germain sylvie
Publié le 26/02/2014
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fÉÅÅtÜx Novembre 2005 La vie du Bulletin ....................................................................................................2 Les sandales de Nerval, par Henri Bonnet .............................................................3 PRISME Jules Verne et l'abbé Lhomond, par François Delagrange ....................................5 ROMANS, RÉCITS Un grand « peut-être « : le Magnus de Sylvie Germain, par Henri Bonnet ...........7 Un vieux Romain, par Yves Avril ............................................................................8 HISTOIRE, BIOGRAPHIES Un centenaire embarrassant, par Pierre Bérard....................................................24 LITTÉRATURE, CRITIQUE La « très intime conspiration « des soeurs Stephen, par Roger Payot ..................32 POÉSIE.................................................................................................................40 SPIRITUALITÉ Teilhard sous réserve d'inventaire, par Michel Rustant........................................45 BEAUX-ARTS, CINÉMA Dada au Musée, par Roger Payot .........................................................................49 LIVRES - CADEAUX .........................................................................................53 Abonnement Index Ont collaboré à ce numéro : Yves AVRIL, Bernard AUZANNEAU, François BÉRARD, Pierre BÉRARD, Henri BONNET, Micheline COCHARD, François DELAGRANGE, Jacques FERRATON, Rémy HÊME de LACOTTE, Henri HOURS, François LAGNAU, Roger PAYOT, Bernard PLESSY, Pierre PUPIER, Michel RUSTANT, Marie-Hélène VALENTIN _t äx wâ UâÄÄxàÇ 2 Le mois prochain sonnera pour nous l'heure fatidique, celle où tout se joue, puisque la grande majorité des abonnements se termine en décembre. Nous encarterons un fichet de couleur dans le numéro 646 à l'intention des abonnés concernés. Notre revue a besoin du soutien de chacun de ses lecteurs. Notre insistance sur ce point ne relève pas d'une clause de style ; elle correspond (hélas) à une stricte nécessité. Pour sa part, le Bulletin est tout à fait conscient de ce qu'il doit accomplir pour conserver la fidélité de ceux qui le lisent et, bien entendu, pour gagner de nouveaux abonnés. Les « avancées « de 2005 n'ont probablement échappé à personne. Une présentation plus diversifiée, une régularité plus grande dans la périodicité, et surtout une augmentation de la pagination : la moitié des numéros a désormais 56 pages au lieu de 48, et celui d'août/septembre en a compté soixante. Ce sont donc plusieurs dizaines de recensions supplémentaires que nos abonnés ont pu lire au cours de l'année. Tout cela a un coût. Il n'a pas été répercuté. Pourquoi ? Parce que notre lectorat fait déjà le choix de la vertu en s'attachant à une revue copieuse et sérieuse, mais la densité du contenu ne compense pas tout. Il faut reconnaître que, malgré ses efforts, le Bulletin reste encore un peu austère : pas de couleur, pas de mise en page accrocheuse, pas de photos. Il nous est impossible de lutter, sur le plan de la réalisation technique, avec les grands hebdos ou les mensuels de kiosque. Une augmentation ferait du Bulletin le plus sévère et le plus cher des périodiques littéraires. Nous ne pouvons décourager nos abonnés à ce point ! Pourtant, les nuages apparaissent à l'horizon. Pour réduire les coûts de mise en page, nous procèderons à de légères modifications dans la présentation des comptes rendus à partir de janvier 2006. Nous en dirons un mot le mois prochain. Mais la menace la plus redoutable est ailleurs. La Poste impose désormais aux « routeurs « de liasser les plis selon des codes et des sous-codes qui correspondent, rue par rue, et numéro par numéro, à la tournée du préposé. Cette préparation minutieuse implique, de la part des prestataires de services, l'achat de logiciels, des locations et mises à jour de fichiers (car les tournées changent), ainsi que des manipulations supplémentaires. Est-il nécessaire de préciser que ces prestataires vont devoir augmenter leurs prix ? De combien et quand ? Pour l'instant, nous l'ignorons, et les abonnements de 2006, pris en début d'année, ne subiront donc pas de hausse. Nous ne quitterons pas ce chapitre économique sans ajouter que nos lecteurs peuvent aussi s'éviter des frais d'affranchissement. Il leur suffit pour cela de nous indiquer par courriel ([email protected]) qu'ils se réabonnent (en précisant la durée) et donner un ordre de virement de la somme correspondante. La domiciliation bancaire complète du Bulletin est mentionnée en page deux de couverture. Si certains destinataires du fichet ne veulent pas se réabonner, qu'ils veuillent bien, pour le moins, se manifester sans attendre de recevoir deux ou trois lettres de rappel. Mais s'agissant d'une hypothèse d'école, cette dernière précision est glissée ici en très petits caractères... M.R. Les sandales de Nerval LES SANDALES DE NERVAL par Henri BONNET En ce cent cinquantième anniversaire de la mort de Gérard de Nerval, je veux l'évoquer à travers la légende du philosophe présocratique Empédocle qui est résumée en quelques lignes par Claude-Edmonde Magny, dans son ouvrage, jadis célèbre, intitulé précisément Les Sandales d'Empédocle (Neuchâtel, La Baconnière, 1945) : « L'oeuvre