Grand oral du bac : Fables et fabulistes (Exposé – Art & Littérature – Collège/Lycée)
Publié le 14/11/2018
Extrait du document
HISTOIRE D'UNE FABLE
Tout le monde connaît «Le corbeau et le renard», mais on sait moins que cette fable a elle-même une longue histoire. C’est en effet l'une des plus anciennes de la littérature, et elle a connu bien des versions différentes - pour une même morale, bien sûr : «Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute.» C’est à Ésope que Ton attribue cette fable, qui porte le n°204 dans le recueil publié par son compilateur Babrius. Phèdre en donne une version latine, publiée dans le premier livre de ses Fables ; mais c'est vers Ésope que revient le premier traducteur français de la fable, Névelet. Dans sa version, qui est datée de 1610, le fromage est un morceau de viande, et la morale ne manque pas de piquant : elle dit purement et simplement que «cette fable s'applique aux imbéciles»! On retrouve le fromage dans la traduction de Phèdre par Sacy (1647), qui place cette fois-ci la morale en premier : « Celui qui est bien aise d'être loué par des paroles trompeuses, en est souvent puni par un repentir honteux.» On mesure bien ici l'élégance de La Fontaine, qui n'a besoin que de quelques syllabes pour forger une morale aux allures de proverbe.
UN MONDE ENCHANTÉ
Si La Fontaine est aujourd'hui encore l'auteur préféré des Français, c'est peut-être parce que ses fables sont le premier, et quelquefois le dernier pas que l'on fait dans le monde enchanté de la littérature. Quant au genre méconnu de la fable, il est si étroitement associé à son nom que l'on en vient parfois à se demander si d'autres écrivains l’ont pratiqué.
INSTRUIRE EN AMUSANT
Voici plus de vingt-cinq siècles que des poètes grecs ont mis en vers les premières fables, et il est probable qu'ils ont largement puisé aux sources de la culture populaire, dans les récits que l’on se racontait à la veillée depuis la nuit des temps. Sans doute est-ce de ces origines immémoriales que les fables tirent leur extraordinaire capacité à durer. Elles ont traversé les millénaires, dites, écrites et réécrites par de petits et de grands écrivains, des anonymes et des classiques.
Les uns ont inventé, d'autres se sont contenté de jouer les passeurs, rafraîchissant les vieux récits pour les conformer au goût de leur époque.
Toujours une morale
Si sa lettre a pu évoluer, l'esprit du genre n'a guère varié. Chacun sait, grosso modo, ce que c'est qu'une fable : une petite histoire en vers, dont les personnages, animaux ou humains, vivent des expériences quelquefois fort désagréables,
le plus souvent comiques, toujours porteuses d'une leçon qui pourra s'énoncer dans une «morale». Car c'est bien de morale qu'il s'agit : le plaisir du lecteur va de pair avec un enseignement dont il est le principal ressort. «Instruire en amusant» pourrait ainsi être la devise d'un genre aux formes très diverses, mais dont la vocation pédagogique jamais démentie assure la très forte unité.
FABLES ET MYTHES
Pour comprendre au plus près ce qu'est une fable, il faut sans doute revenir à une distinction très ancienne, qui se retrouve dans toute la littérature occidentale. Les Grecs de l'Antiquité distinguent le logos et le mythos (on prononce muthos). Le premier définit l’ensemble des discours rationnels, l'univers des arguments et du raisonnement logique, alors que le second renvoie au monde de l’analogie, celui des images et des comparaisons. Pour transmettre une vérité, un
philosophe comme Platon préfère bien sûr faire appel au logos. Mais il arrive qu'il doive recourir au mythos pour donner une image plus frappante, dont ses lecteurs et ses auditeurs se souviendront mieux. C'est le cas dans les dialogues de La République, où le célèbre « mythe de la caverne» explique les défauts de la conscience humaine en recourant à l'image d'hommes enchaînés au fond d'une grotte, qui ne voient pas les objets, mais seulement leur ombre qui se dessine sur les murs de la caverne.
