Devoir de Philosophie

Extrait du Roman inachevé (Aragon)

Publié le 12/05/2010

Extrait du document

aragon

Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habité par le chant Elsa mon amour ma jeunesse O forte et douce comme un vin Pareille au soleil des fenêtres. Tu me rends la caresse d'être Tu me rends la soif et la faim De vivre encore et de connaître Notre histoire jusqu'à la fin C'est miracle que d'être ensemble Que la lumière sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme à son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble M'habituer m'habituer Si je ne le puis qu'on m'en blâme Peut-on s'habituer aux flammes Elles vous ont avant tué Ah crevez-moi les yeux de l'âme S'ils s'habituaient aux nuées

ARAGON, Le Roman inachevé, 1956.

Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez montrer, par exemple, comment, à travers ces quelques esquisses d'Elsa, s'affirme l'éternelle jeunesse de l'amour.

erreurs à éviter

Ne pas s'attendrir longuement sur le couple modèle Aragon-Elsa Triolet. Il ne s'agit pas d'écrire un article pour la presse du coeur ! Le libellé du sujet met en évidence le thème de « l'éternelle jeunesse « de l'amour ; ce seul thème ne suffit évidemment pas à analyser le texte et il ne faut pas expliquer un extrait du Roman inachevé comme si l'on n'y voyait qu'un beau « roman d'amour «.

quelques pistes

« L'éternelle jeunesse de l'amour «, cela peut toutefois vous aider à situer le texte par rapport à une longue tradition poétique. Car une des originalités des nombreux recueils consacrés par Aragon à Elsa, et notamment des derniers d'entre eux, est de chanter la permanence de l'amour dans le couple. En observant le texte de plus près, vous verrez bien qu'autour du « toujours si je te vois je tremble « s'inscrivent d'autres points de vue. Jeunesse de l'amour, mais aussi jeunesse, grâce à l'amour, de celui qui aime, fraîcheur et plénitude de l'instant. Cette attention à l'instant éphémère pouvait ainsi vous être indiquée par le libellé du sujet, qui emploie le mot « esquisse «. Ce sont en effet quelques rapides images de la femme aimée qui passent sous nos yeux et qui, pour éphémères qu'elles soient,  prennent toute leur force dans la durée du sentiment. Aragon, d'autre part, est aussi connu sans doute pour ses engagements littéraire (surréalisme) et politique (parti communiste) que pour son amour pour Elsa. Il serait utile de vous en souvenir pour interpréter ce texte. Car vous y constaterez quelques traces de sensibilité surréaliste, et il serait difficile d'oublier tout à fait, pour parler d'un texte d'Aragon, le souci d'ouverture sur le monde qu'il affirme si souvent. Le fait que cinq strophes du poème ne soient pas reproduites dans le sujet d'examen, sans qu'on vous indique s'il s'agit d'un extrait ou d'un texte entier, ne vous facilite sans doute pas les choses. Mais le ton de la dernière strophe, soutenu par quelques autres détails du texte, devait bien vous indiquer qu'il ne s'agissait pas seulement de s'extasier sur les charmes d'un bonheur privé. Vous en auriez eu confirmation par l'avant-dernière strophe du texte toi « qui m'as montré la contrée que la bonté seule ensemence «. Quant au titre du texte, L'amour qui n'est pas un mot, il aurait pu vous rappeler qu'il ne s'agit pas de minauderies et de joliesses, mais de quelque Chose qui se veut plus profond, plus vrai, et aussi plus difficile à vivre.

aragon

« de joliesses, mais de quelque Chose qui se veut plus profond, plus vrai, et aussi plus difficile à vivre. plan du commentaire composé Introduction 1.

Longue et multiple est la tradition des poèmes d'amour, sensuel ou idéal, charnel ou sentimental, chantant avecRonsard les charmes de l'instant ou avecLamartine l'angoisse du temps qu'on ne peut retenir. 2.

Plus rare dans la tradition poétique est l'application que fait Aragon de ce lyrisme à la permanence de l'amourconjugal, dans le vaste ensemble de ce qu'on appelle souvent « le cycle d'Elsa ».

