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GIRAUDOUX, Electre (Acte II, scène 8)

Publié le 22/10/2013

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GIRAUDOUX, Électre, II, 8.
 
EGISTHE. - Et cette justice qui te fait brûler ta ville, condamner ta race, tu oses dire qu’elle est la justice des dieux ?
ELECTRE. - Je m’en garde. Dans ce pays qui est le mien on ne s’en remet pas aux dieux du soin de la justice. Les dieux ne sont que des artistes. Une belle lueur sur un incendie un beau gazon sur un champ de bataille, voilà pour eux la justice. Un splendide repentir sur un crime voilà le verdict que les dieux avaient rendu dans votre cas. Je ne l’accepte pas.
EGISTHE. - La justice d’Electre consiste à ressasser toute faute à rendre tout acte irréparable ?
ELECTRE. - Oh non ! Il est des années où le gel est la justice pour les arbres, et d’autres l’injustice. Il est des forçats que l’on aime, des assassins que l’on caresse. Mais quant le crime porte atteinte à la dignité humaine, infeste un peuple, pourrit sa loyauté, il n’est pas de pardon.
EGISTHE. - Sais-tu même ce qu’est un peuple, Electre !
ELECTRE. - Quand vous voyez un immense visage emplir l’horizon et vous regarder bien en face, d’yeux intrépides et purs, c’est cela un peuple.
EGISTHE. - Tu parles en jeune fille, non en roi. C’est un immense corps à régir, à nourrir.
ELECTRE. - Je parle en femme. C’est un regard étincelant à filtrer, à dorer. Mais il n’a qu’un phosphore, la vérité. C’est ce qu’il y a de si beau quand vous pensez aux vrais peuples du monde, ces énormes prunelles de vérité.
EGISTHE. - Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple Electre.
ELECTRE. - Il est des regards de peuple mort qui pour toujours étincellent. Plût au Ciel que ce fût le sort d’Argos ! Mais depuis la mort de mon père, depuis que le bonheur de notre ville est fondé sur l’injustice et le forfait, depuis que chacun, par lâcheté, s’y est fait le complice du meurtre et du mensonge, elle peut chanter, danser et vaincre, le ciel peut éclater sur elle, c’est une cave où les yeux sont inutiles. Les enfants qui naissent sucent le sein en aveugles.
EGISTHE. - Un scandale ne peut que l’achever.
ELECTRE. - C’est possible. Mais je ne veux plus voir ce regard terne et veule dans son oeil.
EGISTHE. - Cela va coûter des milliers d’yeux glacés, de prunelles éteintes.    
ELECTRE. - C’est le prix courant. Ce n’est pas trop cher.
EGISTHE. - Il me faut cette journée. Donne-la-moi. Ta vérité, si elle l’est, trouvera toujours le moyen d’éclater un jour mieux fait pour elle.
ELECTRE. - L’émeute est le jour fait pour elle.
EGISTHE. - Je t’en supplie. Attends demain.
ELECTRE. - Non. C’est aujourd’hui son jour. J’ai déjà trop vu de vérités se flétrir parce qu’elles ont tardé une seconde. Je les connais, les jeunes filles qui ont tardé une seconde à  dire non à ce qui était laid, non à ce qui était vil, et qui n’ont plus su leur répondre ensuite que par oui et par oui. C’est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité, elle est éternelle mais ce n’est qu’un éclair.
EGISTHE. - J’ai à sauver la ville, la Grèce.
ELECTRE. - C’est un petit devoir. Je sauve leur regard... Vous l’avez assassiné, n’est-ce pas ?

La guerre menace. Devant l'urgence de la situation, Égisthe demande à Électre de surseoir à son projet de vengeance et à son exigence de vérité. Mais Électre refuse de se laisser convaincre, opposant au « bloc d'honneur« qu'est devenu le régent, transfiguré par sa mission de gouvernant, un bloc de négation. De cc débat sans issue, structuré par le jeu des oppositions, comme par la thématique du regard et de la lumière, naît un tragique où le dialogue accentue la tension et les ruptures.

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« La guerre menace.

Devant l'urgence de la situation, Égisthe demande à Électre de surseoir à son projet de vengeance et à son exigence de vérité.

Mais Électre refuse de se laisser convaincre, opposant au « bloc d'honneur» qu'est devenu le régent, transfiguré par sa mission de gouver­ nant, un bloc de négation.

De cc débat sans issue, structuré par le jeu des oppositions, comme par la thématique du regard et de la lumière, naît un tragique où le dialogue accentue la tension et les ruptures.

1 - UN DÉBAT SANS ISSUE Un roi et une jeune fille Le débat qui oppose les deux personnages est un débat entre roi et jeune fille, comme le rappelle Égisthe à la ligne 17.

Il met en cause la connaissance d'Élcctre («Sais-tu même ce qu'est un peuple, Électre?») insistant sur la différence de leurs visions.

Régent ayant en charge un État, il évoque le peuple en gestionnaire et le définit de manière presque matérielle ( « un immense corps à régir, à nourrir » ).

Électre, qui lui rétorque qu'elle «parle en femme», en a une vision abstraite et théorique(« un regard étincelant à filtrer, à dorer»).

Mais, pour l'un comme pour l'autre, le peuple est une préoccupation centrale.

Le relatif contre l'absolu Les deux conceptions qui s'affrontent sont d'ordres radicalement opposés.

Pour Égisthe, l'exigence de l'être doit être relativisée.

D'où la remise en cause d'une justice qui « consiste à ressasser toute faute, à rendre tout acte irréparable » et d'une vérité incertaine, car propre à un individu(« ta vérité, si elle l'est»).

D'où la mise en garde contre le scandale suicidaire(« Un scandale ne peut que l'achever») et une vérité nihiliste ( « Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple, Électre » ).

L'absolu d'Électre est traduit par Égisthe comme un idéal que le temps peut relati­ viser(« Ta vérité[ ...

] trouvera toujours le moyen d'éclater un jour mieux fait pour elle »).

Au « demain » d'Égisthe s'oppose le « C'est aujourd'hui son jour » d'Électre.

L'ordre de l'urgence et l'ordre de l'exigence Dans ce conflit de valeurs, les deux ordres que représente chacun des person­ nages sont ceux de l'urgence (la situation de guerre et d'émeute) et de l'exigence (la vérité et la justice érigées en absolus).

À la raison d'État représentée par Égisthe s'oppose la raison-déraison du concept individuel que s'est forgé Électre.

L'un et !'autre sont inconciliables.

Il - l.A THÉMATIQUE DU REGARD ET DE LA LUMIÈRE Le champ lexical du regard Il est très présent : « regarder», « regard », « yeux », « prunelles », « regards », « aveugles », « œil ».

Ce champ lexical du regard donne une assise particulière­ ment forte au texte, d'autant que certains termes sont récurrents.

La thématique du regard, c'est celle de la conscience et du reflet de l'âme.. »

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