Grand oral du bac : La tragédie (Histoire de la littérature)
Publié le 14/11/2018
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LA TRAGÉDIE ÉLISABÉTHAINE
• Les trois décennies qui s'étendent de 1592 (Titus Andronicus, première tragédie de Shakespeare) à 1623 (première édition, posthume, de l'œuvre complet de Shakespeare) témoignent de l'extraordinaire flambée dramatique du théâtre « élisabéthain ». Il survit ainsi vingt ans à la mort d'Élisabeth Ire (1603) - voire le double si l'on préfère clore cette période à la fermeture des théâtres décidé par le puritain Cromwell (1642).
• Volontiers violente, libérant les forces de l'imaginaire, la tragédie élisabéthaine s'affranchit des règles strictes qui vont codifier l'esthétique classique de l'autre côté de la Manche.
• John Marston (la Revanche d'Antonio, 1601), Cyril Tourneur (la Tragédie du vengeur, 1607) et John Webster (le Démon blanc, 1612) écrivent des tragédies pleines de sang et de fureur qu'ils situent dans le cadre de la Renaissance italienne ; toutes sont bâties sur le thème de la vengeance horrible cher au théâtre élisabéthain et inauguré avec éclat par la Tragédie espagnole (1586) de Thomas Kyd.
LA FORCE DU DESTIN
Alors que la tragédie agonisait, Musset a tenté un saisissant raccourci de son histoire : « Née dans le chariot de Thespis, et ne signifiant alors que \"chant du bouc\", élevée tout à coup, comme par enchantement, sur les gigantesques tréteaux d'Eschyle, corrigée par Sophocle, adoucie par Euripide, énervée par Sénèque, errante et abandonnée pendant douze siècles, retrouvée en Italie par Trissino, apportée en France par Jodelle et Garnier, son véritable père chez nous fut le grand Corneille ; Racine, bien plus tendre et plus passionné que l'auteur du Cid, suivit les lois que celui-ci avait posées ; Voltaire et Crébillon tentèrent à demi de se rapprocher de l'antique ; le reste ne fut qu'une longue imitation... »
LA TRAGÉDIE GRECQUE
• Notre connaissance de la tragédie grecque se fonde en tout et pour tout sur trois noms, Eschyle, Sophocle et Euripide, et sur le dixième de leur production (il ne reste qu'une trentaine des 300 pièces qu'ils ont écrites à eux trois).
• Des Perses d'Eschyle (472 av. J.-C.) aux Bacchantes d'Euripide (406 av. J.-C.), il ne s'écoule que soixante-six ans, mais l’éclat de ces deux tiers de siècle a forgé un modèle idéal qui fascinera l'Occident au cours des vingt-cinq siècles à venir.
• La tragédie naît à Athènes vers 535 av. J.-C. au premier concours dramatique, qui voit la victoire de Thespis. La noble tragédie devrait son nom prosaïque (littéralement « chant du bouc ») à ce poète-comédien qu'on payait en nature d'une chèvre ou d'un bouc (tragos en grec)... Ce qui est sûr, c'est qu'elle résulte de son idée de placer un acteur devant le chœur et de les faire dialoguer. Il ne subsiste hélas rien des œuvres de Thespis et, de son élève Phrynichos, il reste à peine des fragments et des louanges d'Aristophane et d'Hérodote.
Eschyle (525-456 av. J.-C.)
• Avant lui, un seul acteur, le protagoniste, jouait tous les rôles en face du chœur ; Eschyle met en scène un deuxième acteur, renforçant les possibilités dramatiques, et remporte son premier concours en 484 av. J.-C.
• La première pièce conservée de lui est une tragédie historique, les Perses, qui, par une approche tout à fait surprenante, évoque la victoire des Grecs à Salamine... vue du côté des vaincus. Il ne reste que sept des 90 pièces d'Eschyle.
• Par bonheur, la dernière de ses œuvres qui nous soit parvenue est mieux qu’une tragédie, c'est une trilogie : l'Orestie, composée d'Agamemnon, des Choéphores et des Euménides, victorieuse du concours de 458, suffit à faire d'Eschyle l'un des plus grands poètes dramatiques de tous les temps.
«
•
Mais les plus
belles, les plus
profondes,
de toutes ses
tragédies sont
peut-être Ham/tf
(1601) elle Roi
Lear (1605),
ces monuments de l'esprit humain.
LA TRAGÉDIE CLASSIQUE
• Face aux débordements d'outre
Manche, un certain nombre de règles
façonnent la tragédie classique
française à l'image de l'idéal d'ordre
et de noblesse du Grand Siècle.
