FOCALISATION (Histoire de la littérature)
Publié le 06/12/2018
Extrait du document
FOCALISATION. La notion de point de vue est, originellement, liée à la querelle entre partisans de l’objectivité (romanciers réalistes et « impartiaux ») et de la subjectivité. Ce débat philosophique a, peu à peu, engendré une confusion stylistique entre vision interne, opposée à vision externe — ce qui correspond à la question : « Qui voit? » —, et narrateur-personnage contre narrateur absent — ce qui correspond à la question : « Qui parle? » La restriction de champ, selon la terminologie de Blin, correspond à une intrusion ou non de l’auteur; elle concerne donc le narrateur, non le point de vue. Quant à la distinction des pronoms personnels, il semble que le problème soit partiellement faux s’il est posé sous la forme d’un antagonisme de principe entre romans du je et romans de la troisième personne. En effet, si une phrase telle que : « James Bond aperçut un homme d’une cinquantaine d’années, d’allure encore jeune, etc. », est traduisible en première personne : « J’aperçus », etc., et relève donc de la focalisation interne, au contraire une phrase comme « le tintement contre la glace sembla donner à Bond une brusque inspiration » est intraduisible en première personne sans incongruité sémantique évidente (exemples canoniques cités par Barthes et Genette). C’est pourquoi Patillon, par exemple, a préféré adopter, à la suite de Genette, la notion de focalisation. Quelle que soit la terminologie retenue, un consensus s’établit sans grande difficulté sur une typologie à trois termes que l’on peut représenter ainsi :
«
-
Regard de Dieu {romanciers classiques : omni-
science).
Focalisation interne
- Vision avec.
- Narrateur= personnage.
- Conscience d'un sujet témoin (réalisme « subjectif»).
Focalisation externe
- Vision du dehors.
- Narrateur< personnage.
- Le regard.
purement objectif.
n'est celui de personne
(behaviourisme).
Tout cela est susceptible d'une grande souplesse et de
variété : le point de vue le plus fréquent est la focalisa
tion interne à foyer variable.
L'exemple type en est la
technique du «réalisme subjectif», où la narration s'ef
fectue par le biais des personnages principaux (en géné
ral, Je couple central).
Dans Madame Bovary, par exem
ple, le récit adopte d'abord Je point de vue de Charles,
puis celui d'Emma Bovary.
Mais le moindre qualificatif
peut être considéré comme un jugement implicite, une
intrusion de 1' auteur.
On Je voit très nettement dans cet
extrait de Gambara : « Après un tour de galerie, Je jeune
homme regarda tour à tour Je ciel et sa montre, fit un
geste d'impatience, entra dans un bureau de tabac, y
alluma un cigare, se posa devant une glace et jeta un
coup d'œil sur son costume, un peu plus riche que ne le
permettent en France les lois du goût ...
» Genette consi
dère que cette dernière phrase est une réflexion insérée
par Balzac et qu'elle fait entorse à la rigueur du parti
narratif.
A la limite, on peut penser que J'auteur n'a pas
besoin d'intervenir à la première personne ni d'apparaî
tre dans de longues dissertations (à la manière du premier
Balzac) pour faire connaître son point de vue : une incise
impersonnelle suffit, comme dans Je passage suivant.
« [Il bredouilla] que sa mère était Louisa, la cuisinière.
Il lui semblait que ce titre était aussi beau que quelque
autre que ce fût; et il avait bien raison » (Romain
Rolland, Jean-Christophe).
La partialité du moraliste
transparaît ici derrière J'apparente neutralité du narra
teur.
C'est de l'ambiguïté de ce processus stylistique
qu� joue Flaubert -prétendument apolitique -dans
l'Education sentimentale, par exemple.
Théoriquement, on peut distinguer trois types d'atti
tude de J'écrivain par rapport au réel :
Le dogme de l'impersonnalité.
Il implique une sou
mission absolue à J'objet, suivant le vœu de Thibaudet :
«La présence matérielle de J'auteur l'induit au bavar
dage et au re m plis sa g e.
Au contra ir e , la forme imperson
nelle a le mérite d'être une école, un effort, une disci
pline » (Réflexions sur le roman).
L'œuvre d'art est alors
vraiment un miroir que l'on promène le long d'un che
min.
Mais, de façon assez paradoxale, c'est l'excès dans
la minutie qui permettra de remettre en question la notion
d'objectivité chère aux réalistes du XIXe siècle, comme
en témoignent les abus volontaires de l'« école du
regard » et du « nouveau roman ».
Le point de vue le
plus subjectif, au contraire, comme celui du jaloux (cf.
Robbe-Grillet), peut déboucher sur une description dont
la précision rejoindra les préoccupations des zélateurs de
1' objectivité.
La seule variante sera Je foyer d'où part la
narration : dans Je premier cas, il s'agit de 1' auteur; dans
le second, d'un personnage.
La subjectivité absolue.
Cette tendance est illustrée
par Les lauriers sont coupés d'Édouard Dujardin, qui est
un des premiers écrivains à avoir systématisé l'emploi
exclusif du monologue intérieur.
La « sous
conversation » de Nathalie Sarraute, qui reprend la tech
nique des romans anglo-saxons des années 20 («the
stream of consciousness » ), s'inscrit dans ce même cou
rant et aboutit à ce que l'on peut appeler Je « réalisme
brut de la subjectivité ».
Sartre le définit ainsi : «En
renonçant à la fiction du narrateur tout-connaissant, nous
avons assumé l'obligation de supprimer les intermé- diaires
entre le lecteur et les subjectivités-point-de-vue
de nos personnages; il s'agit de le faire entrer dans les
consciences comme dans un moulin, il faut même qu'il
coïncide successivement avec chacune d'entre elles>>
(Qu'est-ce que la littérature?).
L'équilibre entre subjectivité et objectivité.
L'ob
jectivité absolue peut être considérée comme le reflet
d'un regard exagérément attentif; la subjectivité totale
débouche, elle aussi, dans le cas du monologue intérieur,
sur une description minutieuse des objets.
Force est donc
de reconnaître que les limites de l'une et de l'autre sont
très ténues; mieux encore: qu'il y a toujours une part de
partialité (au niveau du narrateur), de subjectivité (au
niveau du personnage) dans toute nanation, quelque
objective qu'elle se veuille.
Tel était déjà le sentiment
de Maupassant ou de Paul Bourget, par exemple : >, dans Communications, n° 8,
Le Seuil, 1966; E.
Auerb ac h , Mimésis, Gallimard, 1968; R.
Bar
thes, le Degré zéro de l'écriture, Le Seuil, 1953; id., S/Z, Le
Seuil, 1970; E.
Benveniste, Problèmes de linguistique générale,
G al limard , 1966; G.
Blin, Stendhal et les problèmes du roman,
Corti, 1953; E.
Du ja rd in , le Monologue intérieur, Messein, 1931;
G.
Genette, Figures /, Il, Ill, Le Seuil, 1966.
1969, 1972;
H.
Mitte ra nd, le Discours du roman, P.U.F., 1980; M.
Patill on .
Précis d'analyse littéraire, Nathan.
1974; J.
Pouillon, Tem p s
et roman, Gallimard, 1964; >, dans
Communications, n° 4, Le Seuil, 1964; J.-P.
Sartr e , Qu'est-ce
que la littérature?, Gallimard, 1945; T.
Todo ro v, Littérature et
signification, Larousse, 1967; id., Poétique de la pros e, Le Seuil,
197]..
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