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Grand oral du bac : La poésie allemande

Publié le 14/11/2018

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UNE POÉSIE SOUS TENSION

 

L'histoire millénaire de la poésie allemande commence avec les aventures épiques de héros barbares, pour trouver sa plus belle expression dans le grand lyrisme romantique. Du moi conquérant au moi meurtri, de la poésie de la guerre à celle de l'âme, les grands poètes germaniques ont frayé une voie originale à la littérature occidentale.

 

Longtemps, pourtant, ils ont subi son influence. Jusqu'à la fin du xviiie siècle, les modèles grecs et latins, puis français et anglais ont eu la part belle. C'est en reconnaissant la puissance créatrice des traditions nationales et en affirmant l'originalité de l'individu face aux règles classiques que les poètes allemands ont découvert enfin leur voie propre, faisant dès lors de leur langue l’un des lieux d’élection de la modernité.

 

Mais l'affirmation romantique du génie national ne résume pas la poésie allemande moderne : Goethe et Hôlderlin revinrent aux Grecs, et les écrivains du XXe siècle ne trouvèrent leur salut qu'en se détournant d'un nationalisme dévoyé par le nazisme.

 

La poésie allemande est ainsi, et c'est sans doute ce qui fait sa beauté et sa richesse, une poésie sous tension.

UNE POÉSIE BARBARE?

Contrairement à la Gaule, qui dès les premiers siècles de notre ère s'intégre à un espace que l'on continue de dire «latin», les pays situés au nord du Rhin restent longtemps aux marges du monde romain. Leur langue résiste au latin, et leur culture ne se laisse pas absorber par les mythologies venues du monde grec

 

Certes, dès la fin du IVe siècle, la Bible est traduite en langue vernaculaire, attestant une rencontre culturelle et religieuse avec la latinité. Mais le latin, ses traditions et son écriture resteront longtemps étrangers au monde germanique, ne pénétrant que quelques espaces isolés, comme les monastères.

 

Alors que le droit romain s'impose en Gaule comme en Angleterre, le droit germanique résiste, et avec lui tout un petit monde de lettrés qui continuent à suivre les coutumes et les traditions anciennes.

 

La littérature issue de ces traditions est essentiellement orale : épopées et ballades renouent le fil des mythologies nordiques, sagas venues d'Islande et de Norvège, où les hommes ne sont que des jouets entre les mains des dieux - Odin, Thor et les fameuses Walkyries. 

« • On fera une exception pour les œuvres vibrantes de Paul Fleming (1609-1640) et surtout pour celles d'Angelus Silesius (1624-1677), qui en glissant de la morale vers la mystique retrouve la voie ouverte au Moyen Âge par Hildegarde von Bingen.

Le Pèlerin chérubinique (1674) rassemble 1 500 distiques qui retracent le chemin de l'âme vers Dieu, du renoncement au monde à la rencontre exaltée avec le Créateur.

C'est dans le renoncement à toute personnalité, dans !'«anéantis­ sement du moi», pour reprendre le langage quiétiste, que se trouve la sagesse suprême : poésie de l'humilité et de l'éblouissement, la poésie mystique trouve sa réussite paradoxale dans la modestie de ses moyens, qui atteste celle du poète.

·A ce titre, qu'ils soient catholiques, comme Silesius et Fleming.

ou protestants tel Paul Gerhardt (1607- 1676), les poètes mystiques allemands du XVI� siècle tendent à se ressembler, effacés qu'ils sont derrière le Verbe divin.

Mais la simplicité de leur prosodie, jointe à l'intensité de l'expérience qu'ils relatent leur confère une modernité quelquefois surprenante.

VERS LE ROMANTISME • Le Livre de la poésie allemande, publié par Martin Opitz en 1624, prône l'imitation des Français, et des auteurs comme Simon Dach (1605-1659) ou Johann Christoph Gottsched (1700- 1766) incarnent cette propension de la poésie allemande classique à se détourner de son génie propre pour s'inspirer du modèle gréco-latin repris et développé par les Français.

