cette forme poétique nouvelle s'enrichit considérablement tout au long du xxe avec des recueils inspirés d'horizons lointains, où l'énergie poétique (désir d'écrire, désir d'inconnu) se confronte à la réalité extrême-orientale (Connaissance de l'Est de Paul Claudel, 1907 ; Stèles de Victor Segalen, 1914).
Pierre Reverdy (La Balle au bond, 1928) et Max Jacob (Le Cornet à dés, 1917) affectionnent le poème en prose pour la liberté de vision, de ton et la diversité des matériaux qu'il permet de déployer. C'est aussi cette liberté d'invention que revendiquent des poètes rebelles aux formes préétablies comme Henri Michaux (La Vie dans les plis, 1949) ou Francis Ponge (Le Parti pris des choses, 1942 ; Pièces, 1961).
TROIS GRANDES FIGURES
Dans la France littéraire qui suit la période romantique, durant les décennies 1850-1890, on distingue trois grandes figures d'artistes « maudits » : Charles Baudelaire (1821-1867), Paul Verlaine (18441896) et Arthur Rimbaud (18541891). S'ils méritent ce qualificatif un peu stigmatisant (Verlaine lui-même l'a employé), c'est qu'ils ont en commun d'avoir mené une vie de marginaux (Baudelaire mis au ban de sa famille, Verlaine emprisonné deux ans, Rimbaud fugueur puis baroudeur en Asie et en Afrique) et d’avoir été jugés, voire condamnés, comme immoraux. Dans le même temps, ils ont été célébrés par leurs pairs, écrivains et artistes, et reconnus depuis comme trois de nos plus grands poètes, inventeurs d'une certaine modernité.
CHARLES BAUDELAIRE
Enfance et formation
Né à Paris en avril 1821, Charles Baudelaire est orphelin de père à l'âge de six ans.
Sa mère se remarie en 1828 avec le commandant Aupick (général en 1839), que Charles acceptera difficilement.
En 1832, l'enfant est mis en pension au collège royal de Lyon où, deux ans plus tard, il participe avec ses camarades aux émeutes de la Croix-Rousse.
Passionné de lecture, il poursuit de brillantes études à Paris, comme interne au lycée Louis-leGrand, et obtient son baccalauréat en 1839. Il s'inscrit à la faculté de droit mais, dès ce temps, se heurte à sa famille en affirmant sa volonté d'être écrivain.
Bohème, voyages et dandysme
Plus que les bancs de la Faculté, Baudelaire fréquente des lieux d'art et de plaisir, partageant son temps entre les amitiés littéraires et les liaisons avec des femmes faciles. Alarmés par cette vie de bohème, ses parents l'obligent à embarquer en juin 1841 sur le Paquebot des Mers du Sud, qui se dirige vers l’Inde et Calcutta. Baudelaire débarque à nie Maurice et séjourne sur 111e Bourbon (actuelle Réunion), où il compose plusieurs poèmes d'inspiration exotique, intégrés par la suite au recueil des Fleurs du mal. Outre « À une dame créole », on peut citer « À une Malabaraise » :
« Tes pieds sont aussi fins que tes [mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle [blanche ;
À l'artiste pensif ton corps est doux
[et cher ;
Tes grands yeux de velours sont plus [noirs que ta chair. »
Jeanne Duval une mulâtresse, incarnera dès 1842 cet idéal féminin. Quand il rentre à Paris, les résolutions antérieures sont intactes. Il se lie avec les poètes Théodore de Banville et Théophile Gautier, multiplie les domiciles, écrit poèmes et articles. Il mène une vie dispendieuse de dandy, cultivant le luxe et le raffinement Lorsque, à sa majorité, il réclame sa part de l'héritage paternel, sa famille, effrayée par sa prodigalité, lui impose une tutelle judiciaire qui le prive de sa fortune.
