Ghelderode et les masques
Publié le 31/12/2011
Extrait du document
«
2
signes du pouvoir (le sceptre royal) et de son contraire (la marotte \
du
bouffon) pour que leurs identités s’inversent au point de faire d\
ire au moine
venu annoncer la mort de la reine : « Il faut que le roi vienne, quel qu’il
soit !...
9 »
Il est clair que nous sommes là en présence d’un théâtre résolument non
réaliste, où tout concourt à souligner la précarité des ê\
tres.
Point donc ici de
héros, pas d’avantages de valeurs à établir ou à asseoir.
On ne s’étonnera
pas, dans un tel contexte, d’arracher un masque pour en découvrir \
un autre.
Et le plus subtil des tous ces masques est indéniablement celui que porta
Ghelderode lui-même.
Ne s’est-il pas empressé en effet de fondre la
personne, banale et bien peu édifiante d’Adémar Martens en l’\
identité
tellement plus mystérieuse et évocatrice de Michel de Ghelderode ? Mais il
serait naïf de penser que Ghelderode se limita à l’usage d’un seul masque : il
en porta bien d’autres ! C’est sous le pseudonyme de Babylas qu’il écrivit
pour la revue dadaïste Haro des textes à caractère anarchisant, dans les
années vingt.
Comment ne pas évoquer ici son plus beau canular : au terme
d’une conférence, il annonce à son public qu’il vient de découvrir un poète
surprenant, croque-mort de son métier, et qui répond au nom de Philostène
Costenoble.
Sous ce masque singulier, c’est le poète Ghelderode
10 , pas trop
sûr de rencontrer le succès, qui se dissimule, non sans malice.
Il demeure que c’est le masque en tant qu’objet tangible qui symbolise le
mieux la démarche ghelderodienne, qui focalise à coup sûr l’\
attitude
existentielle de l’auteur face aux jeux sociaux qu’il n’a au fond jamais cessé
de montrer, pour mieux en dénoncer les effets néfastes, à travers son œuvre
entier.
La contemplation d’un masque a, en fin de compte, quelque chose de
rassurant quand on sait que les véritables masques ghelderodiens sont\
aussi
peu tangibles que ceux portés par nos semblables.
Ignorer qu’une personne
porte un masque, c’est évidemment en être totalement la dupe.
Lorsque, dans le conte Sortilèges
11 , le narrateur prie une repoussante
mégère d’ôter son masque de carnaval, elle lui répond : « Méchant ! […] Je
n’ai pas de masque, moi, c’est ma figure !
12 » Voilà du Ghelderode à l’état
pur ! C’est en effet dans l’ambiguïté des choses et des êtres que l’auteur livre
le meilleur de lui-même, comme si la précarité même des êtres constituait à
ses yeux la seule valeur véritable, le seul sujet vraiment digne d’intérêt.
Comme l’a fort bien compris Roland Beyen, il s’agit ici de la Comédie des
apparences
13 , ou mieux, de la Hantise du masque 14 !
9 Opus cité, p.
84.
10 C’est sous « le masque » de Costenoble que Ghelderode fera publier le recueil de
poèmes intitulé Ixelles mes amours.
11 Labor, collection Espace Nord, Bruxelles, 2001, avec une lecture de Jacqueline
Blancart -Cassou, 279 pg.
12 Opus cité , p.
126.
13 Roland Beyen, Michel de Ghelderode ou la Comédie des apparences, Ministère de
la Communauté française, Bruxelles, 1980, 254 pg.
Catalogue illustré de
l’exposition de Bruxelles ( 1980)..
»
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