•Il faut attendre Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803) et sa Messiade (1751) pour retrouver une inspiration plus originale.

De façon significative.

c'est de thèmes bibliques que part le poète, pour développer ensuite à travers ses odes un lyrisme plus intime .

La sensibilité religieuse offre un espace pour dire 11ntériorité, ce que l'on appelle encore l'« âme» permet de faire vibrer le sentiment de la différence.

• Le romantisme est proche : il se donne à lire, déjà, dans les œuvres des représentants du Sturm und Drang, mais les héros prométhéens et tourmentés de Lessing.

de Herder, des jeunes Goethe et Schiller se donnent surtout carrière au théâtre.

La poésie ne sera touchée par ce mouvement préromantique que par la bande : le théoricien du Volksgeist (esprit des peuples), Johann Gottfried Herder (1744-1803), donne une illustration de sa thèse en rassemblant des chants folkloriques (Volkslieder, mB).

Par ailleurs, il insiste sur le fait que la littérature ne doit pas seulement être fidèle à son génie national, mais aussi refléter le caractère de son époque.

La charge est sonnée contre le classicisme français et l'imitation épuisée des Grecs et des Latins : personnalité de l'artiste, identité nationale, modernité, la formule du romantisme est déjà en germe chez les Stürmer.

GOETHE , SCHILLER , HÜLDERLIN • Du Sturm und Drang de ses débuts au classicisme de sa maturité, du premier Faust (Urfaust m5) au second (1825), l'itinéraire de Johann Woffgnng von Goethe (1749-1832) va de la révolte à l'apaisement, de l'énergie individuelle à la sérénité de l'universel, des légendes germaniques médiévales au retour du monde grec.

symbole de raison et d'harmonie.

Les poèmes d'amour de ses débuts (Adieu, Chant de mai) alternent avec des œuvres morbides comme Le Voyageur (ln4) : apprenant à accepter les Limites de la condition humaine (1780), il découvre aussi une forme de joie dont témoignent malgré leur titre les Élégies romaines (1790).

Le vieil homme serein qui éblouit l'Europe compose encore des ballades, et une passion tardive lui inspire le Divan-occidental-oriental (1814).

Mais ce sont des questions universelles et non plus personnelles qui le requièrent et le second Faust entre théâtre et poésie, laisse de côté l'individu pour se hisser au rang du mythe.

• Friedrich von Schiller (1759-1805) commence lui aussi dans la révolte du Sturm und Drang avant de se tourner, déçu par la Révolution française et désespéré de l'Allemagne, vers une écriture plus contemplative et aristocratique.

C'est à la fin de sa courte vie qu'il abandonne brièvement le théâtre pour la poésie, donnant des Ballades (1797), puis le Chant de la cloche (1800).

Sa poésie est d'inspiration classique, alors que son théâtre ressortirait davantage d'une esthétique romantique.

· Friedrich Ho/der/in (1770-1843) s' enthousiasme lui aussi pour la Révolution française, exaltant la liberté avant de se tourner, très vite, vers une beauté dont la Grèce antique lui apparaît comme le lieu par excellence, mais que pourrait incarner une Allemagne régénérée.

Ses rêves d'harmonie et d'innocence, de communion mystique avec les éléments (Hymnes), se heurtent à une réalité de plus en plus oppressante.

La folie, qui le menace dès 1804 et dans laquelle il sombrera définitivement en 1807, apparaît dès lors comme un refuge pour celui qui se peint sous les traits d'un ermite et qui passera plus de trente ans dans une tour, hébergé par un meunier à Tübingen.

LES ROMANTIQUES • Alors que les Goethe, Schiller, Hôlderlin font de la poésie le lieu d'une harmonie, la génération suivante reprend les valeurs de révolte qui s'exaltaient dans le théâtre des Stürmer pour les infléchir : l'Ironie sera l'arme d'une mise en question du monde, qui est aussi et surtout chez les romantiques, espoir d'une régénération.

