Extrait commenté : Nox (6) de Hugo (Châtiments)
Publié le 23/10/2013
Extrait du document

1 Un mois après, cet homme allait à Notre-Dame.
Il entra le front haut ; la myrrhe et le cinname
Brûlaient ; les tours vibraient sous le bourdon sonnant ;
L'archevêque était là, de gloire rayonnant;
5 Sa chape avait été taillée en un suaire ;
Sur une croix dressée au fond du sanctuaire
Jésus avait été cloué pour qu'il restât.
Cet infâme apportait à Dieu son attentat.
Comme un loup qui se lèche après qu'il vient de mordre,
10 Caressant sa moustache, il dit: - J'ai sauvé l'ordre !
Anges, recevez-moi dans votre légion !
J'ai sauvé la famille et la religion ! -
Et dans son oeil féroce où Satan se contemple,
On vit luire une larme ... - Ô colonnes du temple!
15 Abîmes qu'à Patmos vit s'entr'ouvrir saint-Jean,
Cieux qui vîtes Néron, soleil qui vis Séjan,
Vents qui jadis meniez Tibère vers Caprée,
Et poussiez sur les flots sa galère dorée,
Ô souffles de l'aurore et du septentrion,
20 Dites si l'assassin dépasse l'histrion !
Le poème« Nox «, au seuil des Châtiments, apparaît comme une introduction exhaustive du recueil et remet en cause les fondements politiques et moraux du Second Empire. Dans le passage à commenter, Louis Bonaparte, qui a organisé le coup d'État et ordonné de faire feu sur la population parisienne pour réussir plus sûrement sa condamnable entreprise, se rend maintenant à Notre-Dame pour s'assurer de la bienveillance divine et légitimer sa tuerie ; ce même événement est à nouveau évoqué au sein même des Châtiments (Livre I, 6 : « Le Te Deum du 1er Janvier « ).

«
Les procédés de la satire
Tout d'abord le poète utilise le décor de la cathédrale pour peindre une entrée
solennelle; on y remarque la sollicitation de l'odorat et de l'ouïe, appuyée par des
allitérations expressives (v.
2-3); de même la description hyperbolique de l'arche
vêque ( « de gloire rayonnant ») contribue à la solennité du décor.
Toutefois cet ap
parat a été déployé non pour un grand homme mais pour quelqu'un dont le nom ne
s'inscrit jamais dans le poème, sinon de façon négative : « cet homme », « cet in
fâme» (v.
8), qui explicite la condamnation du poète; enfin est aussi utilisé le pro
nom représentant
« il » qui rend ce personnage anonyme et évite de le nommer.
D'autres procédés comme
l'alliance de la sauvagerie et du geste distingué font
de Louis Napoléon un être monstrueux : « Comme un loup qui se lèche après
qu'il vient de mordre,/ Caressant sa
moustache» (v.
9-10); ailleurs l'image hyper
bolique du Mal dénonce
l'hypocrisie de celui qui se tire des larmes à force de
componction(« on vit luire une larme»).
Les nuances de l'ironie
Il existe divers dispositifs ironiques comme le procédé traditionnel d'anti
phrase utilisé dans le discours du tyran qui dit avoir« sauvé» l'ordre, la famille et
la religion alors qu'il les a bafouées précisément par son coup d'État.
Un autre dis
positif ironique est celui qui joue sur des oppositions
de registres entre les termes,
comme par exemple « chape » et « suaire », placés aux extrémités du vers 5 qui
renvoient
à deux réalités opposées (apparat glorieux/mort), ou qui rapproche deux
notions antithétiques comme
au vers 8 dans lequel« l'infâme»« apporte à Dieu
son attentat
».
On peut voir aussi un trait ironique dans le renversement d'une vé
rité générale par un argument en situation :
« Jésus avait été cloué pour qu'il
restât» (en effet, en présence de« cet homme», Jésus serait parti).
Enfin, on trouve l'exemple plus rare
d'un dispositif ironique qui joue avec le
genre lyrique : on voit d'abord comment Hugo utilise
le haut style, celui du Jy.
risme qui permet au poète de s'adresser au cosmos(« Abîmes ...
Cieux ...
Vents ...
Ô souffles de l'aurore ...
») avec tout un ensemble de procédés rhétoriques (vocatif,
invocation, exclamations, références antiques ou évangéliques ...
) pour brusque
ment neutraliser,
à la chute, le ton lyrique par une alternative qui vise la dérision amère(« Dites si l'assassin dépasse l'histrion», v.
20).
Conclusion.
Ici le mélange des tons et une maîtrise des différents types de
texte permettent au poète de dénoncer efficacement le tyran hypocrite, à la
fois « histrion » et « assassin »..
»
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