François-René de CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe: la contemplation d'un ruisseau
Publié le 18/09/2011
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J'ai découvert derrière Ferney une étroite vallée où coule un filet d'eau de sept à huit pouces de profondeur; ce ruisselet lave la racine de quelques saules, se cache çà et là sous des plaques de cresson et fait trembler des joncs sur la cime desquels se posent des demoiselles aux ailes bleues. L'homme des trompettes 1 a-t-il jamais vu cet asile de silence tout contre sa retentissante maison?
Non, sans doute : eh bien 1 l'eau est là; elle fuit encore ; je ne sais
pas son nom; elle n'en a peut-être pas : les jours de Voltaire se sont écoulés; seulement sa renommée fait encore un peu de bruit dans un petit coin de notre petite terre. comme ce ruisselet se fait entendre à une douzaine de pas de ses bords.
On diffère les uns des autres : je suis charmé de cette rigole déserte ; à la vue des Alpes, une palmette de fougère que je cueille me ravit ; le susurrement d'une vague parmi des cailloux me rend tout heureux; un insecte imperceptible qui ne sera vu que de moi et qui s'enfonce sous une mousse, ainsi que dans une vaste solitude, occupe mes regards et me fait rêver. Ce sont là d'intimes misères, inconnues du beau génie qui, près d'ici, déguisé en Orosmane, jouait ses tragédies, écrivait aux princes de la terre et forçait l'Europe à venir l'admirer dans le hameau de Ferney. Mais n'était-ce pas là aussi des misères ?
La transition du monde ne vaut pas le passage de ces flots et, quant aux rois, j'aime mieux ma fourmi.
François-René de CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe.
Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez, en particulier, étudier comment Chateaubriand, partant de la contemplation d'un ruisseau, s'élève à la méditation, en passant par des réflexions sur Voltaire et sur lui-même.

«
racine de quelques saules, se cache çà et là sous des plaques de
cresson et fait trembler des joncs sur la cime desquels se posent
des demoiselles aux ailes bleues .
L'homme des trompettes 1 a-t-il
jamais vu cet asile de silence tout contre sa retentissante maison?
Non, sans doute : eh bien 1 l'eau est là; elle fuit encore ; je ne sais
pas son nom; elle n'en a peut-être pas : les jours de Voltaire se
sont écoulés; seulement sa renommée fait encore un peu de bruit dans un petit coin de notre petite terre.
comme ce ruisselet se fait
entendre à une douzaine de pas de ses bords.
On diffère les uns des autres : je suis charmé de cette rigole
déserte ; à la vue des Alpes, une palmette de fougère que je cueille me ravit ; le susurrement d'une vague parmi des cailloux me rend tout heureux; un insecte imperceptible qui ne sera vu que de moi et
qui s'enfonce sous une mousse, ainsi que dans une vaste solitude, occupe mes regards et me fait rêver.
Ce sont là d'intimes misères,
inconnues du beau génie qui, près d'ici, déguisé en Orosmane 2
,
jouait ses tragédies, écrivait aux princes de la terre et forçait
l'Europe à venir l'admirer dans le hameau de Ferney.
Mais n'était-ce
pas là auss i des misères? La transition du monde ne vaut pas le passage de ces flots et, quant
aux rois, j'aime mieux ma fourmi.
François-René de
CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe.
Vous ferez de
ce texte un commentaire composé.
Vous pourrez, en
particulier, étudier comment Chateaubriand, partant de la contem
plation
d'un ruisseau, s'élève à la méditation, en passant par des
réflexions sur Voltaire et sur lui-même .
Par ses descriptions lyriques et majestueuses de sites grandioses,
propres
â susciter un effroi mêlé de volupté , par ses évocations de
la mélancolie des paysages automnals, Chateaubriand a fortement
contribué
â renouveler le sentiment de la nature .
C 'est cependant
un tout autre type
de paysage qu' il nous présente dans un passage
des
Mémoires d'outre-tombe .
Partant de la contemplation d'un
petit ruisseau , découvert derrière Ferney, Chateaubriand trace en
réalité son autoportrait, que précise la comparaison avec un autre
« beau génie ,.
: Voltaire.
Enfin, le spectacle de cet humble
ruisseau
si proche de Ferney l'incite au rêve et le conduit tout
naturellement
â une méditation sur la fuite du temps et la relativité
de toute chose.
1 L'homme des trompettes : Voltaire.
2 Sultan de Jérusalem, personnage d'une tragédie de Voltaire : Zaïre..
»
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