• Cette régénération, Ernst Moritz Arndt (1769-1860) la voit se profiler dans la résurrection d'un esprit national dont les traditions folkloriques conserveraient la vérité (Poésies, 1813).

• Moins abrupts dans leur recherche d'authenticité, Clemens Brentano (1778-1842) et son beau-frère Achim von Arnim (1781-1831) donnent en 1806 une série d'adaptations et de retranscriptions de chants populaires, Le Cor enchanté de J'enfant.

• Mais c'est sans doute Friedrich von Novalis (1772-1801) qui a donné l'œuvre la plus significative de cette période, avec ses Hymnes à la nuit (1800) qui placent dans une quête spirituelle l'espoir d'une régénération.

Retrouvant une veine religieuse quelque peu délaissée par les promoteurs du sentiment national, il se retrouve avec eux dans l'exaltation d'un passé médiéval idéalisé, face à une époque moderne profondément désorientée.

C'est précisément dans l'expression de cette désorientation que la poésie de Novalis trouve son véritable intérêt, inaugurant la tradition paradoxale des poètes modernes qui refusent le moderne.

• Parmi les romantiques, il faut encore citer Ludwig Tieck (1773-1853) et Aldebert von Chamisso (1781-1838), qui font de la poésie un lieu non seulement d'expression de la différence, mais d'un regard sur le monde : Les Amours et la Vie d'une femme (Chamisso, 1830) présentent comme les romans balzaciens !'«envers du monde contemporain».

• l'ironie romantique portée par la génération des poètes nés vers 1775 se retrouve dans le mouvement des Jeune-Allemagne, qui s'Inspirent de la philosophie de Hegel et dont Heinrich Heine (1797-1856) a été le représentant le plus illustre.

Son Livre des chants (1827) joint à la profondeu r de l'expression lyrique une distance critique envers le monde qui se joue aussi pour lui dans l'exil.

Il finit sa vie à Paris, jouant le rôle d'un médiateur culturel entre la France et l'Allemagne.

PROPHÈTES ET POÈTES • Les générations suivantes sont marquées par des œuvres très ambitieuses, qui ne ressortissent pas seulement de la poésie mais plus largement de la philosophie.

• Friedrich Nietzsche (1844-1900) donne avec Ainsi parlait Zarathoustra (1883) un modèle de poésie prophétique, centré sur l'utilisation du verset qui POÈMES OBJETS CHEZ RILKE Loin du symbolisme qui voit le poète cultiver un rapport intellectuel et distancié envers le monde, Rilke tente une expérience qui pourrait se dire sous le mode de la communion.

C'est dans un changement radical de perspective qu'il va trouver les ressources de son art : le poème La Panthère en est un exemple classique, qui montre non le déplacement de l'animal devant les barreaux de sa cage, mais le mouvement des barreaux devant ses yeux.

La formule du "poème objet» exprime cette tentative de coïncidence avec le monde.

thèmes.

La mort l'angoisse, la douleur sont au centre de cette poésie d'écorchés vifs.

• Plus jeune qu'eux, mais tout aussi angoissé, Georg Trnkl (1887-1914) donne avant de mourir d'une overdose quelques recueils majeurs: Crépuscule et Déclin et Sébastien en rêve, tous deux parus en 1912, sont hantés par le sentiment d'une faute qui f-------------i est aussi passion, et l'écriture influencera profondément les symbolistes européens et notamment français.

• Proche des symbolistes français, Stefan George (1868-1933) s'oppose aux tendances naturalistes et réalistes de la poésie du XIX' siècle finissant pour promouvoir une écr�ure aristocratique, fondée sur une distance au monde.