Les Fleurs du mal, un chef-d'œuvre CLASSIQUE ET MODERNE
En juin 1857, deux mois après la mort de son beau-père, paraissent les Fleurs du mal, recueil auquel Baudelaire travaille depuis quinze ans. Suivant les éditions, l'ouvrage comprend 126 ou 152 poèmes, répartis en six séquences : « Spleen et idéal » (85 ou 102), « Tableaux parisiens » (18 ou 20), « Le Vin » (5), « Heurs du mal » (9 ou 16), « Révolte » (3), « La Mort » (6). Par sa composition et sa forme, il est classique et marque notamment l'apogée du sonnet et de l'alexandrin. Mais il est aussi profondément singulier et moderne par sa thématique, à savoir essentiellement le spleen et la recherche des « correspondances ». Plusieurs poèmes célèbres portent le titre de « Spleen », état d'âme typiquement baudelairien, exprimé en ces vers :
« Quand le ciel bas et lourd pèse [comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux
[longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout [le cercle Il nous verse un jour noir plus triste
[que les nuits. » Lassitude de vivre, soif d'idéal, inadaptation à la trivialité des réalités contemporaines traduisent chez le poète un sentiment tragique
«
l'habitude
d'effacer inquiétudes
et chagrins dans la boisson.
Cette
tendance ne fera que s'accentuer
et occasionnera de fréquents accès
de violence meurtrière contre ses
proches- ainsi, en 1869, sous
l'emprise de l'alcool, il tente à
plusieurs reprises de tuer sa mère.
Verlaine fréquente les cercles littéraires
parisiens, notamment les poètes
parnassiens qui se retrouvent dans
le salon mondain de Nina de Villard.
Ses deux premiers recueils révèlent
une âme tourmentée, hantée
par toutes sortes de fantômes.
OMBRES
Les Poèmes saturniens (1866) explorent
un sentiment que Baudelaire aurait
nommé « spleen » : une quarantaine
de compositions, réparties en
quatre séquences (« Melancholia »,
« Eaux-fortes», « Paysages tristes »,
«Caprices») encadrées d'un prologue
et d'un épilogue, et placées sous le
signe de Saturne, planète crépusculaire
et vénéneuse.
Tout y est teinté d'une
couleur sombre, parfois morbide, qui
suscite des sentiments de trouble, de
lassitude, voire d'angoisse, adoucis
par la musicalité de la voix naissante
et déjà singulière du poète, comme
dans la « Chanson d'automne » :
" Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur monotone.
»
---....,..--...,.
Les Fêtes
galantes
(1869)
déploient en
vingt poèmes
un décor
apparemment
plus séduisant
où règnent les
plaisirs de la
fête et des sens.
êtres incarnés
que d'étranges
fantômes
surgissant de la comédie
italienne (Pierrot, Colombine,
Scaramouche) ou de vieilles pastorales
françaises (les plaintifs bergers Tircis
ou Clitandre, les volages Aminte ou
Chloris).
Ce qui s'annonçait comme
une rêverie musicale («Votre âme est
un paysage choisi/Que vont charmant
masques et bergamasques/Jouant
du luth, et dansant, et quasi/Tristes
sous leurs déguisements fantasques»)
finit par se dissiper dans la solitude
glacée d'un vieux parc que hantent
deux spectres nostalgiques.
LUMIÈRES
: MARIAGE, APAISEMENT
En juin 1869, Verlaine rencontre
la jeune Mathilde Mauté de Feurville,
seulement âgée de seize ans, dont
il s'éprend sur-le-champ.
Le mariage
est célébré un an plus tard.
Cette
union marque une embellie dans
la vie du poète, un moment de
sérénité dont témoigne le recueil
La Bonne Chanson (1870).
Ses vingt
et un textes sont l'offrande nuptiale
de Verlaine à la femme aimée
inspiratrice, dont la présence solaire
et quasi sainte crée une atmosphère
de bonheur, de suavité et d'harmonie :
« Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise ...
C'est l'heure exquise.
»
RIMBAUD : DU COUP DE FOUDRE
AU COUP DE FEU
En septembre 1871, Verlaine reçoit deux
lettres d'un jeune Ardennais, Arthur
Rimbaud, accompagnées de poèmes.
Il
l'invite aussitôt à Paris, où l'adolescent
s'installe quelque temps chez le jeune
ménage.
L'ambiance se détériore vite.
Verlaine s'emporte, menace sa femme,
déserte le domicile conjugal.
En avril
1874, un jugement de séparation de
corps sera prononcé.
Arraché à la paix
du ménage, Verlaine vit deux ans
de vagabondages passionnés avec
Rimbaud.
Les deux poètes, partagés
entre leur désir de liberté, leur soif
de poésie et d'écriture, leur goût de
la bohème, ne cessent de se quereller,
se quittant pour se retrouver, au gré
de leurs pérégrinations (Belgique,
Angleterre ...
).