Le Roman inachevé, écrit par unhomme de quarante-neuf ans, 3.

n'exclut, comme on peut s'en rendre compte par le présent extrait, ni les plaisirs de l'éphémère, ni l'angoisse dutemps humain, ni la tendresse du sentiment.

Mais on y perçoit bien aussi le souci d'attribuer à l'amour, hors de « lasaison des amours », le pouvoir de puiser dans cette durée même une force qui dépasse à la fois le couple et letemps. I.

Aragon esquisse la silhouette d'Elsa, médiatrice pour les plaisirs de la vie, dans l'instant matériel et dansson dépassement. A) • Vie des sens, avec un mélange de notations du domaine de l'amour sensuel et d'autres plaisirs des sens : lescheveux, la caresse (vers 8, et reprise de l'image de la caresse aux vers 14, 15 : « que la lumière sur tajoue/qu'autour de toi le vent se joue ») ; la chaleur évoquée par deux termes de comparaison (vin et soleil, vers 7et 8 avec mise en valeur du plaisir des sens par le plaisir des mots : rime intérieure pareille/ soleil); l'émoi amoureux(« je tremble »), traduit aussi par des comparaisons (« pareille au soleil...

») ou métaphores (« s'habituer auxflammes ») d'apparence partiellement conventionnelle (voir le thème de la belle qui fait pâlir les astres et le soleil,dans les poèmes du XVIe siècle, puis dans les poèmes précieux, et le fréquent emploi du mot flamme à la place dumot amour dans la littérature classique).Le renouvellement de l'image traditionnelle de l'ivresse amoureuse par la comparaison quotidienne et concrète («comme un vin ») donne de la force à l'expression de la sensualité, d'autant plus que la conciliation des contraires («forte et douce ») introduit l'idée de perfection. • Le plaisir des sens, sans doute grâce à cette intensité de la sensation et à cette perfection, qui permettentd'arrêter le temps, prend place dans l'instant éphémère.— Geste d'un instant : la scène évoquée à la première strophe de l'extrait proposé se trouve dans de nombreuxtableaux impressionnistes représentant une femme à sa toilette ; l'émotion, ici comme là, tient à la fois à l'intimismede la scène (conscience de surprendre la femme dans son intimité sans défense parce que non préparée au regardextérieur (d'où, en partie, l'expression : « ce geste touchant »), et à la conscience du caractère éphémère de cetinstant de vie quotidienne.

On peut dire que la nudité du temps (un instant coupé du passé et du futur) rejoint cellede la femme (innocence sans fard, être humain sans personnage) pour donner une force particulière à l'impression.— Caractère éphémère aussi, et par cela même émouvant, du jeu de la lumière et du vent (strophe 3 de l'extrait) :deux réalités fréquemment utilisées aussi dans l'art impressionniste (voir, pour les jeux de lumière, les séries detableaux de Monet représentant le même objet — cathédrale de Rouen ou meule de foin — à plusieurs heures de lajournée).— Cette attention à la richesse de l'instant qui passe est fréquente dans la tradition des poèmes d'amour (poèmes «épicuriens » de Ronsard).

Pour le surréaliste Aragon, elle peut correspondre aussi à un refus de regarder la vie avecles yeux de la raison discursive, qui s'inscrit dans le déroulement du temps. B) • Mais la personne d'Elsa dépasse, grâce à la tendresse (« gestes touchants », « mon amour », « être ensemble»), ces limites de la matière et de l'instant. • La grâce du geste fait éclater l'espace intimiste pour ouvrir sur l'espace le plus vaste : le monde (première strophecitée).

L'image des fenêtres, à la seconde strophe, prolonge cette ouverture. • La personne physique d'Elsa et les plaisirs de la sensualité se muent en quelque chose de plus immatériel (vers 3et 5) :— passage des cheveux au chant,— passage de la joue au jeu du vent : l'ouverture sur une impression moins matérielle est favorisée par uneouverture de l'espace (« sur ta joue » « autour de toi ») et soulignée par le jeu de mots à la rime (« joue »évoquant une sensation charnelle, « se joue », expression plus rare (et d'apparence un peu précieuse) que le verbejouer, évoquant une fantaisie particulièrement légère et immatérielle, d'autant plus qu'elle est celle du vent).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles