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FUSTEL de COULANGES et la littérature

Publié le 13/12/2018

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FUSTEL de COULANGES Numa Denis (1830-1889). Deux générations de jeunes historiens propulsent successivement l’histoire vers le niveau institutionnel et scientifique où l’installent, après 1870, les revues, les enseignements, les efforts de recherche dont le souci de la « Revanche » semblera faire alors un besoin national, face à une Allemagne née toute casquée de son historiographie.
 
Dans chacune de ces deux générations, éclatantes mais sans vrais lendemains, un savant se distingue parmi les auteurs à succès et prolonge en quelque sorte leur coup d’éclat collectif par une œuvre approfondie. Si Augustin Thierry est celui-là pour la génération des années 1820-1830 parmi les Mignet, Thiers, Guizot, Barante, Fustel de Coulanges joue ce rôle pour la génération de l’Empire libéral.
 
L'histoire et ses règles
 
Sa Cité antique, fruit de ses études de normalien, membre de l’école d’Athènes, archéologue à Chio (1857), fait figure en 1864 de manifeste d’une historiographie totalement neuve. Préparée par la Vîe de Jésus de Renan (juin 1863) et par l’Histoire de la littérature anglaise (décembre 1863) de Taine, qui ont l’une et l’autre sonné l’heure d’une ambition scientiste à l’égard de l’histoire, cette œuvre, systématique, mais rigoureuse dans sa documentation, paraît former la première synthèse entre les branches jusqu’alors divergentes de l’histoire philosophique et de l’historiographie descriptive.
 
Michelet offrait, certes, une synthèse de cet ordre, mais dans laquelle la fusion du prouvé et du conçu résultait évidemment du génie fabricateur de son style. La Cité antique renverse au contraire les proportions entre sens de l’histoire de l’écrivain talentueux et enseignements tirés des choses mêmes. La personnalité morale historique qui se dégage de cet ouvrage se compare, en puissance évocatrice comme en fermeté de construction, à la France selon Michelet, mais ce sont cette fois les données historiques elles-mêmes qui, en s’agençant selon un système dont elles se révèlent issues, et qui n’a
 
été que restitué, produisent cette figure. Point ici de cette turgescence du génie poétique, de cette ardeur matricielle qui fait de Michelet tout à la fois le père et la mère de son sujet. La Cité antique établit que l’histoire peut procurer directement, sans médiation littéraire, l’intelligence des lois qui l’ont régie durant une période donnée. Il semble en résulter le principe que le cours des choses humaines est gouverné par des règles qu’il appartient à la science de révéler.
 
Si ce manifeste implicite, demeuré sans postérité immédiate, illustre brillamment en son temps la cause scientiste, plaidée par Taine, prophétisée par Renan, il s’en faut de beaucoup que le contenu de l’ouvrage convienne à son annexion par la pensée positiviste ordinaire.
 
La thèse centrale en est en effet le caractère essentiel, dans la structure des sociétés, du fait religieux. Confirmée pour les cités grecques par les meilleures études contemporaines, cette thèse, si propre à révolter les disciples du scientisme qui auront l’héritage de Fustel de Coulanges en partage, est paradoxalement le fondement de l’argument scientiste lui-même. C’est en effet dans la mesure où le principe cardinal de l’explication avancée — la religion des morts — peut être quotidiennement reconnu comme une donnée fondamentale de l’espèce humaine que l’analyse systémique proposée, avec les lois historiques qu’elle met en évidence, touche aux données structurelles de l’humain.
 
L’ingénieux enchaînement que Fustel de Coulanges fait apparaître entre tous les éléments tant de la structure que de l’évolution des cités antiques prend valeur d’opération scientifique parce que l’élément d’entrée en est en quelque sorte expérimental, et semble ne rien devoir au parti pris imaginaire d’un auteur contemporain. La méthode adoptée contribue, certes, autant à conforter le caractère scientifique de l’ouvrage. Ayant pris le parti de comparer Rome et les cités grecques, Fustel de Coulanges situe la problématique historique hors de l’événementiel, des climats, races ou aventures, pour faire apparaître des enchaînements qui doivent être nécessaires puisque, tenant par l’origine à un trait distinctif universel de l’espèce humaine, ils peuvent être observés en parallèle dans des contextes tout différents.
 
On imaginerait, sur un tel fondement, Fustel de Coulanges à l’aube d’une grande analyse de toute l’histoire, dont l’aboutissement serait la mise en évidence de lois du temps présent. Or l’ouvrage de référence d’une telle démarche, écrit à trente ans, reste isolé.

« l'ancienne France.

La méthode, l'exigence demeurent inchangées.

Mais ce que la Cité antique pouvait repré­ senter comme manifeste d'une conception neuve de l'historien a disparu.

C'est que Fustel de Coulanges opère dans un contexte tout différent de celui qui a nimbé la Cité antique.

Celle­ ci n'est, au total, que l'exercice particulièrement réussi de ce même esprit de méthode et de scrupule documen­ taire qui guide plus tard le patriarche de l'historiographie française.

Mais elle paraît au moment où l'esprit du temps est à l'invention du scientisme, et elle tient lieu de manifestation des espoirs que celui-ci éveille.

Au contraire, lorsque paraissent ces premiers frag­ ments de ce que Fustel de Coulanges considère comme son œuvre véritable, l'Histoire des institutions de l'an­ cienne France, avec la Gaule romaine et l'Invasion ger­ manique (1875), puis la Monarchie franque (1888), deux facteurs sont intervenus qui rendent inactuelle l'ambition systématique des années 1860.

D'un côté, la Commune a paralysé par tout ce qui la caractérise la quasi-totalité des hommes de culture, qui se sont violemment jetés dans le camp de l'ordre établi et s'y retrouvent crampon­ nés à l'académisme.

Avec eux, Fustel de Coulanges n'a plus d' ambiti. »

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