Durant l'été 1873, à
Bruxelles, Verlaine blesse légèrement
Rimbaud d'un coup de revolver ; son
attitude menaçante conduit à son
incarcération et à sa condamnation
à deux ans de prison.
Il est enfermé
à Mons jusqu'en janvier 1875.
Les vingt-trois poèmes des Romances
sans paroles (1874) sont marqués par
la rencontre et le compagnonnage
avec Rimbaud.
Les trois
the night ») dessinent l'errance inquiète
d'une sensibilité menacée par
l'égarement, l'échec, l'incohérence.
L' accent est mis sur ce qui est
transitoire, bouge, s'échappe ;
l'âme s'épanche, douloureuse
mais sans éclats de voix :
« Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur? »
APRÈS RIMBAUD
Verlaine rencontre une dernière fois
Rimbaud à Stuttgart, en 1875.
Il tente
de le convertir à la foi catholique
avec laquelle il a renoué durant son
emprisonnement.
Puis il va mener
une existence d'enseignant entre
l'Angleterre et Rethel, en Belgique.
La conversion religieuse et morale
s'exprime dans le dernier des grands
recueils poétiques : Sagesse (1880).
Le
climat y est apaisé, chargé
d'images contemplatives et
de références mystiques :
« La mer est plus belle
Que les cathédrales,
Nourrice fidèle,
Berceuses de râles,
La mer sur qui prie
La Vierge Marie ! »
Revenu en 1885 à Paris, Verlaine
entame une fin de vie assez chaotique :
il multiplie les longues hospitalisations,
les débauches et les soûleries avec des
amants de passage ou avec les deux
femmes entre lesquelles il se partage,
Philomène Boudin et Eugénie Krantz.
Curieusement, c'est au moment où il
définit le mieux son art poétique et ce
que, pour schématiser, on nommera
son « impressionnisme » que
l'inspiration devient plus inégale :
« De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair,
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
»
Les recueils des années 1880-1890
(Jadis et Naguère, 1884; Amour, 1888;
Parallèlement, 1889; Bonheur et
Chansons pour Elle, 1891) traduisent
un affaiblissement de la puissance
créatrice.
Cependant, les dernières
années sont une consécration : en
1893, Verlaine multiplie les conférences,
connaît une certaine gloire, pose sa
candidature à l'Académie française ...
En août 1894, il est élu par ses pairs
«prince des poètes».
En octobre 1895,
il rédige la Préface des Poésies
complètes d'Arthur Rimbaud.
Une
congestion pulmonaire l'emporte
le 8 janvier 1896.
ARTHUR RIMBAUD
Arthur Rimbaud
naiten
octobre 1854
à Charleville
Mézières.
Son père est
capitaine
d'infanterie,
sa mère vient
d'un milieu de propriétaires ruraux.
Entré au collège de Charleville en 1865,
Arthur se signale par des dons
littéraires et une maturité d'esprit
exceptionnels.
En 1869, un journal
scolaire publie trois de ses textes
composés en vers latins.
En mai 1870,
il est couronné de prix (latin, grec,
histoire ...
).
Mais, derrière l'apparence
du brillant « premier de la classe »,
il y a le Rimbaud plus secret-rebelle,
solitaire, fugueur.
PREMIERS PAS POÉTIQUES D'UN PRODIGE
Sous l'Influence de son jeune
professeur Georges lzambard, Rimbaud
lit Rabelais, Victor Hugo, les poètes
parnassiens -il admire Gautier,
Leconte de Lisle et Banville, à qui il
adresse, en mai 1870, trois poèmes,
dont « Sensation » :
« Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les
[sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes
[pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
»
Les poèmes de 1870, la vingtaine
de pièces du Recueil Demeny
où figurent les célèbres sonnets ceLe
Dormeur
du val" et
« Ma bohème »,
montrent
par-delà les
influences une grande
virtuosité, un sens aigu de l'ironie, de la
parodie grinçante et de la provocation.
Les premiers essais poétiques
coïncident avec les premières fugues :
à la fin du mois d'août, Arthur s'enfuit
à Paris ; en octobre, il fugue à nouveau,
vers la Belgique ; sa troisième escapade
en février-mars 1871 le recondu� à Paris.
LE ((VOYANT ..