littéraire, écritelle, n'est pas simple distraction passagère, mais trace, repère et témoignage de sa vie spirituelle laissés par l'écrivain, comme ces sandales, qu'Empédocle abandonna, dit-on, aux bords de l'Etna, avant de se lancer vers une dernière aventure. « La dernière aventure de Nerval s'est achevée rue de la Vieille-Lanterne, près de l'actuel Châtelet, dans la nuit du 25 au 26 janvier 1855, à quelques pas de l'église Saint-Merri où il avait été baptisé et de la tour Saint-Jacques-de-la-Boucherie qui subsiste encore, alors que la rue de la Vieille-Lanterne a disparu en 1858. Meurtre, dit-on parfois ; suicide plutôt, au terme d'une « nuit noire et blanche «, comme il l'avait écrit à peu de temps de là à une vieille tante. On retrouva sur lui (qui portait dérisoirement un chapeau haut-de-forme), et c'est pour nous capital, quatre feuillets d'Aurélia. A l'instar des sandales laissées par Empédocle aux bords de l'Etna, l'oeuvre de Nerval subsiste et renaît à partir de la découverte macabre. C'est là que commence, avec des fortunes diverses, ce que Léon Cellier a appelé « la montée lumineuse «. Aujourd'hui, en 2005, de quelles cendres renaît le phénix ? L'anniversaire de la mort n'a pas été fracassant, peut-être parce qu'on attend la célébration du deux centième anniversaire de la naissance en 2008. En attendant, quoi de nouveau ? Une association s'est créée en juin dans la région de son enfance, au château d'Ermenonville, sous le nom de « Présence de Nerval «, avec l'objectif de faire connaître l'écrivain et de rassembler tous les connaisseurs et admirateurs. Elle ne se veut réservée ni à une élite ni à des spécialistes. Dans la même région, à l'abbaye royale de Chaalis, une exposition « Nerval et le Valois « a été préparée et présentée, avec succès, par les soins de J-M Vasseur, qui la fera tenir jusqu'en décembre. Elle est doublée de l'édition d'une plaquette très bien illustrée, publiée par J-C Curtil et intitulée Dans le Valois, sur les pas de Gérard de Nerval. Exposition et publication permettent de suivre au plus près l'itinéraire provincial de l'auteur de Sylvie, la nouvelle qui assurerait à elle seule sa célébrité par son écriture « mélancolique et tendre « et son histoire racontée au fil de la mémoire : « c'est tout mêlé entre les mots, disait Proust, comme la brume d'un matin de Chantilly «. Si c'est bien par ses oeuvres qu'un écrivain est susceptible de laisser « trace, repère et témoignage de sa vie spirituelle «, félicitons les éditions Gallimard de s'être lancées dans des rééditions qui, pour être classiques, n'en renouvellent pas moins les lectures. Les quatre rééditions sont ouvertes par des préfaces de Gérard Macé, subtil écrivain lui-même, dont le Bulletin présente habituellement les oeuvres, par exemple en 2004 Illusions sur mesure. Les deux premières sont déjà parues avec l'accompagnement très au point d'annexes, de notices et de notes de Bertrand Marchal, savant spécialiste de Mallarmé converti aux charmes de Nerval : il s'agit, en Folio classique, des Filles du Feu et des Chimères et, en Poésie / Gallimard, à nouveau des Chimères, suivies entre autres de la Bohême galante... 3 Les Sandales de Nerval Comme le souligne Gérard Macé, ne serait-ce que pour justifier le coup double, « c'est le chant des sirènes qu'on entend dans les Chimères «, chant qui a peut-être égaré Nerval dans la nuit d'hiver fatale. Les deux autres éditions annoncées pour l'automne bénéficieront de la compétence de Jean-Nicolas Illouz, auteur d'une thèse remarquée Nerval « rêveur en prose « : elle concerne les textes majeurs que sont Aurélia et Pandora, mais aussi, moins connues, les traductions faites par Nerval des poésies allemandes, réunies ici sous le titre de Lénore (Bürger) dont la traduction a été refaite huit fois par Nerval, tantôt en prose, tantôt en vers. Il faut considérer comme un grand événement, réservé plutôt à l'attention des spécialistes, la découverte à Bordeaux, véritable « miracle «, de six folios, « resurgis du néant «, du manuscrit de Pandora, correspondant au début de ce récit très mystérieux, publié par Alexandre Dumas en octobre 1854, donc peu avant la mort de Nerval. C'est Michel Brix, grand nervalien, qui a assuré, fac-similés à l'appui, la publication de cette trouvaille aux Presses Universitaires de Namur, sous le titre Genèse de Pandora, avec la collaboration de Jacques Clémens, l'heureux découvreur. Vu le sujet, nous rabattons sur l'année du cent cinquantième anniversaire la publication en fin de 2004 de la thèse savante de Dagmar Wieser qui s'intitule Nerval : une poétique du deuil à l'âge romantique et est ainsi explicitée dans l'introduction : « L'expérience du deuil, indéfinie par nature, pierre de touche de notre rapport à autrui, traverse et oriente la démarche littéraire de Gérard de Nerval. « Le sujet, correspondant à la circonstance, sera repris différemment fin 2005 ou début 2006 par le numéro spécial de la revue italienne Plaisance qui traitera de la mort selon un double axe, biographique et thématique. Bien que la commémoration mérite de retenir ce type de sujet qui a une portée largement humaine et de multiples résonances, on ne s'y limitera pas. Sous le titre Une balade nervalienne à Saint-Germain-en-Laye, les éditions Hybride ont publié un bel album