Ainsi, le mythos permet de faire passer des idées quelquefois ardues, et de les fixer dans la mémoire. C'est exactement le principe de la fable : un petit récit illustrant une vérité générale, le plus souvent morale. Ce recours au récit a un triple intérêt. En premier lieu, cela facilite grandement la compréhension du message à faire passer. Ensuite, le fait d’illustrer l'idée, de l'incarner dans une expérience, lui donne incontestablement plus de force. Si quelqu'un dit abruptement : « La raison du plus fort est toujours la meilleure», on n'a aucune raison particulière de le croire; tandis que, si on lit «le loup et l'agneau».
on admet mieux la réalité qui se cache derrière cette formule un peu abstraite. Enfin, le recours au récit à des personnages et à des situations, permet de graver cette vérité dans la mémoire; nul hasard si les fables sont en bonne place dans les récitations que les écoliers doivent apprendre par cœur. Pour reprendre le même exemple, celui qui a appris « Le loup et l'agneau » quand il était
«
LA
FONTAINE REVU ET CORRICi�
!:Ouvroir de littérature potentielle a été
animé par Raymond Queneau (1903-
1976).
Plus que d'une école littéraire, il
s'agit d'un cercle amical, où l'on faisait
mine de prendre au sérieux des travaux
consistant à jouer sur les différentes
versions possibles d'un même texte
littéraire.
Plus le texte est connu, plus le
détournement est comique : La
Fontaine sera donc la principale victime
des Oulipistes, qui ont notamment fait
subir à «l .lldf-1� et,.,_.
le
petit jeu du S+ 7 : chaque substantif,
adjectif ou verbe du poème est
remplacé par un mot situé sept entrées
plus loin dans le dictionnaire.
En voici le
début: lA CIMAISE ET lA FRACTION
La cimaise oyant chaponné tout
f'étemueur
Se tuba fort dépurative quand la
bixocée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio
de mouflette ou de verrat
Elle allo crocher frange
Chez la fraction, sa volcanique [.
.
.]
Et l'histoire ne s'arrête pas là, car le
poète Hervé le Tellier a repris ce titre
pour composer un autre texte :
Une cimaise, seule, du haut de sa
corniche,
S'ennuyait à crever comme un chien
dons sa niche.
Pour occuper son temps, elle fait des
divisions
Et se trouve soudain devant une
fraction.
«Quel curieux animal ...
» s'étonne la
cimaise,
contemplant le quotient : trois divisé
par treize.
Modeste,
comme tous les auteurs
médiévaux, Marie a attribué ses fables
au roi saxon Alfred le Grand; certaines,
pourtan� sont directement héritées de
l'Antiquité, comme « L� renard et le
corbeau».
D'autres sont d'origine
stratagème d'un ermite agacé par les
commentaires perpétuels de son
serviteur sur le péché originel.
Il attrape
une souris, la pose sous une écuelle,
puis il commande au serviteur de
garder soigneusement l'écuelle.
le
vilain, bien sûr, ne peut résister à la
tentation; et la souris lui échappe.
«Cesse de blâmer Adam et Ève pour
leur péché, et occupe-toi de tes propres
faiblesses», lui dira l'ermite!
À côté d'une tradition lettrée bien
représentée par Marie de France, une
tradition orale se développe, plus
populaire, et dont les récits du Roman
de Renart sont un bon exemple.
À vrai
dire, si les ressorts classiques de la
fable continuent à fonctionner, il
semble que la visée morale soit
légèrement subvertie, car les aventures
de Renart le goupil ne sont pas toujours
exemplaires ...
les «fabliaux», qui mettent le plus
souvent en scène des humains, sont de
la même eau.
Ils continuent à énoncer
une morale, mais l'essentiel semble être
1--------------l la victoire du rire contre une victime qui,
lesquelles «l'âne sensé» et« le cerf et la
brebis"· préparant la voie à des auteurs
moins connus comme Avianus, Syntipas,
Aphthonius, Adémar ou Romulus.
FABLIAUX ET YSOPETS
Quels que soient le talent et l'influence
de Phèdre, le classique des classiques
reste longtemps Ésope, et c'est
notamment grâce à lui que le genre
de la fable survit au Moyen Âge.
Des
recueils en langue vulgaire (c'est-à-dire
en français) commencent à circuler au
Xl' siècle, et on les nomme «ysopets»,
en référence à l'auteur grec.
le plus
célèbre ysopet reste celui écrit par
Marie de France au xu• siècle.
bien
souven� est un puissant : curé
ripailleur victime de sa gourmandise,
riche bourgeois que trompe sa
femme ...
