FÉNELON : sa vie et son oeuvre
Publié le 06/12/2018
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FÉNELON, François de Salignac de La Mothe (1651-1715). Il eût déploré de figurer dans un Dictionnaire des littératures, ce chrétien qui, au terme d’une vie vouée toute à Dieu, disait : « Rien n’est plus méprisable qu’un parleur de métier... » (Lettre à l'Académie française, iv); il eût fait valoir que la partie proprement littéraire de son œuvre écrite occupe moins d'un volume sur dix, et que, s’il s’était mêlé d’écrire, ce n’avait jamais été que pour instruire et agir. Certes. Et, de notre côté, avouons que notre temps est presque disposé à l'abandonner en tant qu’écrivain.
La cohérence d'un destin
Sa vie, où pourtant rien n’est simple, nous semble bien plus transparente que ne le disaient naguère certains biographes. Né au château de Fénelon, de vieille et pauvre noblesse périgourdine, ce prêtre exemplaire que soutient le parti dévot conquiert à Paris la faveur de quelques grands (les ducs de Chevreuse et de Beauvillier), puis de Mme de Maintenon et du roi même, qui rêvent de réactiver la Contre-Réforme catholique; prodigieusement doué, et de tous les talents, il réussit : il convertit des protestants (mission en Saintonge, 1685-1686), prêche avec éclat à Saint-Sulpice (1675-1678), aux Missions étrangères (1687), aide Bossuet dans ses travaux de controverse et de philosophie, propose de nouvelles méthodes pédagogiques (De l'éducation des filles, 1687) et, surtout, dirige avec bonheur des âmes scrupuleuses ou sèches qui se confient à lui. Le roi le nomme en 1689 précepteur du duc de Bourgogne, futur souverain; il s’acquitte au mieux de cette difficile éducation et y gagne la reconnaissance de Louis XIV et l’amitié de son élève. Tous les dévots espèrent en lui. Mais en 1688 il a
rencontré Mme Guyon : la certitude qu’il acquiert vite qu’elle est de ces âmes que Dieu a éclairées, le goût amer que laissent en lui ses ambitions satisfaites, son inquiet besoin d’une vie intérieure authentique le décident à s’ouvrir à la spiritualité et à la mystique guyonien-nes. Quand les persécutions s’abattent sur Mme Guyon, il se fait un devoir de lui rester fidèle; ses ennemis (Bossuet, les jansénistes, Mme de Maintenon, puis le roi) le taxent de quiétisme et brisent sa carrière. Exilé à Cambrai (1695), il administre saintement son diocèse, attendant que son élève monte sur le trône et mette en œuvre cette politique évangélique à laquelle il l’avait formé. En vain. Le duc de Bourgogne meurt (en 1712); deux ans après, Fénelon s’éteint, navré de voir la France s’abîmer dans une décadence qu’il avait mesurée et n’avait pu enrayer.
Cette existence, que l’on eut tort de croire déchirée (car la foi de Fénelon était si vive qu’elle n’accordait de prix qu’au Royaume éternel et qu’elle sut conférer à ce destin une profonde cohérence), ne laisse guère de place à la littérature. Au reste, la critique, aujourd’hui, ne se soucie guère de l’écrivain : pour une thèse sur le prédicateur, rien sur l’épistolier (« Il se pourrait que le chef-d'œuvre de Fénelon, ce fût sa vaste correspondance » [Gustave Lanson]) que nous révèle pourtant la magistrale édition de Jean Orcibal; peu d’études d’ensemble sur le Télémaque, pas d’éditions critiques des ouvrages pédagogiques ou des Dialogues sur l'éloquence...
C’est que Fénelon intéresse trop les historiens — historiens de la vie et des doctrines politiques, de l’Église, de la spiritualité, de la pédagogie, de la philosophie. L’écrivain, quand on songe à le juger, est immanquablement (et à raison) donné comme représentatif des contradictions où se débat, en cette fin de xviie siècle, l’esthétique « classique »; dès lors, comme dans le cas de son contemporain La Bruyère, devient problématique l’unité d’une écriture.