poétiquement illustré par des photos. C'est Christian Besse-Saige qui en a composé les textes et prévu l'ordonnance. C'est lui aussi qui a organisé un colloque dans la même ville, chère au coeur de Nerval, et fait publier sans titre particulier les Actes aux mêmes éditions, colloque consacré à Nerval mais aussi à la mémoire du grand nervalien que fut Claude Pichois. Les actes d'un colloque un peu plus ancien, destiné à rendre hommage au professeur émérite Jacques Bony, viennent de sortir aux éditions Kimé : Quinze études sur Nerval et le Romantisme, recueillies avec bonheur par Hisashi Misuno et Jérôme Thélot. Beaucoup de « nervaliens « se retrouvent dans ces publications d'actes. On veut croire que, dans ce concert de publications de et sur Nerval, la voix de celuici se fait on ne peut mieux entendre, dans et par-delà sa mort dont il écrivait, dans une lettre importante à Loubens de fin 1841, elle-même retrouvée il n'y a pas très longtemps : « Je crois et j'espère sincèrement en la mort, je veux dire en la vie future «. Ce n'est pas pour rien, au moins symboliquement, qu'au moment de partir vers la dernière aventure, Nerval nous a laissé, comme Empédocle ses sandales, quelques feuillets d'Aurélia, retrouvés en 1855 dans son manteau, ou de Pandora, en 2005, dans un lot de papiers à Bordeaux. 4 Dernière minute : L'édition en Folio classique d'Aurélia, des Nuits d'octobre, de Promenades et Souvenirs et de Pandora vient de sortir : préparée en toute clarté par J-N Illouz, elle tient compte de la découverte de Bordeaux. Prisme JULES VERNE ET L'ABBÉ LHOMOND par François DELAGRANGE Pour Monique Crampon, Amiénoise latiniste et vernienne À la célébration du centième anniversaire de la mort de Jules Verne, je voudrais, en cette fin d'année 2005, ajouter celle du deux cent trentenaire du De Viris. Car l'abbé Lhomond (1727-1794) le mérite et il est lié à Jules Verne de plusieurs façons. D'abord il est né à Chaulnes à quelque distance d'Amiens et, si le Conseil municipal de cette dernière ville, où siégea l'auteur de Michel Strogoff, n'hésita pas à marquer sa reconnaissance à Jules Verne en lui offrant boulevard, square et statues, rivalisant dans ce concours d'honneurs avec Nantes, sa ville natale, Amiens et Chaulnes se disputèrent la gloire d'avoir été le berceau de l'abbé Lhomond et, dès 1860, l'une et l'autre ville lui fit hommage d'une statue. Ensuite, tous deux ont consacré l'oeuvre de leur vie aux enfants. Si vous vous arrêtez devant la statue de Jules Verne, à cent mètres de la gare d'Amiens, vous verrez que le sculpteur a représenté le grand homme entouré d'enfants sagement occupés à lire les beaux livres de la collection Hetzel ; quant à l'abbé, régent de 6e au collège du Cardinal Lemoine, il résista obstinément aux autorités religieuses et civiles qui lui faisaient miroiter l'espoir de dignités, de bénéfices et de chaires et il disait à son compatriote, élève, puis collègue et ami, enfin compagnon d'infortune dans les geôles de la Révolution, l'abbé Just Haüy (né à Saint-Just-en Chaussée, en Picardie, régent de 2e dans le même établissement que l'abbé Lhomond, c'est, paraît-il, à ce dernier et aux promenades botaniques en commun dans le village de Sceaux, plus qu'à Daubenton, qu'il dut la révélation de sa vocation scientifique) : « Je n'abandonnerai jamais mes chers sixièmes «. Du mot pédagogie, qu'il n'employait sans doute pas, il développait la valeur étymologique : « mener les enfants, pas à pas, la main dans la main «. C'est que, disait-il, « l'esprit de l'enfant est un vase à étroite embouchure, la science n'y peut pénétrer que goutte à goutte «, mais il voulait aussi « rendre l'enfance plus sage, plus instruite et plus heureuse, en épargnant à cet âge aimable une partie des larmes que les premières études font couler «. « Une partie des larmes «, précisait-il, car il avait le réalisme des bons maîtres. Et quand on le félicitait des bons résultats de ses élèves, il répondait : « Je ne leur ai rien appris si ce n'est à apprendre «. Combien de vocations scientifiques doit-on à la lecture de Jules Verne, combien de vocations de latinistes doit-on au De Viris illustribus Romæ, a Romulo ad Augustum, ad usum scholæ, ou à l'Epitome Historiæ sacræ ad usum tyronum linguæ latinæ (réédition de ce dernier ouvrage, établie et annotée par Gérard Bedel, aux Éditions de Paris en 2004) ! Tallien, le conventionnel, apporta un témoignage concret de sa reconnaissance envers celui qui avait été son maître, en faisant libérer l'abbé Lhomond, arrêté en août 1792 avec les autres prêtres réfractaires et enfermé au séminaire Saint-Firmin qu'on venait pour l'occasion de transformer en prison, lui évitant ainsi de subir le sort atroce des victimes de Septembre. Admirons comment, dans l'Epitome, la phrase « d'abord simple comme une phrase française, arrive graduellement à la marche latine « : ainsi de Deus creavit mundum intra sex dies va-t-on passer par étapes à Paulo post regnum Judaeæ invasit Herodes alienigena ; hunc primum Judæi habuerunt regem ex alia gente ortum, eoque regnante natus est CHRISTUS, ut praedixerant prophetae. Lhomond emploie une méthode aussi progressive 5 Prisme et pratique pour les Éléments de la grammaire française, conçus comme une préparation aux Éléments de la grammaire latine (1780), la Doctrine chrétienne (1783), où toute leçon, adressée à « mon cher Théophile «, est suivie d'une explication point par point et d'une application à la vie pratique, l'Histoire abrégée de l'Eglise jusqu'au Concile de Trente (1787), enfin l'Histoire abrégée de la religion avant la venue de Jésus-Christ (1791). Le passage suivant définit l'esprit dans lequel est conçue cette histoire : « C'est donc ne pas connoître le Christianisme, que de le regarder comme une Religion nouvelle. La Religion que nous professons a toujours subsisté, puisque dès la naissance du monde, l'attente de J.