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GARNIER Robert : sa vie et son oeuvre

Publié le 13/12/2018

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GARNIER Robert (1545-1590). Les huit compositions dramatiques de Robert Garnier — sept tragédies, une tragi-comédie —, écrites sur une quinzaine d’années, de 1567 à 1583, constituent l’œuvre théâtrale la plus étendue, à la fois par ses dimensions et l’ampleur de son registre, qu’ait produite la Renaissance française. On a souvent voulu voir dans ces pièces les ébauches encore imparfaites des chefs-d’œuvre classiques qui fleurirent au siècle suivant. En fait, il s'agit là d’une erreur de perspective : même si Garnier a fourni à Corneille ou à Racine plusieurs sujets tragiques (la Mort de Pompée inspirée de Marc-Antoine, Phèdre héritant d’Hippolyte sa trame et ses ténèbres) et une frappe toute nouvelle de l’alexandrin, son œuvre appartient, dans son ensemble, à un système original, voire à une culture, dont les préoccupations fondamentales sont en grande partie étrangères à celles de la dramaturgie classique. Comme chez ses contemporains Jodelle, Grévin ou La Taille, l'univers dramatique de Garnier apparaît comme ce théâtre de l’effroi et de la cruauté qui trouve dans Sénèque son modèle et dans la réalité présente sa toile de fond et ses images obsédantes.

 

Un magistrat dramaturge

 

Né à La Ferté-Bernard, Robert Garnier fait ses études de droit à Toulouse, où il se lie avec Guy du Faur de Pibrac. Auteur, dès cette époque, de quelques poèmes de circonstance, composés, notamment, à l’occasion de l’entrée de Charles IX à Toulouse (1565), il manifeste, dans ses « Chants royaux en allégorie » (1564 et 1566), son espoir d’un retour à l’ordre en matière politique et religieuse. Avocat au parlement de Paris en 1567, où il a rejoint son ami Pibrac, il célèbre le règne du jeune Charles IX dans son Hymne de la monarchie — forme de gouvernement où il voit, dans l'alliance de l'harmonie et de la force, le bien suprême. Sa tragédie romaine de Porcie (1569), qui évoque la période d’anarchie préludant à l'avènement d’Auguste, traduit les mêmes orientations politiques. Établi au Mans à partir de 1569 comme conseiller au présidial et marié quelques années plus tard avec la poétesse Françoise Hubert (1573), il publie coup sur coup les tragédies d'Hippolyte (1573) — dont Racine se souviendra pour Phèdre —, de Cornélie (1574) et de Marc-Antoine (1578), qui évoquent les malheurs des deux triumvirats et contiennent des allusions aux troubles civils contemporains, ainsi que la Troade (1579) et Antigone (1580). Cependant que l’œuvre dramatique rencontre son apothéose avec la tragi-comédie de Brada-mante, inspirée de l’Arioste (1582), et surtout avec la tragédie des Juives (1583), la carrière du magistrat culmine en 1586, lors de sa nomination au Grand Conseil du roi. Proche un instant de la Ligue, mais bientôt effrayé par ses excès et par l’assassinat en 1589 de Henri III, Garnier serait, dit-on, mort de chagrin.

« jeunes enfants du roi Sédécias et l'aveuglement au fer rouge de ce dernier après qu'il a assisté à la scène précé­ dente.

Le pathos se fonde alors sur le contraste des bour­ reaux et des victimes, les uns inspirant la terreur, les autres la pitié.

En un jeu d'hyperboles et de diminutifs.

le lexique souligne l'antithèse, et, face à la rage du « tygre » ou du « mâtin » avide de sang et qui arrache les cœurs pour s'en nourrir, les >, > et « creaturetes >> tendent en vain leurs mains « faiblet­ tes », « tendrettes », « tendrelettes ».

Dans la même scène des Juives, on perçoit ce que le réalisme « créatu­ re! >> de la Bible -fait, selon E.

Auerbach, d'une aJliance des registres épique et familier -apporte à la tradition sénéquienne.