En mai 1871, Rimbaud adresse à
lzambard et à Demeny deux lettres,
dites « lettres du Voyant », où il expose
avec une virulence étonnante ses
principes esthétiques et sa méthode
créative : « Je veux être poète, et je
travaille à me rendre voyant : vous
ne comprendrez pas du tout, et je ne
saurais presque vous expliquer.
Il s'agit
d'arriver à l'inconnu par le dérèglement
de tous les sens.
Les souffrances sont
énormes, mais il faut être fort, être né
poète, et je me suis reconnu poète.
»
Cette volonté de vivre l'écriture comme
aventure extrême transparaît dans
Le Bateau ivre, dernier poème écrit
à Charleville avant le départ pour
Paris, en septembre 1871.
L'accueil
que lui réserve l'entourage
de Verlaine est enthousiaste
et consacre le poète adolescent.
UNE SAISON EN ENFER
Écrit durant l'été 1873 et publié en
octobre par les soins de Rimbaud,
ce récit-poème témoigne du lien,
autant spirituel que charnel, avec
Verlaine -la parole lui est donnée
dans la séquence intitulée « Délires 1.
Vierge folle ».
Le caractère halluciné
du récit, la frénésie incantatoire
du ton confèrent à ce livre, pastichant
constamment le texte des Évangiles,
un caractère à la fois païen et sacré,
sans équivalent dans la littérature
française.
LEs /uuMINAnoNs
C'est Verlaine qui, en 1886, prit en
charge la publication de ce recueil
(titre comme composition).
On suppose
que les text es-des poèmes en prose -
ont été écrits entre 1872 et 1874.
Illuminations est un titre ambigu.
Il a le sens anglais de «gravures
colorées», «enluminures » : les textes
font largement appel au principe du
tableau (cadres urbains de« Villes 1 »,
«Villes Il », « Ponts », « Ouvriers » ;
décors naturels de« Marine», « Aube»,
«Promontoire»).
Mais, en français,
le mot est chargé d'abstraction et
de religiosité: l'illumination est aussi
une lumière jaillissant brutalement
dans l'esprit.
Rimbaud le voyant,
le visionnaire, s'efforce de créer par
la seule puissance du verbe un monde
singulier, inouï, avec ses paysages,
ses peuples, ses mouvements.
Mais
ce sont là des visions aussi éclatantes
qu'instables et fugaces.
Le chaos,
la fragmentation menacent, et nous
voici placés dans un fragile équilibre
entre des mondes qui s'effondrent
et des architectures somptueusement
artificielles, chargées des images
glanées lors des séjours à Londres
ou des traversées maritimes.
RIMBAUD
APRÈS RIMBAUD
À partir de 1875, Rimbaud, qui a atteint
la majorité civile, se désintéresse de
la littérature pour tenter l'aventure :
il devient celui que Verlaine surnomme
« l'homme aux semelles de vent».
En
1876, il s'engage dans l'armée coloniale
hollandaise, rejoint Batavia avant de
déserter, quelques semaines plus tard,
et de rentrer en France à bord d'un
voilier anglais.
En 1877, il voyage en
Allemagne et en Scandinavie avant
de réaliser son rêve -gagner l'Orient :
il part pour Alexandrie en 1878 et
séjourne à Chypre.
Malade, il revient
en France en 1879 pour repartir l'année
suivante à Chypre, où il dirige un
chantier de construction.
Puis ce sont
Alexandrie et les ports de la mer Rouge.
Engagé comme agent d'une maison
faisant le commerce de peaux et de
café, Rimbaud prend en charge la
succursale de Harar, en Éthiopie.
C'est
dans cette région qu'il fait désormais
carrière, agissant comme marchand
d'armes (1885) puis fondant sa propre
agence commerciale ( tBBB).
Il rentre
en France au printemps 1891 pour se
faire soigner une jambe, à Marseille ;
amputé, souffrant d'un cancer
généralisé, il meurt le 10 novembre.
POÈTES ET MUSICIENS
Des compositeurs importants de la fin
du Xix' siècle et du Xx' siècle ont été
tentés de mettre en musique des
textes de nos trois « poètes maudits ».
Baudelaire a inspiré à Henri Duparc
(1848-1933) deux mélodies qui
comptent parmi les chefs-d'œuvre de la
musique pour voix et piano : L'Invitation
au voyage
(1870) et La
Vie antérieure
(1876).0a lllle
Debussy (1862-
1918) a restitué
avec un pareil
bonheur ses
impressions de lecture des
Fleurs du mal, retenant cinq poèmes :.
»
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