-C. en a toujours été l'âme ; puisque dès son premier état, tout y représentait Jésus-Christ et son oeuvre ; puisque J.-C. étoit la fin de la loi, la vérité des figures, le corps des ombres ; en un mot, puisque l'ancien Testament n'étoit que la prédiction du nouveau, et le nouveau l'accomplissement de l'ancien «. Dans une petite nouvelle de 1855, intitulée Le Mariage de M. Anselme des Tilleuls. Souvenirs d'un élève de huitième (San Carlos et autres récits inédits, Le Cherche Midi éditeur), sournoisement grivoise et assez peu inspirée, Jules Verne semble régler ses comptes avec les professeurs de latin dont il aurait eu à subir l'enseignement à Nantes, à l'école Saint-Nicolas - en 6e, accessits en version grecque et thème grec, géographie et musique vocale -, puis au petit séminaire de Saint-Donatien, enfin au Collège royal - en rhétorique, cinquième accessit de version latine (voir Joëlle Dusseau, Jules Verne, Perrin, 2005). Le précepteur du jeune Anselme, nommé Naso (ô Ovide) Paraclet, dont les « phrases s'émaillaient incessamment de formules et d'exemples tirés de la grammaire latine de Lhomond, professeur émérite de l'ancienne université de Paris «, cherche à marier son pupille, aussi laid - pour mieux dire, monstrueux - que sot (« son intelligence n'atteignait pas moins de trois mètres au dessous du plus stupide des cétacés «). Il se heurte d'abord à des refus, envoie les prétentieux ire clarinetam lusum, usant du « supin, vu les mouvements et contorsions qu'exige le jeu de cet instrument nasillard «, puis tombe (cave ne cadas !) sur un greffier, du nom de Maro (ô Virgile) Lafourchette, qui consent à accorder la main de sa fille viripotens. Avant la nuit de noces, le précepteur adresse à son élève ses dernières recommandations : « Retardez, mon noble élève, retardez le mystérieux instant où le futur de vos passions doit se fondre dans le présent des voluptés ! et souvenez-vous des différentes manières d'exprimer la préposition sans devant un infinitif ! Vous devez passer la nuit sans dormir, noctem insomnem ducere, sans blesser sa conscience, salva fide, sans faire semblant de rien, dissimulanter ! «. Le mariage n'est en effet « autre chose qu'une version « où « vous devez chercher le mot à mot de votre épouse avant d'en chercher une traduction trop libre «. Le récit est émaillé de références à Lhomond, de citations de règles de grammaire et de Virgile (les Bucoliques, mais aussi le livre IV de l'Énéide, à cause des amours de Didon et Enée) dont l'une, insérée dans une proposition conditionnelle française, s'entache d'ailleurs d'un beau solécisme. On retrouvera ce festival de latin, mais sans Lhomond, dans Bourses de voyage (Les Intégrales Jules Verne, Hachette, 1988) où l'on a même le célèbre Rosam angelum letorum (moins célèbre pourtant que le sumpti dum est hic apportavit legato alacrem eorum et la bonne Pauline grecque) qui fit le bonheur de générations de jeunes latinistes. 6 Devant les millions d'exemplaires des romans de Jules Verne répandus dans le monde, l'oeuvre pédagogique de l'abbé Lhomond peut faire pâle figure. Et pourtant, traduite en différentes langues, y compris le russe (1823) et l'arabe (1857), ses éditions et rééditions occupent quelque cent cinquante pages du Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale de 1929. Avec quelque condescendance le Grand Larousse du XIXe écrit : « Le bonhomme ne volait pas haut, mais ses élèves ne le perdaient pas de vue. Il n'était pas profond, il ne disait pas tout, mais il était simple, clair et bref, et cette méthode, que ses successeurs ont jugée trop enfantine, s'est trouvée être la bonne, il a fallu, après un siècle, revenir à l'auteur des Éléments de la grammaire latine «. Romans UN VIEUX ROMAIN par Yves AVRIL Le début du nouveau roman d'Eugenio Corti fait immédiatement penser au tableau d'ouverture du Cheval rouge : les premières pages de celui-ci nous montrent, à la veille de l'entrée en guerre de l'Italie, en mai 1940, un père et un fils fauchant un pré ; dans la scène I de Caton l'Ancien, l'an 216 avant J.