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Germinal (Cinquième partie, chapitre V) - Zola : LECTURES MÉTHODIQUES

Publié le 15/03/2015

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germinal

exte commenté : Germinal de Zola, Cinquième partie, chapitre V

 

La porte charretière, pourtant, fermait très mal, et elle avait de telles fentes, qu’on apercevait la route entre ses bois vermoulus. [...j Lucie et Jeanne, malgré leur tremblement, avaient mis un oeil à une fente, désireuses de ne rien perdre du spectacle.

 

Le roulement de tonnerre approchait, la terre fut ébranlée, et Jeanlin galopa le premier, soufflant dans sa corne.

 

— Prenez vos flacons, la sueur du peuple qui passe ! murmura Négrel, qui, malgré ses convictions républicaines, aimait à plaisanter la canaille avec les dames.

 

Mais son mot spirituel fut emporté dans l’ouragan des gestes et des cris. Les femmes avaient paru, près d’un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d’enfanter des meurt-de-faim Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l’agitaient, ainsi qu’un drapeau de deuil et de vengeance. D’ autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d’un seul bloc, serrée, confondue, au point qu’on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant La Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des baffes de fer, une hache passa, portée toute droite; et cette hache unique, qui était comme l’étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d’un couperet de guillotine.

 

— Quels visages atroces balbutia Mme Hennebeau.

 

 Négrel dit entre ses dents:

 

— Le diable m’emporte si j’en reconnais un seul ! D’où sortent-ils donc, ces bandits-là?

 

Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette débandade enragée au travers des fosses avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montsou. A ce moment, le soleil se couchait, les derniers rayons, d’un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine. Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.

 

— Oh !superbe ! dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d’artistes par cette belle horreur.

Le vocabulaire de Zola n'en demeure pas moins un vocabulaire réaliste qui dit la pauvreté des « culottes déteintes «, des « tricots de laine en loques «, des « gue­nilles montrant la peau nue «. Il dénonce l'aliénation des charbonniers, privés d'in­dividualité, « effacés dans [une] uniformité terreuse « qui rappelle les menaces de la mine, l'écrasement et le travail de brute accompli sous la terre. Il s'indigne enfin de l'injustice qui ravale le peuple au rang de la bête, qui condamne les « femelles « humaines à enfanter un peuple de « meurt-de-faim «, transformant les joies de la maternité en « deuil «, utilisant le désir comme une simple fonction économique de reproduction : c'est qu'il faut de la chair à misère pour le Minotaure qui se nourrit de viande humaine ...

Conclusion. Affirmant, contre l'idéalisme, la beauté de l'horreur, Zola a fait de cette page l'un des emblèmes de l'esthétique naturaliste au service d'un idéal de vérité et de justice.

germinal

« l E C T U R E S M É T H 0 D 1 Q U' E S • 20 due, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse.

Les yeux brû­ laient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant La Mar­ seillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accom­ pagné par le claquement des sabots sur la terre dure.

Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme !'étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine .

• • • • • • • • • • • 25 30 - Quels visages atroces ' balbutia Mme Hennebeau .

Négrel dit entre ses dents : - Le diable m'emporte si j'en reconnais un seul ! D'où sortent-ils donc, ces bandits-là ? Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette déban­ dade enragée au travers des fosses avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montsou.

À ce moment, le soleil 35 se couchait, les derniers rayons, d'un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine.

Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.

- Oh ! superbe ' dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d'artistes par cette belle horreur.

Zola peint ici la ruée des grévistes emportés dans la rage de détruire.

Sa mise en scène utilise des cadrages originaux et fait varier les distances focales, alternant effets de masse et détails toujours symboliques.

1 -UN ART NATURALISTE DE LA COMPOSITION La description dramatisée et la focalisation interne À la différence de Balzac, qui composait ses descriptions du point de vue « ob­ jectif» d'un narrateur omniscient, Zola privilégie la description dramatisée.

Moti­ vée par le drame, celle-ci est assumée par le regard subjectif des personnages.

Mais la focalisation interne requiert quelques artifices techniques : le spectateur attentif,« fonctionnaire de l'énonciation réaliste», comme l'écrit Hamon, doit à la fois pouvoir et vouloir voir.

Les « fentes ouvertes » dans les « bois vermoulus » de cette porte charretière mal close assurent la première de ces deux modalités du voir.

La peur des jeunes filles, leur curiosité, assurent la deuxième.

Mi-terrifiées par le danger, mi-fascinées par le« spectacle» qu'elles observent en« artistes» malgré leur« tremblement », elles contemplent, selon le mot de l'ingénieur, « la sueur du peuple qui passe ».

Regards croisés donc, regard politique ambigu de l'in­ génieur républicain qui aime « à plaisanter la canaille avec les dames », regard émotif et esthétique, celui des demoiselles Deneulin.

«Un goût d'artiste» Zola fait donc alterner images statiques et dynamiques qui donnent à la descrip­ tion l'ambivalence des émotions de ses personnages.. »

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