Gérard de Nerval, Sylvie, ch. VIII.
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
reconduction du passé, peuvent prendre des formes plus subtiles, moins mécaniques.
Par exemple, la remorque de lagrande Lise : « elle aime tant à danser », renvoie à l'une des principales figures de Sylvie pendant l'enfance.
Demême la sortie du bal « nous tenant par la main » reproduit l'intimité « innocente » des jeunes années.
Surtout, lacouronne de fleurs dans les cheveux de Sylvie et le bouquet qu'elle porte à son corsage renvoient à l'épisode crucialde la rencontre avec Adrienne, et à son couronnement par le narrateur comme reine de la fête qui avait tantattristé Sylvie.Il faut noter aussi que le paysage représente un élément fondamental de continuité.
Nous sommes dans un Valoisidéalisé, que le temps ne paraît pas transformer dans l'éternelle alliance de sa lumière, de sa sylve et de ses eaux.3.
Pourtant Nerval ménage un certain nombre de courts-circuits entre le passé et le présent, dont la valeurmélancolique est fondamentale dans la mesure où ils permettent de mesurer un écoulement inexorable.
Deuxpassages cristallisent cette superposition :• l'entrée au bal.
La grande Lise est toujours l'amie de Sylvie ; celle-ci aime toujours la danse...
Mais «j'eus peine àrencontrer des figures connues».
Et surtout s'engage entre Lise et le poète un dialogue convenu des retrouvailles,qui recouvre en fait le déracinement et l'épaisseur séparante du temps : «Il y a longtemps qu'on ne t'a vu, Parisien !dit-elle », etc.
On notera enfin que si les groupes sont dégarnis et les visages pâlis, ce n'est peut-être seulement àcause de l'heure matinale de la fin du bal, mais parce qu'ils apparaissent comme ternis par le voile du temps.• les fleurs sur le corsage et sur la tête de Sylvie se fânent et s'effeuillent, de même que ses dentelles sont fripées.Bien sûr, c'est la rançon d'une nuit passée à danser.
C'est aussi, sans doute, indirectement et symboliquementl'ouvrage du temps.
II.
Le Valois.
Deux passages de texte nous en livrent les valeurs essentielles : l'évocation de l'aube lorsque le poète arrive à Loisy; et le retour du bal en compagnie de Sylvie.1.
La lumière.Elle change avec la progression du présent (cf.
supra).
Mais elle est, dans sa qualité particulière, un élémentfondamental de la saisie par Nerval de cet espace.
Elle n'est jamais brutale (d'autant plus, dans ce fragment, qu'ils'agit des premières heures de la journée) ; toujours contrastée : grand jour/ temps sombre ; « les tilleuls,assombris par en bas, prenaient à leurs cimes une teinte bleuâtre».Surtout elle est fragile, délicate, tremblante, pastellisée : tons pâles comme le jaune et le blanc des nénuphars ;nuances infinies comme dans l'évocation des tilleuls ou la peinture fugitive de « cette heure mélancolique et douceoù les lumières pâlissent et tremblent aux approches du jour ».
L'omniprésence de l'eau est sans doute pourbeaucoup dans ce caractère brumeux et voilé : ici la Thève qui s'étale paresseusement en « remous d'eaustagnante ».2.
La végétation.Deux éléments principaux ici : les arbres avec les tilleuls du début, relayés à la fin du fragment et dans les souvenirsdu poète par « la fraîche senteur des bois et des halliers d'épines fleuries ».
Et les fleurs, justement, qui ne sont passeulement sur le corps de Sylvie, mais qui sont végétation de plaines et d'eaux.— « Les plaines étaient couvertes de javelles et de meules de foin.
»— Dans la Thève s'épanouissent les nénuphars et les étoiles d'eau.
On notera, à ce propos, que Nerval emploie àleur égard les verbes les plus « forts » et les plus « vifs » du passage (s'épanouir et éclater).
Elles sont pourtanttonalités délicates (jaune et blanc) ; formes graciles (« la frêle broderie des étoiles d'eau », comparée à l'humblepâquerette et renvoyant sans doute aux dentelles fripées du corsage de Sylvie — où se fânent justement des fleurs!).
Surtout et naturellement, la végétation est parfum, mais toujours retenu : « fraîche senteur du bois », ouprincipalement, la notation sur les javelles et les foins, « dont l'odeur me portait à la tête sans m'enivrer...
» .
III.
Sylvie.
1.
La nymphe.Elle apparaît dans ce fragment comme une sorte de déesse pastorale à l'antique (n'a-t-elle pas d'ailleurs un « sourireathénien », à la fois Minerve et Cérès juvénile) avec sa couronne de fleurs — qui renvoie à l'épisode crucial avecAdrienne.
2.
Continuité et mélancolie.Sylvie est toujours liée à la danse, mais le poète décrit ici un bal qui se termine, et dont les figurants, pâlis et auxrangs éclaircis (cf.
supra), renvoient également à un passé qui s'éloigne.
Naturellement, le bal champêtre est aussirécurrence de la danse à la fois pastorale, aristocratique et féerique d'Adrienne, complément et antithèse de Sylvie.Le poète et la jeune fille ont toujours les comportements de l'enfance (la sortie du bal en se tenant par la main)Mais déjà, pendant le bal, « un jeune homme se tenait près d'elle » — même si celui-ci se retire avec la grâce d'unberger de pastorale galante pour laisser la place au poète.
Cette présence masculine laisse entrevoir la femme quis'éloigne inexorablement de l'enfance.
Nerval retrouvera, dans le roman, Sylvie mariée...Enfin, Sylvie elle-même est effleurée par le passage du temps dans sa grâce corporelle : « Sa figure était fatiguée »(la nuit de danse, bien sûr...) ; ses cheveux sont dénoués (idem...); ses attributs, fleurs et dentelles, sont flétris.Toujours vive et délicate (« son oeil noir brillait toujours » : Sylvie partage avec les fleurs l'épanouissement et.
»
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