-C., l'année de Cannes, Marcus Porcius Caton, âgé de 17 ans, et un vieux paysan, derrière une paire de boeufs blancs, sont occupés à labourer un champ. Caton l'Ancien est le troisième des romans auxquels l'auteur a donné une forme intermédiaire entre le récit et le théâtre, plus exactement entre le récit, le scénario ou même le découpage d'un film. Dans les entretiens que Paola Scaglione a présentés sous le titre Parole d'un romancier chrétien, Eugenio Corti explique les raisons qui lui ont fait choisir cette forme inédite : « Nous sommes contraints de tenir compte du progrès irréversible que comporte ce qu'on appelle la culture des images «, et il définit ces récits par images comme « des textes qui s'inspirent de la façon dont on bâtit les pièces de théâtre et les adaptations à la télévision. Mais ils ont un dynamisme narratif spécifique qui les rend aisément lisibles, même si leur aboutissement demeure la représentation «. Les deux premières oeuvres de cette forme, non encore traduites en français, sont La terra dell'Indio (1998), qui évoque l'histoire des réductions jésuites au Paraguay, et L'isola del Paradiso (2000), consacrée à l'histoire des mutins du Bounty. Mais on peut dire que, dès 1962, dans Procès et mort de Staline, cette pièce de théâtre qu'il eut tant de mal à faire représenter, il avait utilisé une forme analogue. L'effet qu'elle produit à coup sûr est moins la visualisation - celle-ci a pu aussi bien être obtenue par de bonnes et classiques descriptions comme il y en a dans Le cheval rouge ou dans les oeuvres autobiographiques que sont les récits de guerre, La plupart ne reviennent pas (récit, d'une atroce vérité, de la retraite des unités italiennes, dont faisait partie Eugenio Corti, alliées à la Wehrmacht dans la campagne de Russie) et Les derniers soldats du roi (ce récit de la campagne de libération de l'Italie avec les troupes restées fidèles au roi et combattant avec les armées anglo-américaines et françaises est, à notre avis, une des oeuvres les plus belles de Corti) - que la participation rendue plus active du lecteur à qui l'auteur s'adresse directement, dans les « digressions « historiques, les explications et commentaires sur l'action et les personnages. Autre effet : la disparition du lyrisme, des élans, de l'émotion qui caractérisaient les récits, une certaine sécheresse qui fixe l'attention sur les faits, les gestes et les paroles. Ainsi a-t-on en 36 épisodes et 200 scènes, dont la continuité est interrompue par ces « digressions « -commentaires et par des « médaillons « (portraits d'Hannibal et de Scipion et réflexions sur leur personnalité et leur rôle historique), la vie de Caton de sa jeunesse à sa mort en 149, trois ans avant que Scipion Emilien détruise Carthage et mette un terme définitif à la puissance et au rôle historique de la grande rivale de Rome. Pourquoi avoir choisi ce personnage ? Dans ses entretiens, Eugenio Corti, songeant à ce roman non encore écrit, dit : « J'ai en tête un récit sur Caton l'Ancien. Il s'agirait d'aborder le problème de la culture moderne, dont nous ne pouvons pas nous passer, bien qu'elle soit en train de conduire l'Occident à la ruine, tout comme Caton se rendait compte que la culture grecque encourageait le déclin du monde romain. « On s'apercevra en lisant le livre 7 Romans 8 que l'auteur garde tout son sens au mot « problème « : question proposée, sujet de réflexion ou de controverse : Caton l'Ancien n'est pas une hagiographie, le personnage est présenté comme il était, avec sa rigueur qui peut devenir raideur, mais aussi avec les faiblesses qui inquiètent ses proches (son remariage dans la vieillesse avec la jeune Salonia), sans qu'on ait jamais l'impression que l'auteur se serve de lui pour défendre une thèse. Point d'identification non plus comme celle qui se produit pour le personnage de Michele Tintori du Cheval rouge dont Eugenio Corti a fait consciemment son porte-parole : « J'y ai introduit quelqu'un qui me ressemblait, d'abord aspirant écrivain, puis romancier. J'ai essayé de le représenter très différent de moi, mais je l'ai fait réfléchir comme moi «. Caton l'Ancien est présenté sous différents aspects, attestés par les écrivains de l'Antiquité (surtout Polybe, Tite-Live et, bien sûr, Plutarque) dont s'inspire l'écrivain : d'abord l'homme de la terre, autre Cincinnatus pour qui le travail du paysan est l'élément fondamental, créateur de la puissance économique, mais surtout politique et morale de Rome ; ensuite le soldat, qui participe avec courage aux guerres romaines sans y chercher enrichissement personnel ni satisfaction d'instincts de violence ; puis l'intellectuel, dont les travaux, histoire des origines, étude de la langue, traités d'agriculture, mettent sous forme écrite la mémoire et les traditions ; enfin le citoyen, qui gravit les échelons du cursus honorum, non par ambition mais par devoir. Il faudrait ajouter à ces visages celui du père et de l'éducateur avec sa rigueur tout orientée vers la formation morale du citoyen. La vie de Caton est presque exactement contemporaine de celle d'Hannibal (247-183) et Scipion l'Africain (235-183) : s'il s'agit de combattre le premier parce que, avec Carthage, il menace la vie physique de Rome, le second, dont la générosité et la popularité sont immenses, est, après sa victoire sur Hannibal, un risque pour la République. Caton admire, à des titres différents, les deux hommes, mais il doit les combattre tous les deux, l'un comme soldat, l'autre comme citoyen. Eugenio Corti écrit : « En comparant les trois hommes, nous définirons Hannibal comme le plus grand - Scipion comme le plus créateur (et le plus humain) - Caton comme le plus utile au salut intérieur du monde romain, et par conséquent de notre monde lui-même «. Mais le plus grand danger, pour Caton, vient de la Grèce, non certes de sa puissance militaire, mais, de façon plus insidieuse, de ses séductions intellectuelles, de son raffinement, poisons mortels pour Rome : utilisant le talent d'orateur qu'il a cultivé avec soin pour le seul service de sa patrie, il plaide en faveur du maintien de la loi Oppia contre le luxe ; il se méfie de Plaute, il condamne Ennius qui adopte pour ses Annales la forme poétique et, plus gravement, le mètre grec, l'hexamètre dactylique, et lui oppose son obstination à redonner vie au vieux saturnien, vers romain des origines ; la scandaleuse affaire des Bacchanales l'incite à se porter candidat à la censure et c'est ainsi que, s'il est connu sous le nom de Caton l'Ancien, il l'est aussi, sinon plus, sous celui de Caton le Censeur. En lisant le livre d'Eugenio Corti, je pensais à ce qu'écrivait Péguy à l'intention de son ami Psichari à la fin de Victor Marie, comte Hugo : « Romain héritier de la paix Romaine (...), Romain héritier de la force Romaine, Romain héritier de la loi romaine, Romain héritier du droit romain ; jus atque lex, le droit et la loi, l'administration, le droit romain, la loi romaine ; la province romaine ; Pacificateur, Édificateur, Organisateur, Codificateur, Justificateur «, et c'est bien la nécessité de la transmission de l'héritage qui fait comprendre la vie et l'oeuvre du Caton d'Eugenio Corti, celui qui dit à son fils : « C'est cette mentalité que tu dois faire tienne, en te rappelant que notre force, à nous autres Romains, nous est toujours venue de notre esprit paysan, et que ce n'est que dans les moments où Rome s'est éloignée de cet esprit que les choses ont mal tourné... Mon fils, comprends-tu bien ce que je veux te transmettre ? C'est la forma mentis qui a fait la grandeur de Rome «. Eugenio Corti, Caton l'Ancien, Éd. de Fallois / L'Âge d'Homme, 391 p., 22 EUR Romans UN GRAND « PEUT-ÊTRE « : LE MAGNUS DE SYLVIE GERMAIN par Henri BONNET Magnus, quel drôle de titre et quel drôle de nom ! En fait, c'est celui d'un ours en peluche et celui que le personnage lui-même a pris depuis son plus jeune âge, c'est-à-dire depuis le bombardement de Hambourg dont il est le « rescapé «. Pas de nom de famille, pas de père. Il aura bien une famille et un père d'adoption mais ils ont été compromis dans les horreurs du nazisme et Magnus voudra s'en défaire au plus tôt. Le roman est conduit par la nécessité de ce délestage et le besoin de combler le vide des origines. D'un « jeune homme fou de mémoire et d'oubli «, tel est bien le drame. Mais ce drame ne saurait être ni simplifié ni ramené à une formule. « Dans les décombres de la mémoire «, s'élève une « étrange polyphonie funèbre «, comme il est dit d'un livre aimé de Magnus. Tout, dans le roman, passe par la mort ou y pousse, mais la vie y est, en proportion inverse, multipliée par une suite de rencontres qui en valorisent les rebondissements. Deux figures féminines s'offrent au plus près du coeur et de l'horizon de Magnus : Peggy, emportée malheureusement dans un curieux accident dont Magnus sort boiteux ; May, qui ne sera ni oubliée ni reniée par le nouvel amour de Magnus pour Peggy dont le coeur s'avère être pour lui « un palimpseste sonore «. D'autres comparses ne font pas que jouer les utilités. De polyphonie en palimpseste, le roman résonne de tous ces apports et accords. Et pourtant, plus on avance, plus on sent que c'est le vide ou l'évidement que vise la recherche. Le dernier compagnon d'infortune ou de fortune de Magnus est un ermite qui vient non pas lui tenir compagnie mais lui donner le sens de cette recherche, avant de mourir lui-même dans le dénuement d'une tombe bourdonnante d'abeilles. Ces péripéties et ces déboires finissent par être glorieux dans leur détresse même, laquelle n'entraîne ni désaffection ni abandon. Le destin de Magnus, qui porte bien le nom de son ours, a les traits d'une petite épopée individuelle qui n'est pas plus coupée de l'histoire de son temps que des lieux où il est amené à se retrouver, de l'Allemagne à l'Angleterre, de San Francisco à Vienne, avant de finir dans un Morvan désert. La langue de Sylvie Germain est superbe de justesse, tenant à la fois de la familiarité et de l'élévation. Superbe est aussi, pour le lecteur qui accepte le dépaysement de la syncope, la composition par fragments numérotés et entrecoupés de notes, notules, séquences, échos, qui font même (surtout) appel à la poésie. Surprise, le fragment 1 ne se trouve qu'après le fragment 11 : il nous ramène à « Hambourg, à l'heure de Gomorrhe «. On approche alors du mystère des origines, mais celui-ci ne sera pas levé. Rien de la « procession de vocables « n'est gratuit. Il est de plus en plus question, au fur et à mesure de la progression de l'enjeu métaphysique. Religieux aussi ? Si l'on veut. « La question de Dieu « se ramène à deux références bibliques : la montée d'Elie à l'Horeb et le Sermon sur la Montagne. Mais ce n'est pas contraignant : on n'avance pas dans un cimetière de certitudes. Il est beau, il est grand (l'adjectif vient spontanément sous la plume) que tout s'origine non dans les certitudes pauvrement humaines et finalement mises à nu, mais dans l'énigme du grand « peut-être « : au début, c'est celui d'un nourrisson lové dans son couffin, « vulnérable et cependant souverain «, à la fin « le fragile peut-être qui lui tient lieu de filiation «. Finalement ce « peut-être « représente la grande vérité du roman, de celui-ci et peut-être de tout roman. Dans le