• Hofmannsthal (1874-1929) donne dans sa jeunesse de nombreux drames en vers (La Mort du Titien, 1892; Le Fou et la Mort 1893) témoignant de la difficulté pour l'écrivain de conférer une unité au monde : éparpillement et miroitement menacent toute idée de vérité, à telle enseigne que la Lettre de lord Chandos (1802) va jusqu'à rêver des adieux à l'écriture.

• Rainer Marin Rilke (1875-1926) place lui aussi trés haut les ambitions du poète et s'Interroge sur les pouvoirs de la poésie.

Son œuvre est une suite de méditations sur les événements essentiels d'une existence humaine placée sous le signe de la solitude et de la mort « Nous sommes solitude», écrit­ il dans ses Lettres à un jeune poète (posthume).

Mais le lyrisme permet d'atteindre l'union cosmique avec le monde, qui trouve sa formule poétique dans les «poèmes objets».

Achevés juste avant sa mort les Élégies de Duino (1923) et les Sonnets à Orphée (1923) chantent l'unité de la vie et de la mort couronnant une œuvre dont certaines parties ont été écrites en français.

!:EXPRESSIONNISME • A l'heure où Rilke achève ses chefs­ d'œuvre, le monde allemand est en plein bouleversement : 11nquiétude de l'avant-guerre et les avancées des peintres, la défaite de 1918 et les découvertes des cinéastes, la chute des empires et l'emportement révolutionnaire des années 1920 trouvent écho dans le mouvement expressionniste, qui à l'unisson fallacieux de l'homme et de la nation oppose le cri désespéré d'individus isolés.

• Les grands noms de l'expressionnisme sont Eike Lasker-Schüler (1876-1946), dont les poèmes ont été réunis après sa mort dans Mon piano bleu, et Gottfried Benn (1886-1956), révélé par Morgue (1912) et Fils (1913), une suite de poèmes d'une extrême violence, tant dans l'écriture saccadée que dans les expiatoire, à la limite de la folie, est déchirée de contradictions.

• La charge émotive de l'expressionnisme était sans doute intenable sur la durée, et certains poètes se sont orientés vers une forme d'écriture plus distante, moins centrée sur le moi : les Poèmes statiques (1948) de Benn appartiennent à une esthétique qu'on a nomm ée« nouvelle objectivité» et qui apparaît avec l'expressionnisme comme l'un des pôles de la poésie contemporaine.

Il • LeXY.' siècle est pour l'Allemagne une suite d'expériences extrêmes, de la crise des années 1920 à la longue partition de l'Est et l'Ouest en passant par le nazisme et les traces durables qu'il a laissées dans la mémoire allemande.

• Si les poèmes militants d'un Berlolt Brecht (1898-1956) ont une forme d'allégresse enthousiaste, les œuvres de Nelly Sachs (1891- 1970) et de Paul Celan (1920- 1970) sont au contraire profondément marquées par la Shoah.

Ces deux exilés (la première à Stockholm, le second à Paris) voient leur appartenance � la langue allemande bouleversée par le fait que cette langue ait été celle du nazisme : dire la souffrance, l'égaremen� la fracture de l'être dans cet idiome, cela suppose de réinventer les mots, de refonder une grammaire, de reconfigurer en somme l'identité même de celui qui parle.

• Johannes Bobrowski (1917-1965) est comme Celan l'héritier d'un expressionnisme envisagé comme une contradiction entre l'être et le monde; il a notamment donné Le Temps sarmate (1961).

• Tout aussi torturée, la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann (1926-1973) s'exile très vite à Rome et nourrira son œuvre d'une défense de la liberté contre les codes moraux et esthétiques de son pays.

«Il faut corrompre les actualités de son époque», écrit-t-elle, considérant que le poète est celui qui se tient au chevet du monde et tente de lui administrer un remède.

• Membre comme elle du Groupe 47 qui tente de reconstruire une littérature après le nazisme, Hans Magnus Enzensberger (né en 1929) publie des textes trés violents, aussi bien comme poète (Défense des loups, 1957) que comme intellectuel engagé.. »

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