Le beau rôle échoit souvent à
des marginaux, ou aux femmes.
Courts
(quelques centaines de vers), reposant
souvent sur quelque bon mo� ces
contes à rire ont laissé une empreinte
durable: Rabelais,
La Fontaine,
Voltaire
Renaissance genre de la
nouvelle, qui voit s'illustrer Marguerite
de Navarre et Bonaventure des
Périers.
LE MOMENT LA FONTAINE
la vocation morale de la fable antique
se perd dans le fabliau, et il faut
attendre le XVI' et surtout le XVII' siècle
pour voir réapparaître une tradition
qui semblait s'être égarée dans les méandres
de l'histoire littéraire.
le
grand nom, ici, c'est bien évidemment
Jean de la Fontaine (1621-1695), qui
va reprendre la tradition et la porter
jusqu'à son point de perfection.
Il
faudra du temps pour qull admette
l'originalité de son apport.
Il se donne
en effet au départ comme un simple
traducteur, ne visant qu'à restituer en
français les écrits d'Ésope.
les six premiers livres de fables, qui
paraissent entre 1668 et 1671, sont
dédiés au Grand Dauphin, fils de
Louis XIV et héritier de la couronne
de France.
Ils visent à «instruire et
divertir», reprenant à la lettre le
programme de l'apologue antique.
Au fil des éditions {1678 et 1694), la
personnalité littéraire de l'auteur
s'affirme de plus en plus, et le livre VIl
promet « un air et un tour nouveau».
De fait, la Fontaine fait appel à des
traditions plus variées, puisant aussi
bien dans l'héritage médiéval que dans
la littérature indienne (Pilpa·l) et
renaissante (le genre des emblèmes).
Au total, il invente peu de sujets, mais
déploie son génie dans l'art de
l'anecdote, la théâtralisation, la liberté
du ton, faisant de la fable un condensé
de tous les genres.
la virtuosité avec
laquelle il joue par exemple sur la
longueur des vers (ce que l'on appelle
le «métre») donne à ses poèmes une
variété et une fraîcheur rarement
atteintes en français.
la souplesse et
l'ingéniosité du vers et de la strophe
permettent une expressivité maximale,
la poésie se voyant dotée des
possibilités de la prose.
On comprend, dès lors, que ce talent
mis au service d'un genre pédagogique
et moral ait fait de la Fontaine l'un des
grands classiques scolaires.
Quelle
cruauté, pourtant, dans ses poèmes aux
antipodes de toute mièvrerie, où le
monde animal est placé sous le signe
de la force, de la prédation.
la nature
est carnivore, chez La Fontaine, et la
morale des fables est souvent digne des
plus belles pages de Machiavel.
C'est
sans doute ce réalisme qui fait la force
de ses fables -un réalisme paradoxal,
si l'on se rappelle que le genre est voué
à l'imagination et à la fantaisie.
LUMIÈRES DE LA FABLE
Après la Fontaine, plus rien ne sera
jamais comme avant.
Ses héritiers
directs se placent explicitement dans
son ombre, reprenant ses procédés
pour se contenter de les infléchir,
généralement du côté de la morale.
les auteurs des lumières trouvent dans
le côté pédagogique de la fable un
intérêt certain, qui rejoint leurs propres
préoccupations d'instruire et de moraliser.
On pourrait
citer lean-Pierre
Clarls de Rorian
(1755-1794), qui fut
célèbre en son temps
et dont on lit encore
quelquefois les fables les plus connues :
«L'auteur et les souris», «!:avare et son
fils», «L'aveugle et le paralytique».
les contes en vers de Voltaire (1694-
1778) semblent tout aussi proches
de l'esprit de la fable, même s'ils
conservent le nom de contes.
les auteurs du XVII� siècle tendent à
préférer les personnages humains
aux animaux.
Peut-être est-ce du fait de
la cruauté du monde animal; certains
écrivains des Lumières n'hésitent pas à
intenter un véritable procès à la fable,
en remarquant qu'il n'est peut-être pas
très judicieux de faire apprendre aux
enfants des poèmes où l'on voit à la fin
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