cas de Sylvie Germain, c'est moins l'expression du scepticisme (qu'on a prêté à Rabelais au moment de sa mort) qu'au contraire celle de la confiance dans la vie et dans l'au-delà. Sylvie Germain, Magnus, Albin Michel, 280 pages, 17,50 EUR 9 Romans Éliette ABÉCASSIS Un heureux événement Derrière ce titre positif se cache un roman pessimiste. Il commence dans la gaieté, avec la fulgurance de l'amour et l'insouciance de la jeunesse, se poursuit dans la légèreté d'une grossesse rayonnante, se dégrade avec l'épuisement dû à la maternité, puis sombre dans la noirceur de la rupture. Il correspond à un cycle, qui suit les états d'âme... et de corps d'une jeune trentenaire qui devient mère. L'enthousiasme des débuts est vite oublié : l'arrivée du bébé est vécue comme un cataclysme ravageant tout sur son passage. Autant dire que cette vision négative de la maternité n'est pas un cadeau à offrir à de futurs jeunes parents ! Mais ceux qui ont vécu l'expérience relativiseront et feront le tri entre formules convenues et constatations de bon sens ! Après tout, « ce n'est qu'un roman «, par ailleurs agréable à lire. Albin Michel, 222 p., 15,90 EUR F.L. Paul AUSTER Brooklyn Follies 10 Plus encore que sur son inépuisable esprit d'invention, le talent de Paul Auster repose sur sa surprenante maîtrise dans la conduite du récit, sur la sûreté de main avec laquelle, de la première à la dernière page, il suit le cours d'un destin d'homme ; rien ne manque et tout est essentiel dans cette progression soigneusement contrôlée où le hasard, l'accidentel côtoient le plus banal sans que l'on doute un instant de la réalité des choses. Nathan Glass, le narrateur, raconte ici sa vie de retraité, divorcé, installé à Brooklyn en solitaire résigné, et les événements successifs qui l'amènent à réunir autour de lui sa fille, son neveu Tom, sa nièce et quelques autres et à voir s'ouvrir devant lui une vie nouvelle aussi inattendue que chaleureuse, comme un fleuve qui, près de son embouchure, verrait se joindre à lui, et s'apaiser, des torrents de montagne au cours capricieux. L'ordre ainsi établi n'est certes pas celui de l'Amérique puritaine et le parcours chaotique de certains des personnages n'en garantit pas la pérennité, mais Nathan a pourtant des raisons de se réjouir en se remémorant les enchaînements, les rencontres, les incidents qui ont marqué les dernières années. Le talent de Paul Auster s'épanouit davantage dans l'évocation minutieuse de ces trajectoires convergentes que dans l'ambiance d'optimisme un peu béat où baigne, vers la fin, la confession du narrateur. L'évocation incongrue, à la toute dernière page, du 11 septembre 2001 a certes pour effet de relativiser les choses ; mais elle relève aussi de la facilité, ce qu'on regrettera sans doute. Actes Sud, 280 p., 23 EUR J. F. Patrick BESSON Saint-Sépulcre ! On est aux temps anciens, truculents selon le romancier, de Robert de Sorbon et de Thomas d'Aquin, du roi Louis et de Joinville comme de Rutebeuf, alors que « l'île de la Cité est remplie d'églises «. Bénodet, un jongleur sans le sou, père de trois enfants, et Richart, un écolier qui doit rédiger, cent cinquante-trois ans après, un récit de la prise de Jérusalem, tombent tous deux amoureux d'une prostituée palestinienne. Cette dernière s'enfuit du bordel fréquenté par les deux hommes qui vont tout mettre en oeuvre - c'est le cas de le dire aussi de Patrick Besson - pour la retrouver. A partir de là, plusieurs intrigues se croisent - croisades obligent - de Paris à Jérusalem. Bénodet échappe de justesse à l'échafaud pour son manuscrit sur le SaintSépulcre. Sur fond de croisades et d'histoires triviales en tout genre, le Moyen Age est décrit d'une manière certes picaresque Romans mais sous un angle peu flatteur. Peu à peu, le sexe envahit tout, les membres d'une même famille finissent par douter de leurs géniteurs ; loin d'être des héros, les chevaliers ne pensent qu'à boire et à séduire ; les femmes sont souvent réduites au rôle de catins : il faut voir en quels termes tout cela est dit ! Dès le début, l'expression des convictions religieuses ne pèche pas par excès de finesse : « Sans le Christ, c'est la mort de l'âme. Avec lui, la prison de l'Eglise. « Et la suite n'arrange rien. Quand on n'est séduit ni par le style ni par l'histoire, on court le risque de paraître ne pas comprendre, au moins aux yeux de ses admirateurs, l'enjeu et l'intérêt de ce roman. La pochade médiévale, dont pourrait s'accommoder une chanson, ne fait pas plus un bon roman qu'un bon film, quand la recette en est appliquée systématiquement et grossièrement. réalité. Mais c'est là affaire de journalisme ou de satire sociale plus que de roman. Certes, Frédéric Marquez, « consultant « puis « partenaire « du cabinet international A-Biz ne déteste pas la musique et la peinture, reste sujet aux peines de coeur et manifeste même une sincère affliction à l'annonce du suicide de Richard Pétrel qu'il a eu le tort d'orienter vers un emploi inadéquat, toutes choses à leur place dans une fiction romanesque. Mais séminaires, entretiens d'embauche, vols internationaux et Internet submergent un récit qui en devient parfois lassant. La dénonciation des méfaits du système gagne ainsi peut-être en efficacité mais le personnage et les états d'âme de Frédéric n'acquièrent