Une esthétique chrétienne
Chrétien fervent, exigeant de lui-même et des autres une perfection qui, « se retirant » toujours, laisse l’âme insatisfaite, Fénelon n’était pas homme à se contenter, dans l’ordre littéraire, de la rhétorique classique. Son goût, qui l’oriente vers la poésie, sa culture platonicienne, ses lectures mystiques à partir de l'affaire du quiétisme, sa philosophie aussi, qui l’oppose au rationalisme et notamment à la linguistique « cartésienne », tout le voue à humilier les mots, afin que puisse surgir un sens qu'il faut conquérir contre eux. Ainsi ses Dialogues sur l'éloquence (vers 1684?), s’ils offrent un banal programme de prédication évangélique, témoignent aussi du dessein d'inventer une antirhétorique : prenant ses exempla dans l'Écriture, chez Homère et chez Platon, ouverte à la poésie, fondée sur une inspiration intime, elle vise à arracher par l’émotion l'adhésion de l’auditeur. Le superbe Traité de l'existence de Dieu (1712), les pièces oratoires de Fénelon qui subsistent, nombre de lettres surtout illustrent cette méthode : le développement (philosophique, didactique, moral, psychologique, etc.) se clôt par une « élévation », paraphrase lyrique de 1'Écriture, oraison jaculatoire, poème en prose, et l’on passe ainsi « de la démonstration à l’extase » (Ély Carcassonne). C’est dire que Fénelon prend avec les règles toutes les libertés que lui suggère sa passion de persuader et d’ébranler. En 1713-1714, sa Lettre à l'Académie revient encore sur cet idéal : exempt de tout conformisme, il oppose à l’académisme versaillais ce grand goût qu'ont illustré les meilleurs des Anciens et qui seul est digne d'exprimer la vérité; pour ce faire, il propose d’enrichir la langue, d’arracher au formalisme la rhétorique, la poétique, la dramaturgie, l’histoire : « L’homme digne d’être écouté (...) n’est point esclave des mots; il va droit à la vérité. Il sait que la passion est comme l’âme de la parole » (Lettre à l'Académie française, iv).
«
contemporain
La Bruyère, devient problématique J'unité
d'une écriture.
Une esthétique chrétienne
Chrétien fervent, exigeant de lui-même et des autres
une perfection qui, «se retirant» toujours, laisse J'âme
insatisfaite, Fénelon n'était pas homme à se contenter,
dans l'ordre littéraire, de la rhétorique classique.
Son
goût, qui J'oriente vers la poésie, sa culture platoni
cienne, ses lectures mystiques à partir de J'affaire du
quiétisme, sa philosophie aussi, qui l'oppose au rationa
lisme et notamment à la linguistique « cartésienne », tout
le voue à humilier les mots, afin que puisse surgir un
ens qu'il faut conquérir contre eux.
Ainsi ses Dialogues
sur l'éloquence (vers 1684?), s'ils offrent un banal pro
gramme de prédication évangélique, témoignent aussi
du dessein d'inventer une antirhétorique : prenant ses
exempta dans l'Écriture, chez Homère et chez Platon,
ouverte à la poésie, fondée sur une inspiration intime,
elle vise à arracher par J'émotion 1' adhésion de 1' audi
teur.
Le superbe Traité de l'existence de Dieu (1712),
les pièces oratoires de Fénelon qui subsistent, nombre de
lettres surtout illustrent cette méthode : le développe
ment (philosophique, didactique, moral, psychologique,
etc.) se clôt par une « élévation >>, paraphrase lyrique de
l'Écriture, oraison jaculatoire, poème en prose,, et J'on
passe ainsi «de la démonstration à l'extase» (Ely Car
cassonne).
C'est dire que Fénelon prend avec les règles
toutes les libertés que lui suggère sa passion de persuader
et d'ébranler.
