GRAFIGNY ou GRAFFIGNY Mme de : sa vie et son oeuvre
Publié le 14/12/2018
Extrait du document
GRAFIGNY ou GRAFFIGNY Mme de, née Françoise d'Happoncourt (1695-1758). Née à Nancy, elle passa sa jeunesse à Lunéville, à la cour du duc de Lorraine puis du roi Stanislas, s’y consolant d’une vie conjugale malheureuse. Accueillie à Cirey par Voltaire et Mme du Châtelet durant quelques semaines (1738-1739), elle donna de son séjour une relation piquante et indiscrète dans des lettres à son ami François-Antoine Devaux, dit Panpan. Mme du Châtelet la chassa, l’accusant d'avoir divulgué un chant de la Pucelle de Voltaire. Installée à Paris, elle noua des relations sans préjugés avec l’élite intellectuelle, notamment avec Rousseau, Marivaux, Prévost, Crébillon fils, La Chaussée, Palissot; mais aussi avec des mondains cultivés comme Conti ou Nivernois, des hauts fonctionnaires, Turgot, Malesherbes, des financiers philosophes comme Helvétius. A partir de 1750, elle tint un salon littéraire, et sa correspondance avec «Panpan», poursuivie jusqu’en 1758, donne un tableau précis des joies et des soucis d’une hôtesse parisienne, amie et rivale de « la Fée » (Mme Geoffrin) et de « Minette » (Mme Helvétius). Deux ouvrages publiés en trois ans assurèrent sa gloire d’écrivain : les Lettres d'une Péruvienne (1747), quarante-deux fois rééditées au cours du siècle et traduites en cinq langues, et Cénie ( 1750), une comédie larmoyante qui triompha à la Comédie-Française. Collé lui attribue en outre « cinq ou six comédies » destinées à la Cour impériale de Vienne, qui la protégeait; parmi celles-ci, Ziman et Zénise et Azor publiées en 1770. Sa dernière pièce, très attendue, la Fille d'Aristide (1758), fut un échec total.
Les Lettres d'une Péruvienne, plus encore que Cénie, illustrent ce mythe féministe élaboré au xvme siècle, qu’on retrouvera chez Mme Riccoboni, Mme de Genlis, voire dans le Mariage de Figaro : la femme représente l'élément « naturel », et aussi la victime privilégiée d’une société d’hommes fondée sur le paraître, l’intérêt et les préjugés; le mal social, conçu comme violence faite à la nature, se confond dès lors avec l'oppression ou l’incompréhension masculine. Zilia, jeune Péruvienne transplantée en France, séparée de son fiancé Aza, ne sachant même où il se trouve, compose pourtant à son intention des messages sous forme de quipos (cordons noués à la mode Inca : prestige rousseauiste d’une société sans écriture!), retranscrits par la suite. « Journal intime » (L. Versini) où se dit une passion plus forte que les surprises ou les tentations d'un monde inconnu : « O mon cher Aza, que ta présence embellirait des plaisirs si purs! » Cependant, à mesure que Zilia parfait son apprentissage des signes et celui des mœurs européennes, elle dénonce le système social (de manière si argumentée qu'elle suscitera une réponse de Turgot) : « Leur goût effréné pour le superflu a corrompu leur raison, leur cœur et leur esprit [...], établi des richesses chimériques sur les ruines du nécessaire, substitué une politesse superficielle aux bonnes mœurs ». Echo de Rousseau sur le mode des Lettres persanes?
Pourtant ni le style de Mme de Grafigny, avec ses lourdeurs, ses redites et ses naïvetés (primitivisme
«
oblige
...
ou permet), ni même son propos ne sont ceux
de Montesquieu.
L'important est de suggérer à la femme
déracinée, délaissée (Aza, finalement retrouvé, n'aime
plus sa Péruvienne), persécutée (en l'occurrence par les
propositions du Français Déterville) une forme de bon
heur par défaut, qui préserve son équilibre au sein d'une
société hostile : «Le plaisir d'être, ce plaisir oublié,
ignoré même de tant d'aveugles humains; cette pensée si
douce, ce bonheur si pur, je suis, je vis, j'existe ».
Comme Zilia, Cénie apprenant subitement qu'elle
n'est pas la fille de son père découvre la solitude : «Mon
indépendance m'épouvante; je ne tiens plus à rien, et
rien ne tient à moi�> (Cénie, IV, 1).
Mais dans la pièce
tout s'arrange grâce à d'opportunes retrouvailles; la
modernité des Lettres d'une Péruvienne consiste à lais
ser la femme, d'abord sujette, inventer et construire elle
même son propre destin.
BŒLIOGRAPHIE Les Lettres d'une Péruvienne, éd.
G.
Nicoletti, Bari, Adria
tica editrice, 1967 (av ec la crit ique de Turgot, un répertoire des
éditions, traductions et «suites>> de 1747 à 1835 : Réponses
d'Aza, par Hugary de la Marche Courmont, 1749; Suite des
Lettres d'une Péruvienne, par Mm• Morel de Vindé, 1797, etc.).
Voir aussi Lettres portugaises, Lettres d'une Péruvienne et
autres romans d'amour par lettres, éd.
B.
Bray et L Landy
Bouillon, Paris, OF-Flammarion, 1983.
La correspondance de
Cirey a été publiée sous le titre la Vie privée de Voltaire et M""
du Châtelet, Paris, Treuttel et Wurtz, 1820.
Elle figure dans
E.
Showalter, , Studies on Voltaire,
n• 139, Banbury, Voltaire Foundation, 1975.
Correspondance
générale, éd.
J.A.
Dainard, Voltaire Foundation, 1985 et suiv.
A consulter, -G.
Noël, Une «primitive» oubliée de l'école
des cœurs sensibles, Mm• de Graffigny, Paris, Plon, 1913;
E.
Showalter, « Sensibility at Cirey : Mm• du Châtelet, Mm• de
Graffigny and the Voltairomanie >>, Studies on Voltaire, n• 135,
Banbury, Voltaire Foundation, 1975; Vierge du Soleil/Fille des
Lumières.
La «Péruvienne » de Mm• de Graffigny et ses « Sui
tes » (coll.), Presses Universitaires de Strasbo urg .
1989.
J.-P.
DE BEAUMARCHAIS.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Lettres d'une Péruvienne de Mme de Grafigny ou Graffigny (analyse détaillée)
- Madame de La Fayette par Marie-Jeanne Durry Par le même besoin de variété qui, dans la vie, lui faisait parfois désirer d'être à la place d'autrui " quand ce ne serait que pour changer ", Mme de La Fayette, dans son oeuvre, va comme en se jouant d'un genre à un autre.
- KRÜDENER, Barbara Juliane de Vietinghoff, baronne de, dite Mme de : sa vie et son oeuvre
- GIRARDIN Mme Émile de : sa vie et son oeuvre
- EPINAY Mme d' : sa vie et son oeuvre