François Mauriac, Commencements d'une vie
Publié le 08/04/2011
Extrait du document
Enfants, nous ne connaissions guère que les Landes : l'être collectif dénommé « les garçons « et dont je n'étais qu'une parcelle, avait décidé que hors le pays des pins, du sable et des cigales, il n'était pas de vacances heureuses. A peine connaissions-nous la propriété de vignes que plus tard je devais tant aimer. Notre mère assurait que nous n'eussions voulu pour rien au monde du sort des malheureux enfants qui croyaient s'amuser à Royan, à Arcachon ou à Bagnères. Nous en étions nous-mêmes persuadés. Ainsi sont entrés en moi, pour l'éternité, ces étés implacables, cette forêt crépitante de cigales sous un ciel d'airain que parfois ternissait l'immense voile de soufre des incendies ; alors les tocsins haletants arrachaient les bourgs à leur torpeur. Aussi brûlant qu'ait été l'après-midi, le ruisseau appelé la Hure, et ce qu'il traîne après soi de brouillards flottants et de prairies marécageuses, dispensait, le soir, une fraîcheur dangereuse qu'au seuil de la maison nous recevions, immobiles, et la face levée. Cette haleine de menthe, d'herbes trempées d'eau, s'unissait à tout ce que la lande, délivrée du soleil, fournaise soudain refroidie, abandonne d'elle-même à la nuit : parfum de bruyère brûlée, de sable tiède et de résine — odeur délicieuse de ce pays couvert de cendres, peuplé d'arbres aux flancs ouverts : je songeais aux cœurs que la grâce incendie et qui ont choisi de souffrir. C'est pourquoi l'automne dans la lande est un tel miracle..., nulle part elle n'est comme dans nos landes consumées une telle libération : les palombes, sous le trouble azur du mois d'octobre, sont le signe qu'est fini le déluge de feu. François Mauriac, Commencements d'une vie, 1932. SUJET Vous commenterez ce texte en faisant ressortir l'extrême sensibilité de l'auteur dans cette nature, la richesse des sensations évoquées et le mouvement poétique de la phrase.
Introduction ■ Origine bordelaise de Mauriac. ■ La plupart de ses romans (Thérèse Desqueyroux, Le Nœud de vipères, Le Mystère Frontenac) se placent dans le cadre des forêts landaises. MALAGAR. ■ Paysage qui correspond à l'univers intérieur de ses personnages.
«
— Olfactives : « parfum de bruyère brûlée, de sable tiède et de résine — odeur délicieuse de ce pays couvert decendres ».
Alliance des odeurs de la lande et des marécages (« s'unissait »).
— Visuelles : « ciel d'airain que parfois ternissait le voile de soufre des incendies».
Contraste.
Correspond à l'été.
«Trouble azur du mois d'octobre ».
— Contact sensible : succession de la chaleur et de la fraîcheur : « Aussi brûlant qu'ait été l'après-midi...
unefraîcheur dangereuse » (disparité des rythmes dans la protase organisée en masses croissantes et l'apodose où lesaccents d'intensité sont rapprochés (2.
2 4//1,1,2,2, 112) —> trouble de la fraîcheur.
— Sensation d'écrasement/de liberté.
3) Une passion.
Il faut prendre le nom « passion » au double sens du terme : amour violent et souffrance.
— Attachement exclusif: ignorance du monde extérieur (« nous ne connaissions guère que les Landes ») ; méprispour le monde extérieur : « hors le pays des pins, du sable et des cigales, il n'était pas de vacances heureuses » et« nous n'eussions voulu pour rien au monde du sort des malheureux enfants qui croyaient s'amuser à Royan ».
«Malheureux » et « croyaient » reflètent ironiquement les pensées des enfants...
dirigés par la mère.
Jugement quin'est pas personnel au jeune Mauriac (« l'être collectif dénommé les « garçons » et dont je n'étais qu'une parcelle,avait décidé », « ma mère assurait ») -> monde pesant (conscience de classe : Mauriac s'attache dans denombreux romans à peindre cette bourgeoisie de province).
— Ce qui est personnel, c'est l'attachement de Mauriac à ce pays : nos Landes, et surtout : « Ainsi sont entrés enmoi, pour l'éternité, ces étés implacables ».
« Sont entrés » -> procès achevé.
« Pour l'éternité » : force del'attachement mais surtout sur un plan autre que temporel et terrestre.
— Souffrance : « Je songeais aux cœurs que la grâce incendie et qui ont choisi de souffrir ».
Assimilation deshommes aux arbres, ces arbres « aux flancs ouverts » (interprétation annoncée dans le texte par « éternité », « laface levée »).
Penser aussi à la fin de Thérèse Desqueyroux : « Ce n'est pas la ville de pierres que je chéris, c'est laforêt vivante qui s'y agite et que creusent des passions plus forcenées qu'aucune tempête ».
Remarquez que, dansla phrase : « Cette haleine de menthe...
ont choisi de souffrir » : jusqu'à « résine » protase plus courte quel'apodose non concordance.
L'apodose elle-même semble se terminer par une cadence mineure :
« parfum de bruyère brûlée, de sable tiède et de résine ».
3 2 1
Mais Mauriac relance la phrase avec « odeur, délicieuse...
», prolonge ainsi le rythme et l'effet poétique qui setermine sur la réflexion religieuse.
Conclusion
Paysage : cadre de l'enfance -> attachement particulier, riche en sensations diverses, s'oriente suivant deuxéléments : feu - eau.
Renvoie à l'univers personnel, passionné, dévorant de Mauriac et contribue sans doute, en partie, à l'expliquer.Paysage mais surtout paysage intérieur..
»
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