En 1713-1714, sa Lettre à l'Académie
revient encore sur cet idéal : exempt de tout confor
misme, il oppo e à l'académisme versaillais ce grand
goût qu'ont illustré les meilleurs des Anciens et qui seul
est digne d'exprimer la vérité; pour ce faire, il propose
d'enrichir la langue, d'arracher au formalisme la rhétori
que, la poétique, la dramaturgie, J'histoire : «L'homme
digne d'être écouté( ...
) n'est point esclave des mots; il
va droit à la vérité.
li sait que la passion est comme
l'âme de la parole » (Lettre à l'Académie française, IV).
u Ce livre singulier ...
, (Voltaire)
Les Aventures de Télémaque paraissent assez mysté
rieusement, et sans l'aveu de Fénelon, en 1699.
Le suc
cès, immédiat et durable, de ce grand livre est ambigu.
Ouvrage scandaleux.
Bossuet et les siens le dénoncent
comme indigne d'un prêtre; la Cour s'offusque d'y trou
ver des portraits satiriques du roi et de son entourage; à
l'inverse, l'opposition politique s'en enchante.
Anciens
et Modernes, alors aux prises, ne savent comment esti
mer des beautés peu conformes à leurs dogmatismes res
pectifs [voir QUERELLE DES ANCIENS ET Dt::S MODERNES).
Tout
le xvm• siècle!, hormis quelques cercles guyoniens, veut,
en un contresens flagrant, lire le Télémaque comme le
poème d'un â.ge d'or où régnait la pure nature -ou, pire
erreur, comme une critique hardiment progressiste de
l'absolutisme-.
Toute une mythologie s'élabore alors
autour du livre et de son auteur.
Le x1x• siècle tantôt loue
(Mme de Staël, Lamartine), tantôt blâme (Brunetière) ce
qu'il croit être un traité de libéralisme politique doublé
d'un essai préromantique.
Vers 1900, l'Église et l'Uni
versité étant devenues bossuétistes, le Télémaque se voit
discrédité, en dépit des campagnes de Henri Bremond en
1910.
Et le livre subit surtout le sort de bien des œuvres
«classiques» : devenu scolaire, il ennuie.
N'attendons
pas du médiocre pastiche qu'en donna Aragon (les Aven
tures de Télémaque, 1922; édition définitive, 1966) que
renaisse l'envie de lire le chef-d'œuvre de Fénelon.
Et
pourtant .
..
Fénelon s'est défendu d'avoir songé, dans cet étrange
livre, à autre chose qu'à amuser son élève par des aventu -res,
et qu'à l'instruire en l'amusant (Lettre au P.
Le
Tellier, 171 0).
Croyons-le.
Nous ne sommes évidemment plus sensibles à cette
instruction.
Le Télémaque, au départ, est bien un traité
pédagogique, articulé sur Je IV• chant de l'Odyssée, que
Fénelon étudiait avec son élève, mais censé résumer tout
un enseignement magistral étalé sur des années.
Il se
donne ainsi comme une somme, aussi pesante que le
Voyage du jeune Anacharsis de l'abbé Barthélemy
( 1788), voire que 1 'É mile ( 1762) : leçons de théologie,
de politique, de droit, de morale, d'économie, d'hygiène,
d'histoire, de mythologie, etc .• y abondent, sous la forme
de grands discours tenus par Mentor, le précepteur de
Télémaque.
Ces discours se répètent, car Fénelon prati
que une pédagogie progressive fondée sur la redite, et
surtout s'ajoutent à d'autres, car on parle fort dans ce
livre qui, non seulement, respecte les règles du roman et
de 1' épopée ( Otl le discours rétrospectif est de rigueur),
mais encore doit servir aussi de manuel d'éloquence.
Le livre se veut également un manuel de goût; à ce
titre, il pourrait nous toucher.
Fénelon y multiplie à la
fois les exercices rhétoriques et, sur le plan de l'intrigue,
les occasions d'affiner la sensibilité du lecteur.
Exerci
ces, en effet, que les disputationes, harangues, oraisons
funèbres, négociations diplomatiques, etc., où s'applique
Télémaque; bien plus intéressantes sont les.
»
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