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Giraudoux, Électre: Extrait de l'Acte I, scène 1

Publié le 17/01/2022

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Giraudoux, Électre: Extrait de l'Acte I, scène 1

PREMIÈRE PETITE FILLE. — La reine Clytemnestre a mauvais teint. Elle se met du rouge.

DEUXIÈME PETITE FILLE. — Elle a mauvais teint parce qu'elle a mauvais sommeil.

TROISIÈME PETITE FILLE. — Elle a mauvais sommeil parce qu'elle a peur. PREMIÈRE PETITE FILLE. — De quoi a peur la reine Clytemnestre ? DEUXIÈME PETITE FILLE. — De tout.

PREMIÈRE PETITE FILLE. — Qu'est-ce, que tout ?

DEUXIÈME PETITE FILLE. — Le silence. Les silences.

TROISIÈME PETITE FILLE. — Le bruit. Les bruits.

PREMIÈRE PETITE FILLE. — L'idée qu'il va être minuit. Que l'araignée sur son fil est en train de passer de la partie du jour où elle porte bonheur à celle où elle porte malheur.

DEUXIÈME PETITE FILLE. — Tout ce qui est rouge, parce que c'est du 15 sang.

PREMIÈRE PETITE FILLE. — La reine Clytemnestre a mauvais teint. Elle se met du sang !

LE JARDINIER. — Quelles histoires stupides ! DEUXIÈME PETITE FILLE. — C'est bien, n'est-ce pas ?

PREMIÈRE PETITE FILLE. — Comme nous rattrapons le commencement

avec la fin, c'est on ne peut plus poétique.

L'ÉTRANGER. — Très intéressant.

PREMIÈRE PETITE FILLE. — Puisque Électre vous intéresse, nous pouvons réciter ÉLECTRE. VOUS y êtes, soeurs ? Nous pouvons réciter ce qu'elle était, Électre, à notre âge.

DEUXIÈME PETITE FILLE. — Je le pense, que nous y sommes !

TROISIÈME PETITE FILLE. — Depuis que nous n'étions pas nées, depuis avant-hier, nous y sommes !

Giraudoux, Électre, Le Livre de Poche

 

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« rumeurs, des on-dit, alors que « le bruit» n'a que le sens habituel qu'on lui connaît. Les commentaires Le Jardinier, l'Étranger et les trois petites filles elles-mêmes se livrent à des commentaires sur ce récitatif. D'une part les soi-disant «petites filles » se décernent un compliment, en qualifiant d'« on ne peut plus poétique » laconstruction circulaire de leur discours à trois voix.

En effet, la fin reprend le début, avec la mention du « mauvaisteint » de la reine Clytemnestre.

On peut voir ici un clin d'oeil de Giraudoux, qui montre son art d'écrivain ensoulignant le procédé de répétition qu'il emploie sciemment pour conférer une qualité poétique au discours desEuménides. D'autre part, le Jardinier et l'Étranger, qui n'est autre qu'Oreste, de retour dans sa cité natale d'Argos, ont desréactions contrastées.

Oreste trouve «très intéressant» le discours des prétendues « petites filles », alors que leJardinier n'y voit que des « histoires stupides ».

Cette divergence nous renseigne, bien entendu, sur la personnalitédes deux hommes.

Oreste, qui va devenir lui-même, indirectement, un agent du Destin, ne peut qu'être intéressépar ce que disent les fillettes, même s'il ne sait pas avec certitude qu'elles sont les Euménides.

Le Jardinier, hommesimple, n'a pas la subtilité du fils d'Agamemnon, et ne comprend rien à leurs paroles.

À moins qu'il ne comprenne quetrop bien les sombres présages qu'elles contiennent, et ne les qualifie de « stupides » que pour exorciser l'inquiétudequ'elles lui inspirent.

Ce personnage du Jardinier est complexe, et l'on ne peut décider s'il est aussi fruste qu'il en al'air, ou s'il incarne une sorte de sagesse populaire.

C'est lui qui informe l'Étranger de la croissance anormalementrapide des « petites filles »: il est donc peut-être conscient de leur nature, et sait par intuition qu'elles révèlent leDestin en marche. II.

Le destin en marche En effet, à travers les paroles des fillettes, une atmosphère lourde, angoissante, s'installe, comme un prélude auxévénements tragiques qui vont survenir. Une atmosphère angoissante Le lecteur — ou le spectateur — est amené, grâce à la force suggestive du texte, à partager l'angoisse qui étreintla reine Clytemnestre.

Il s'agit bien d'angoisse puisque la reine a peur « de tout».

Quelle est la nature de ce « tout »? Il s'agit des éléments eux-mêmes fort vagues (silences, bruits), ou apparemment anodins, tels que « l'araignée surson fil ».

À moins, bien sûr, d'interpréter ce dernier élément, ainsi que « minuit», et la couleur rouge, comme dessignes magiques, des présages. Les présages Dans l'Antiquité, on croyait fermement aux signes qui préfigurent l'avenir.

L'image de l'araignée fait songer auproverbe «Araignée du soir, espoir ; araignée du matin, chagrin ».

Minuit est la frontière entre le bon augure et lemauvais augure que représente l'insecte selon le moment de la journée.

On peut également voir dans le « fil » quesecrète l'araignée en tissant sa toile une allusion à celui des Parques, divinités du Destin, et qui symbolise la viehumaine.

La mentalité superstitieuse fonctionne par analogie, et interprète les signes selon leurs ressemblancesavec d'autres éléments du monde.

C'est ainsi que pour Clytemnestre, tout ce qui est rouge évoque le sang.

Ironiefinale : ce fond de teint rouge dont elle se farde, pour redonner l'éclat de la vie à son visage, devient parretournement un symbole de la mort qui va fondre sur elle : « elle se met du sang ». Après avoir « récité » le destin de Clytemnestre, les « petites filles » vont réciter celui d'Électre.

On voit donc queleur fonction, dans la pièce, est de révéler la vérité intime des personnages, leurs pensées secrètes.. »

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