On veille à respecter l'unité de ton,
la vraisemblance, la bienséance, et
surtout les trois unités de temps, de
lieu et d'action héritées d'Aristote et des
Anciens : il s'agit de faire vite et bien.
À l'inverse d'une tragédie irrégulière
comme Antoine et Cléopâtre de
Shakespeare, qui s'étend sur près
de dix ans, l'action de la Bérénice
de Racine se déroule quasiment en
temps réel : quelques heures à peine.
• Entre Garnier et Corneille, la tragédie
française est d'abord représentée
par Alexandre Hardy (v.
1570-1632).
Fournisseur attitré des comédiens de
l'hôtel de Bourgogne (la troupe rivale
de celle de Molière), il aurait écrit
jusqu'à 600 pièces.
Il a fait publier
34 tragédies et son principal apport
au genre est probablement son souci
de faire avancer l'action en supprimant
le chœur et en multipliant péripéties
et accidents (actes de violence).
inoubliables
et certains des plus beaux
vers de la langue française (cc Cette
obscure clarté qui tombe des étoiles »,
le Cid, IV, 3).
• Après le Cid, vient le trio des chefs
d'œuvre des années 1640-1643 :
Horace, Cinna et Polyeude.
Quinze
autres tragédies suivron� avec des
succès inégaux.
• Le père du cc héros cornélien »
- héros qui, placé devant un dilemme,
fait passer son devoir avant sa
passion et son bonheur -dira sa
propre préférence pour Cinna (1642),
Rodogune (1644) et Nicomède (1651),
trois tragédies politiques.
• En 1651, l'échec
de Perthorite
l'éloigne de la
scène pour sept
ans.
Corneille
connaît un nouvel
affront en 1670,
quand le public
préfère la
Bérénice de son
jeune rival Racine à sa Tite et Bérénice
sur le même sujet.
• Suréna (1674) scelle le renoncement
définitif de Corneille au théâtre :
la tragédie n'a plus la cote à la cour,
où la mode est à la comédie-ballet et
aux cc tragédies lyriques » de Quinault
sur une musique de Lully ...
RACINE (1639-1699)
• Trente ans après le coup d'éclat du
Cid, la scène française voit le triomphe
de l'Andromaque de Racine (1667).
• La carrière du successeur de Corneille
1--------------1 est
brillamment lancée, mais elle ne
va durer que dix ans pendant lesquels
LA QUERELLE DU CID
Sous l'influence du théâtre espagnol,
Corneille se révèle à ses débuts un
dramaturge plus ou moins baroque.
La " querelle du Cid » porte justement
sur les libertés que l'auteur prend
avec les unités de temps et d'action.
Défenseur des règles, Scudéry, qui
siège à l'Académie française, a beau il
n'écrit que six nouvelles tragédies,
six chefs-d'œuvre :Britannicus (1669),
Bérénice (1670), Bajazet (1672),
Mithridate (1673), Iphigénie en Au/ide
(1674) et Phèdre (1677), sans doute
sa plus belle pièce.
• Son succès à la cour le détourne de
la scène ; il devient historiographe du
Roi-Soleil.
Racine renoue avec le genre
pour écrire Esther (1689) et Athalie
(1691 ), deux tragédies chrétiennes où
il ressuscite le chœur antique (comme
Schiller cent ans plus tard).
• Racine est tenu pour le plus grand
maître de la tragédie classique.
Il allie
la profondeur psychologique à la suprême
musicalité des vers (cc Ariane,
ma sœur, de quel amour blessée 1
Vous mourûtes aux bords où vous
fûtes laissée ! >>, Phèdre, 1, 3).
• Le célèbre parallèle de La Bruyère
entre Corneille et Racine (cc Celui-là
peint les hommes comme ils devraient
être, celui-ci les peints comme ils
sont») penche au fond en faveur du
second : cc l'un élève, étonne, maîtrise,
instruit; l'autre plaît, remue, touche,
pénètre.»
DES LUMIÈRES AU ROMANTISME
• La relève de la tragédie est difficile.
Voltaire s'y attelle, comme Alfieri en
Italie, Goethe et Schiller en Allemagne.
Mais, de même qu'en France la
cc comédie larmoyante » et le cc drame
bourgeois » défendu par Diderot (le Fils
naturel, le Père de famille, 1757-1758)
sapent les fondations de la tragédie en
troquant le monde des rois et des héros
pour celui de la bourgeoisie, de l'autre
côté du Rhin, le Sturm und Drang
préromantique balaie l'ordre classique
de la tragédie qui jette ses derniers
feux.
• cc Corneille avait pris le ciel, Racine
la terre ...
il ne me restait que l'enfer : ---'==-._, - je m'y suis jeté
à corps perdu »,
aurait dit
Crébillon (1674-
1762).
