G. FLAUBERT, La légende de Saint-Julien l'Hospitalier, dans Trois contes
Publié le 10/03/2011
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Un spectacle extraordinaire l'arrêta. Des cerfs emplissaient un vallon ayant la forme d'un cirque; et tassés, les uns près des autres, ils se réchauffaient avec leurs haleines que l'on voyait fumer dans le brouillard. L'espoir d'un pareil carnage, pendant quelques minutes, le suffoqua de plaisir. Puis il descendit de cheval, retroussa ses manches, et se mit à tirer. Au sifflement de la première flèche, tous les cerfs à la fois tournèrent la tête. Il se fit des enfonçures dans leur masse; des voix plaintives s'élevaient, et un grand mouvement agita le troupeau. Le rebord du vallon était trop haut pour le franchir. Ils bondissaient dans l'enceinte, cherchant à s'échapper. Julien visait, tirait; et les flèches tombaient comme les rayons d'une pluie d'orage. Les cerfs rendus furieux se battirent, se cabraient, montaient les uns par-dessus les autres; et leurs corps avec leurs ramures emmêlées faisaient un large monticule, qui s'écroulait, en se déplaçant. Enfin, ils moururent, couchés sur le sable, la bave aux naseaux, les entrailles sorties, et l'ondulation de leurs ventres s'abaissant par degrés. Puis tout fut immobile. La nuit allait venir; et derrière le bois, dans les intervalles des branches, le ciel était rouge comme une nappe de sang. Julien s'adossa contre un arbre. Il contemplait d'un œil béant l'énormité du massacre, ne comprenant pas comment il avait pu le faire. G. FLAUBERT, La légende de Saint-Julien l'Hospitalier, dans Trois contes, 1877. Vous ferez un commentaire composé de ce texte, où Flaubert imagine un épisode d'une chasse légendaire et fantastique.
Remarques • « Il y a en moi, littérairement parlant, deux bonshommes distincts : un qui est épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l'idée; un autre qui creuse et qui fouille le vrai tant qu'il peut, qui aime à accuser le petit fait aussi puissamment que le grand, qui voudrait vous faire sentir presque matériellement les choses qu'il reproduit. « Flaubert.
«
la voie qu'il désire peu à peu éviter.
• Se souvenir que ce passage d'une intensité « fantastique » de la plus grande veine épique est la fin d'un épisodede chasse « merveilleuse » où Julien vient déjà d'assouvir ses instincts de tuerie contre « une infinité de bêtes, àchaque pas plus nombreuses ».
• Non seulement il a fait preuve d'une totale absence de pitié : (« Elles tournaient autour de lui, tremblantes, avecun regard plein de douceur et de supplication »), insensible à la beauté du cadre et à l'éveil de la saison (décrits enune page où la vérité du trait, des lignes, des mouvements rejoint la force de l'imagination : l'angoisse naît de labeauté même de la nature ambiante),...
• ...
mais il est saisi de la jouissance de la destruction pour la seule destruction.
• Noter ici qu'il atteint le paroxysme de ce plaisir « suffocant] », autant dans la pensée du carnage qu'il vaaccomplir que dans ce propre accomplissement.
• Y remarquer aussi l'art de la description dans le tableau des bêtes mortes :
- pittoresque (formes-mouvements),
- poésie épique (qui domine cet art, à lrevue plastique, d'une émotion contenue mais intense),
- rythmes des phrases, harmonies imitatives, effets de coupes (exemple : « /Puis tout fut immobile./ » et « /La nuitallait venir;/ » ou « / Julien s'adossa contre un arbre.
»/
• Les phrases brèves correspondent, comme dans les grandes tragédies à la montée de l'incompréhension, donc del'inquiétude face à la fatalité : l'hébétude de Julien quand il prend conscience de sa bestialité.
• Le merveilleux s'appuie sur la cohérence et le vraisemblable, ici le désir bien humain de vaincre.
• C'est « un miraculeux émail littéraire » (Schwob).
• Pour les Quelques Formules et la Bibliographie se reporter au devoir précédent.
On peut ajouter cependant :
• Flaubert, Trois Contes, Classiques Larousse 1972, suivis d'une intéressante étude de Raymonde Debray-Genetteextraite de Littérature.
II.
(1971).
• Flaubert, Trois Contes, Bordas - Univers des Lettres - présentés et commentés par Raymond Decesse 1977..
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