Une notation concrète comme celle des enfants qui tentent, en les mordillant, de « saquer les menottes des mains >> de leur père enchainé, tout en appuyant le contraste pathétique du tableau, indi­ que, par-delà l'évidente disproportion des acteurs en pré­ sence, une signification positive.

L'éphémère vision de ces jeux d'enfants avant le massacre laisse prévoir, en cet instant de clarté et d'innocence, le retour durable d'un ordre pacifique et la parousie finale du Créateur.

Mais il faudra, pour cela, que soit consommé « le mal­ heur des malheurs>> et que s'accomplisse de bout en bout le châtiment de Dieu à l'encontre du peuple qui l'a abandonné.

De la sorte, l'antithèse pathétique, moins qu'elle ne condamne l'univers au désordre et à la fureur, comme chez Sénèque, annonce par opposition le rétablissement d'une harmonie qu'est appelé à réaliser, en un pacte d'alliance renouvelé, le retour du Créateur parmi les hommes.

Ce message, que l'intransigeant catholique et monarchiste qu'était Garnier adressait sur fond de guer­ res civiles à ses contemporains, laisse assez entendre que la cruauté de son théâtre ne se réduit aucunement à un parti pris esthétique, mais qu'elle est, en quelque sorte, nécessitée par l'urgence du combat à livrer.

Il n'en allait pas différemment pour le protestant d'Aubigné qui com­ posait, dans les mêmes années, les âpres chants des Tragiques.

La première des tragi-comédies Marquant une courte période d'accalmie, Bradamante occupe une place à part dans l'œuvre de Garnier.

La pièce, imitée d'un épisode du Roland jitrieux, est construite autour du duel de conquête amoureuse qui oppose Bradamante, sorte d'amazone en armure et dont les attaques sont comparées à celles d'« un généreux cheval », et son prétendant, le chevalier Roger.

Héritant des conventions romanesques les plus éprouvées - amour absolu, idylle pastorale, incroyables substitutions de personnes, quiproquos étirés jusqu'au dernier acte ..

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-, Bradamante mêle les tons les plus divers, du registre épique sur lequel s'exprime l'empereur Charlemagne pour appeler la chrétienté à l'unité contre l'infidèle (entendez : les protestants) à celui de la franche comédie dans la scène où le vieux duc Aymon trépigne de colère et trébuche.

Mais il ne s'agit pas là que d'un simple divertissement réussi : la pièce trahit les inquiétudes et les espoirs de l'auteur, au même titre que la Troade ou les Juives.

Garnier y exprime le rêve d'une Europe réconciliée spirituellement et politiquement, et il n'est pas jusqu'au dénouement romanesque-où se concluent simultanément et contre toute attente deux mariages - qui ne signifie la toute-puissance d'une Providence devant laquelle hommes et nations doivent s'incliner.

BIBLJOGRAPHIE Éditions.

-Lucien Pinvert, Œuvres, Garnier, 1923; Raymond Lebègue, les Juives, Bradamante, Poésies diverses, Belles- Lettres, 1949; les Juives, Bradamante.

éd.

Mervier, Classiques Garnier, 1949 (rééd.

1979): Amig one .

la Troade, Belles-Lettres.

1952; Porcie, Cornélie, ibid., 1973; Marc-Antoine, Hippolyte.

ibid., 1978.

Études.

-R.

Lebègue, les Juifves, Centre de documentation universitaire, 1944-1945; id., la Tragédie françai se de la Renais­ sance, Bruxelles, 2• éd., revue, 1954; Marie-Madeleine Mou­ fl ard , Robert Garnier.

1 : la Vie , La Fené-Bemard, 1961; II : l'Œuvre.

La Roche-sur- Yon, 1963; Ill : les Sources, 1964; M.

Gras, « Robert Garnier, son art et sa méthode>>, Travaux d'humanisme et Renaissance.

LXXII, Droz, 1965.

Pour l'étude de Bradamante.

on se reportera à l'importante thèse d'Alexandre Cioranescu, l'Arioste en France, des orig in es au xvur< si�c le.

1939, Genève.

Slatkine Reprints.

1970.. »

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