FLAUBERT, L'Éducation sentimentale: Frédéric et Mme Arnoux
Publié le 16/09/2011
Extrait du document
(Frédéric est profondément amoureux de Mme Arnoux et, pour la
première fois, se croit aimé.)
Mme Arnoux s'était avancée dans l'antichambre; Dittmer et Hussonnet
la saluaient, elle leur tendit la main; elle la tendit également
à Frédéric ; et il éprouva comme une pénétratioh à tous les atomes
de sa peau.
Il quitta ses amis; il avait besoifl d'être seul. Son coeur débordait.
Pourquoi cette main offerte? Etait-ce un geste irréfléchi ou un
encouragement? « Allons donc! je suis fou! " Qu'importait d'ailleurs,
puisqu' il pouvait maintenant la fréquenter tout à son aise,
vivre dans son atmosphère.
Les rues étaient désertes. Quelquefois une charrette lourde passait,
en ébranlant les pavés. Les maisons se succédaient avec leurs
façades grises, leurs fenêtres closes; et il songeait dédaigneusement
à tous ces êtres humains couchés derrière ces murs, qui
existaient sans la voir, et dont pas un même ne se doutait qu'elle
vécût 1 Il n'avait plus conscience du milieu, de l'espace, de rien ; et,
battant le sol du talon, en frappant avec sa canne les volets des
boutiques, il allait toujours devant lui, au hasard, éperdu, entraîné.
Un air humide l'enveloppa ; il se reconnut au bord des quais.
Les réverbères brillaient en deux lignes droites, indéfiniment, et de
longues flammes rouges vacillaient dans la profondeur de l'eau. Elle
était de couleur ardoise, tandis que le ciel, plus clair, semblait
soutenu par les grandes masses d'ombre qui se levaient de chaque
côté du fleuve. Des édifices, que l'on n'apercevait pas, faisaient des
redoublements d'obscurité. Un brouillard lumineux flottait au-delà,
sur les toits; tous les bruits se fondaient en un seul bourdonnement
; un vent léger soufflait.
Il s'était arrêté au milieu du Pont-Neuf, et, tête nue, poitrine ouverte,
il aspirait l'air. Cependant, il sentait monter du fond de lui-même
quelque chose d'intarissable, un afflux de tendresse qui l'énervait,
comme le mouvement des ondes sous ses yeux. A l'horloge d'une
église, une heure sonna, lentement, pareille à une voix qui l'eût
appelé.
FLAUBERT, L'Éducation sentimentale.
Vous ferez de ce texte un commentaire composé, que vous organiserez de façon à mettre en lumière l'intérêt qu'il vous inspire. Vous pourriez, par exemple, montrer comment l'état d'âme du personnage se révèle dans sa perception du décor parisien et dans ses attitudes. Mais ces indications ne sont pas contraignantes. Vous avez toute latitude pour orienter votre lecture à votre gré.
«
Vous ferez de ce texte un commentaire composé, que vous
organiserez de façon à mettre en lumière l'intérêt qu'il vous inspire .
Vous pourriez, par exemple, montrer comment l'état d'âme du
personnage se révèle dans sa perception du décor parisien et dans
ses attitudes.
Mais ces indications ne sont pas contraignantes.
Vous avez toute latitude pour orienter votre lecture à votre gré.
L'Éducation sentimentale, paru en 1869, est un roman d'où
l'autobiographie n'est pas absente : hanté par
le souvenir d'Élisa
Schlésinger,
la femme d'un éditeur de musique qu'il avait rencon
trée
à Trouville, alors qu'il n'avait que quinze ans, Aaubert
transpose dans son roman
la passion muette et quasi mystique qui
devait marquer toute sa
vie.
Élisa Schlésinger se retrouve en Marie
Arnoux, la femme d'un marchand de tableaux hâbleur et jouis
seur; et Aaubert se projette lui-même dans
le « héros " du roman,
Frédéric Moreau.
Cependant,
plus de trente ans se sont écoulés
depuis
la rencontre de Trouville; et surtout, au cours de ces
années,
les principes esthétiques de Aaubert se sont affirmés .
Partisan d'un art
« objectif "• il s'efforce de rester absent de son
œuvre
et de regarder vivre de l'extérieur le personnage qu'il a créé
en partie
à son image.
Soucieux de « se transporter dans les
personnages
,.
au lieu de les attirer à lui, il nous dépeint l'état
d'âme
de Frédéric Moreau en nous décrivant le paysage tel que le
jeune homme le perçoit.
Et pour parfaire le portrait de son
personnage,
il sait retenir les indices concrets de la passion, ses
manifestations objectivement perceptibles, réduisant ainsi
au strict
minimum
la peinture psychologique faite de l'intérieur .
Frédéric vient de prendre congé de
Mme Arnoux, qu'il aime
éperdument et dont, pour
la première fois, il se croit aimé.
Ayant
quitté ses amis,
il erre, seul, dans les rues de Paris, dans un paysage
qui
lui semble en parfaite harmonie avec son état d'âme.
Par une
série de notations descriptives, Aaubert va ainsi nous
faire pénétrer
dans
les sentiments de son personnage en nous révélant sa
perception du décor parisien.
A cette heure tardive,
les rues sont désertes, les fenêtres closes, et
le besoin de solitude qu'éprouve le jeune homme se trouve
comblé.
Le paysage nocturne est d'ailleurs presque plongé dans
l'obscurité :
« Le ciel, plus clair, semblait soutenu par les grandes
masses d'ombre qui se levaient de chaque côté du fleuve.
Des.
»
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