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Extrait de PROUST: Du côté de chez Swan - Un amour de Swan

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

proust

En sortant de soirée, il montait dans sa victoria, étendait une couverture sur ses jambes, répondait aux amis qui s'en allaient en même temps que lui et lui demandaient de revenir avec eux qu'il ne pouvait pas, qu'il n'allait pas du même côté, et le cocher partait au grand trot sachant où on allait. Eux s'étonnaient, et de fait, Swann n'était plus le même. On ne recevait plus jamais de lettre de lui où il demandât à connaître une femme. Il ne faisait plus attention à aucune, s'abstenait d'aller dans les endroits où on en rencontre. Dans un restaurant, à la campagne, il avait l'attitude inverse de celle à quoi, hier encore, on l'eût reconnu et qui avait semblé devoir toujours être la sienne. Tant une passion est en nous comme un caractère momentané et différent qui se substitue à l'autre et abolit les signes jusque-là invariables par lesquels il s'exprimait ! En revanche ce qui était invariable maintenant, c'était que où que Swann se trouvât, il ne manquât pas d'aller rejoindre Odette. Le trajet qui le séparait d'elle était celui qu'il parcourait inévitablement et comme la pente même, irrésistible et rapide, de sa vie. À vrai dire, souvent resté tard dans le monde, il aurait mieux aimé rentrer directement chez lui sans faire cette longue course et ne la voir que le lendemain ; mais le fait même de se déranger à une heure anormale pour aller chez elle, de deviner que les amis qui le quittaient se disaient : « Il est très tenu, il y a certainement une femme qui le force à aller chez elle à n'importe quelle heure «, lui faisait sentir qu'il menait la vie des hommes qui ont une affaire amoureuse dans leur existence, et en qui le sacrifice qu'ils font de leur repos et de leurs intérêts à une rêverie voluptueuse fait naître un charme intérieur. Puis sans qu'il s'en rendît compte, cette certitude qu'elle l'attendait, qu'elle n'était pas ailleurs avec d'autres, qu'il ne reviendrait pas sans l'avoir vue, neutralisait cette angoisse oubliée, mais toujours prête à renaître, qu'il avait éprouvée le soir où Odette n'était plus chez les Verdurin, et dont l'apaisement actuel était si doux que cela pouvait s'appeler du bonheur.

 La phrase six du passage compte trois présents de vérité générale — appelés aussi présents gnomiques — : « est «, « se substitue «, « abolit «. Le narrateur nous livre une réflexion de moraliste sur les effets de la passion amoureuse. Celle-ci a le pouvoir de substituer un caractère à un autre, de modifier complètement la conduite de celui qu'elle frappe. On notera que la phrase est exclamative, le narrateur semble lui-même s'étonner encore du pouvoir de la passion sur le caractère. À moins qu'il ne veuille nous inviter à réfléchir sur ce pouvoir.

proust

« Il faut analyser maintenant ce que représente cette nouvelle liaison dans la vie de Swann. II.

L'amour dans la vie de Swann Si une première partie de l'extrait (phrases 1 à 6) insiste sur la métamorphose du personnage, la seconde, à partirde « En revanche ce qui était invariable maintenant [...] », explique ce que représente ce nouveau rituel des visitesnocturnes faites à Odette. L'attachement à une nouvelle vie Il y a désormais quelque chose « d'invariable » dans cette vie, une stabilité sûrement inédite, si l'on en jugepar quelques allusions à un passé de séducteur, amateur de nouvelles rencontres.

L'emploi constant del'imparfait souligne bien les nouvelles habitudes de Swann.

La comparaison dans la phrase 8 du trajet effectuépour rejoindre Odette avec « la pente même, irrésistible et rapide, de sa vie » suggère que Swann considèrecette liaison comme une orientation définitive de son existence.

La liaison avec Odette infléchit le cours d'unevie. 1. Le plaisir d'être un autre Plusieurs raisons viennent expliquer cette constance, cette assiduité de Swann.

La première c'est qu'ilappartient désormais, aux yeux de tous ses amis, à la catégorie enviée des amants dont on admire lessacrifices.

L'amour et les sacrifices qu'il exige le valorisent aux yeux de son entourage, croit-il, et à ses propresyeux.

On le voit, l'amour-propre est bien présent. En outre, le dérangement d'une existence réglée est en soi un plaisir. 2. La jalousie apaisée 3. C'est la raison majeure invoquée en dernier, et certainement la plus importante.

La dernière phrase rappelle lepremier accès de jalousie chez Swann. Allusion à un épisode passé (« angoisse [...] qu'il avait éprouvée le soir où Odette n'était plus chez les Verdurin »).La visite du soir est un remède à ce mal encore latent qui ne porte pas encore son nom — le mot « jalousie » n'estpas employé, il est question d'« angoisse » — et dont Swann ne mesure pas encore l'ampleur.

Il voit seulement danscette visite un apaisement qui éclipse la lassitude et l'envie de se coucher plus tôt, mentionnées à la phrase neuf. Être heureux, c'est d'abord ne pas souffrir, ne pas affronter ces crises de jalousie, cette angoisse de la trahison quibientôt ne va plus le quitter.

Ce qui « pouvait s'appeler du bonheur » : l'apaisement causé par cette visite (onnotera la précaution rhétorique : « pouvait s'appeler »).

Rien de plus. Conclusion Un passage narratif qui évoque le charme particulier de l'homme amoureux et son mystère, et qui révèle enmême temps ce que les autres ignorent de Swann et ce qu'il ignore lui aussi.

En effet, le narrateur connaîtmieux Swann que celui-ci ne se connaît.

Il livre au lecteur ce dont le personnage n'a pas tout à faitconscience.

Dans la dernière phrase, le narrateur a une connaissance parfaite des origines de la souffrance deSwann. L'analyse de l'état d'âme de Swann montre subtilement comment, dans un premier temps, la liaison amoureusesatisfait son amour-propre et modifie son image tant pour ses amis que pour lui-même. Le passage souligne enfin l'importance de cette liaison, l'entrée de Swann dans une autre existence ritualisée etirréversible.. »

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