Pendant la
première moitié
du xv n'siècle, ce
rival de Voltaire
au théâtre compose des tragédies de
l'horreur usant d'effets pathétiques
brutaux.
Atrée et Thyeste (1707),
Rhadamiste et Zénobie (1111), ses
succès les plus sanguinaires, annoncent
le mélodrame.
• La gloire
du conteur
philosophe fait
oublier que
Voltaire (1694-
1778) se voulait
avant tout
dramaturge.
De sa première pièce.
Œdipe (1718),
à la dernière, Irène (1778), sa carrière
théâtrale couvre soixante ans.
Malgré
son admiration pour Shakespeare (qu'il
découvre en Angleterre), son culte
jeu
d'ironiser sur l'accumulation des
événements dans la pièce : cc Dans le
co urt espace d'un jour naturel, on élit
un gouverneur au prince de Castille, il
se fait une querelle et un combat entre
Don Diègue et le Comte ; un autre
combat de Rodrigue et du Comte ; un
autre de Rodrigue contre les Mores ; un
autre contre Don Sanche ; et le mariage
se conclut entre Rodrigue et Chimène :
je vous laisse à juger si ne voilà pas un
jour bien employé, et si l'on n'aurait
pas grand tort d'accuser tous ces
personnages de paresse ...
» 1-------------1
pour
Racine, Corneille et les trois unités
le maintient dans la tradition.
(Observations sur le Cid, 1637) DEUX
CONCEPTIONS
DIFFÉRENTES
cc Lorsqu'on met sur la scène une
simple intrigue d'amour entre des rois,
et qu'ils ne courent aucun péril, ni de
leur vie ni de leur État, je ne crois pas
1--------------1 que,
bien que les personnes soient
• Représentées la même année (1634)
avec un vif succès, deux pièces se
posent en modèles de la tragédie
classique à la française : J'Hercule
mourant du jeune Rotrou (1609-1650)
et la Sophonisbe de Mairet (1604-
1686).
Mais, en janvier 1637, l'éclatant
triomphe du Cid propulse Corneille
au firmament.
CORNEILLE (1606·1684)
• Il excelle dans tous les genres
théâtraux (comédie, tragi-comédie,
comédie héroïque), mais c'est dans
ses tragédies qu'il donne le meilleur
de lui-même, forgeant des scènes illustres,
l'action le soit assez pour
s'élever jusqu'à la tragédie.
Sa dignité
demande quelque grand intérêt d'État
ou quelque passion plus noble et plus
mâle que l'amour, telle que sont
l'ambition ou la vengeance ...
»
Corneille (Discours sur la tragédie)
cc Ce n'est point nécessité qu'il y ait du
sang et des morts dans une tragédie ;
il suffit que l'action en soit grande,
que les acteurs en soient héroïques,
que les passions y soient excitées,
et que tout s'y ressente de cette
tristesse majestueuse qui fait tout
le plaisir de la tragédie.
»
Racine (préface de Bérénice) Son
Dictionnaire Philosophique place
la tragédie classique au-dessus de
tout, même de la tragédie grecque.
Ses
pièces sont autant de succès à l'époque,
mais c'est un théâtre plus cc pensé »
qu'émouvant.
Même dans ses
meilleures tragédies, laire (1732,
inspirée de l'Othe/la de Shakespeare)
et Mahomet (1741), les héros incarnent
une thèse et restent abstraits (c'est ce
qu'on reprochera deux siècles plus
tard au théâtre d'un autre philosophe,
Sartre).
1777)
que dans l'histoire romaine
(Antoine et Cléopâtre, 1775) ou
moderne (Philippe Il, 1776 -dix ans
avant le Don Carlos de Schiller sur
le même sujet).
• Pour centrer le drame sur l'essentiel,
il réduit le nombre de personnages et
simplifie l'intrigue.
Son sens du tragique
confère une vie intense à ses meilleures
pièces.
li donne son chef-d'œuvre à
la veille de la Révolution française
avec Saül, histoire d'un tyran victime
de sa soif de pouvoir, tourmenté par
la conscience de son déclin et par
le silence de l'Éternel.
et des cc modernes » le mène entre
tragédie grecque, drame shakespearien
et tragédie classique.
• À côté de ses drames historiques,
tels la Pucelle d'Orléans (1801), si peu
fidèle à la vraie Jeanne d'Arc que
l'auteur baptise sa pièce «tragédie
romantique », il écrit une pure tragédie
avec la Fiancée de Messine (1803).
Cette pièce, qu'on a comparée à
l' Œ di
p e roi de Sophocle, met en
scène le destin d'une famille princière
accablée par une malédiction.
Schiller
la dote du chœur antique (ce cc mur
vivant dont s'entoure la tragédie pour
s'isoler du monde réel » dit la préface)
et d'un lyrisme qui magnifient sa
beauté formelle.
GOETHE (1749·1832)
• En plein Sturm und Drang (cc Tempête
et Élan », mouvement préromantique
né vers 1770 en réaction contre le
classicisme
des Lumières),
le jeune Goethe
se fait connaître
en 1773 avec
un drame : Ciitz
von Berfichingen
(le chevalier
pillard et redresseur de torts dont
Sartre fera le héros de sa pièce Le
Diable et le Bon Dieu).
l'« olympien »
de la période de Weimar crée avec
Iphigénie en Tauride une pièce placée
sous le signe des Iphigénie de Racine
et d'Euripide.
Comme le Wallenstein
de son ami Schiller, elle a été versifiée
après une rédaction en prose ; la
version finale (1787) reste la plus pure
tragédie classique du théâtre allemand.
• Quant à la Tragédie (il a voulu donner
ce nom à l'ensemble de son chef
d'œuvre) de Faust, c'est l'œuvre de
sa vie : ilia commence à 25 ans et
l'achève à la veille de sa mort, à 83 ans.
Ce monument colossal, ce monde
en soi, est à la fois le chant du cygne
de la tragédie et un sommet absolu.
LA FIN DE LA TRAGÉDIE
• Le prestige de la tragédie survit à
l'épuisement du genre, mais le drame
romantique lui porte le coup de grâce
en rejetant la séparation des genres
(comique et tragique, grotesque et
sublime s'y côtoient comme dans la vie)
et les règles classiques : Cromwell de Hugo
(1827) ne compte pas moins
de 60 personnages, Lorenzaccio de
Musset (1834) 39 tableaux ...
• Le triomphe du Chatterton de Vigny
(1835), dont le personnage principal
se tue au dernier acte, comme celui
du Ruy Bias de Hugo (1838), symbolise
l'abandon de la tragédie classique où
un héros cornélien ne se suicide pas,
quelle que soit la cruauté de son destin.
Le « mal du siècle » est passé par là.
• Au cœur du XX' siècle, les plus
sombres des pièces de Samuel Beckett
(En attendant
Godot, 1953;
Oh les beaux
1961)
et d'Eugène
Ionesco (Rhinocéros,
1960 ; Le roi
se meurt, 1962) seront moins des
tragédies que des« farces tragiques »
(Ionesco) où s'agitent de pitoyables
caricatures des héros.
• Mais l'ombre immense de la tragédie
originelle hante les auteurs modernes,
qui reprennent ses personnages phares
et ses situations éternelles.
Antigone
revit sous la plume d'Anouilh, Éledre
sous celle de Giraudoux, Cocteau tire
la Machine infernale de l'Œ di
p e roi de
Sophocle, Claudel Protée de l'Hélène
d'Euripide, Sartre les Mouches
de J'Orestie d'Eschyle ...
LA MORT DE LA TRAGÉDIE
VUE PAR UN ROMANTIQUE
" [Ce que les Grecs] nommaient destin
ou fatalité n'existe plus pour nous ...
il ne nous reste que la Providence et
le hasard ; ni l'un ni l'autre ne sont
tragiques.
La Providence ne ferait que
des dénouements heureux ; et quant
au hasard, c'est précisément lui qui
produit ces drames informes où les
accidents se succèdent sans motif,
s'enchaînent sans lien, et se dénouent
sans qu'on sache pourquoi ...
Corneille
vit que l'antique élément avait disparu
et il entreprit de le remplacer par
un autre ...
11 résolut de montrer la
passion aux prises avec le devoir,
avec le malheur, avec les liens du sang,
avec la religion ...
Racine survint qui
déclara que la tragédie pouvait n'être
simplement que le développement de
la passion.
Cette doctrine change tout,
car elle détruit l'action.
La passion qui
rencontre un obstacle et qui agit pour
le renverser ...
est un spectacle animé,
vivant ; du premier obstacle en naît
un second, un troisième, puis une
catastrophe, et l'homme qui se débat
pour arriver à son but peut inspirer
terreur et pitié ; mais si la passion n'est
plus aux prises qu'avec elle-même,
qu'arrive-t-il ? Une fable languissante,
de longs discours ...
voilà ce qu'avec
un génie admirable, un style divin et un
art infini, Racine introduisit sur la scène.
Il a fait des chefs-d'œuvre sans doute,
mais il nous a laissé une détestable
école de bavardage, et, personne ne
pouvant parler comme lui, ses
successeurs ont
endormi tout le monde.
»
Alfred de Muss et
(De la tragédie,
1838).
»
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