pas la densité humaine qui pourrait réellement émouvoir le lecteur. Gallimard, 238 p., 16,50 EUR J. F. Fayard, 286 p., 19 EUR C.B. et H.B. Clémence BOULOUQUE Chasse à courre Clémence Boulouque s'est fait connaître, il y a deux ans, par un poignant témoignage sur la mort de son père, le juge Boulouque (Bull. 621). Elle y montrait comment la pression sociale, le jeu des médias, les harcèlements de tous ordres pouvaient avoir raison de l'équilibre psychologique d'un homme confronté à une actualité dramatique. Elle aborde ici un autre aspect des effets pervers que la mentalité contemporaine peut avoir sur les représentants d'une génération soumise aux lois impitoyables du marché, de la concurrence et de la réussite sociale. Le parallèle est pourtant trompeur. Certes Clémence Boulouque (qui a choisi d'écrire ici au masculin de la première personne) connaît apparemment assez bien le milieu et les méthodes des « chasseurs de tête « et la description qu'elle en donne, d'une plume assurée, est sans doute proche de la François BOURGEAT L'angoisse du bonheur Un quinquagénaire obsédé par sa grosseur est quitté par sa jeune compagne, au moment où sa propre mère approche de la mort. Egalement déboussolé par l'engagement de son fils dans l'armée et par l'échec de sa dernière mise en scène, l'homme de théâtre qu'il est ne sait plus quel rôle il peut jouer dans la sinistre comédie de la vie. Mais celle-ci lui réserve une surprise inattendue : un coup de foudre, sous la pluie, pour une passante avec qui il lie une étrange relation amoureuse. Un voyage en Italie du Sud (Amalfi, Capri) avec cette Sabine, une artiste allemande, va permettre à la passion de s'exprimer, promesse de renaissance à un âge d'incertitudes. François Bourgeat continue ici l'exploration d'êtres fragiles et complexes, que l'on trouvait déjà dans son précédent roman La nuit Algérie. Mercure de France, 218 p., 17 EUR F.L. 11 Romans Pierre CARON II - La naissance d'une nation : Marie Ce roman, écrit par un Canadien, évoque l'émergence d'une nation, à travers quelques personnages emblématiques dont les plus présents sont des femmes, Marie ou Louise-Noëlle. Le Canada, d'abord considéré comme une colonie par le gouvernement de Louis XV, est peu à peu délaissé par la métropole, privé de secours, cependant que les Canadiens se sentent de plus en plus enracinés dans cette terre et en viennent à considérer comme des étrangers les rares Français que la France leur envoie comme administrateurs ou militaires. L'hostilité toujours latente entre les Canadiens français et les Anglais, leurs voisins, se double d'un jeu compliqué d'alliances avec les Indiens, Iroquois pour les Anglais, Hurons pour les Français. Ce deuxième tome se termine par la Bataille des Hauteurs d'Abraham, qui donne aux Anglais la victoire sur les Français commandés par le marquis de Montcalm. Le livre ne manque pas de longueurs, alors qu'un certain nombre de figurants sont évoqués plutôt que décrits et présentés. La langue regorge de maladresses, mais ce ne sont, après tout, que les manifestations d'une syntaxe propre au français du Canada. Anne Carrière, 545 p., 23 EUR M.C. Louis-Philippe DALEMBERT Rue du Faubourg Saint-Denis 12 Ma'ame Bouchereau, une vieille Gauloise qu'a près de quatre-vingts balais, a clamecé. Le môme qui raconte l'histoire, c'est un black sans dabe qui crèche avec sa reum à l'ONU : c'est le nom de sa rue natale, bourrée d'Arabes et toujours congestionnée un max. Il a des potes colorés, reubs, jaunes, ou feujs, comme le toubib du coin, mais aussi gaulois. Il a la téloche, mais aime aussi le cinoche (quand il a des thunes), d'où qu'il raconte l'histoire en séquences, après un « synopsis «, et avant le « montage final «. Mais il aime la tchatche, alors il zappe souvent : il parle de plein de keums et de meufs qui tafent autour de lui. Bref, ma'ame Bouchereau a clamecé pendant le cagnard de 2003, mais c'est pas la chaleur, comme pour d'autres petits vieux de la capitale : elle a été empoisonnée. Ça fait que les keufs enquêtent et soupçonnent Brigitte qui fait des ménages au black pour avoir du pèze... Mais ce roman cocasse, hommage à Romain Gary (La vie devant soi), va bien se terminer. Le style, argotique sans être vulgaire, apporte à ce récit plein de vie et de fraîcheur une touche amusante. A lire ! Ed. du Rocher, 170 p., 18,90 EUR F.L. Philippe DEBLAISE Gaspard des chevaux Ou La vie d'un homme de cheval au temps de Louis XIV. Gaspard de Saunier, le héros du livre, a bien existé. Ecuyer et vétérinaire, formé par son père, lui-même maréchal itinérant avant d'être engagé au service du duc de Lude, il a, à 6 ans, le coup de foudre pour un petit alezan débarqué de Tunis et offert au Roi, à l'écurie de St-Germain. Le récit autobiographique, écrit au soir de son âge, raconte par le menu sa passion et sa riche expérience des chevaux, acquise dans les haras royaux et au cours des guerres du Roi soleil. Il est en effet aux batailles de Neerwinden et Malplaquet, et participe aux campagnes d'Alsace, du Palatinat et des Flandres où il manque plusieurs fois d'être tué. Cet arrière-fond historique (les hommes n'ont pas moins d'importance que les chevaux) donne au récit un solide fil conducteur, car la trame proprement romanesqu...
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