EXPOSE DE LITTÉRATURE COMPAREE COMMENTAIRE COMPARE ENTRE « VENDREDI OU LES LIMBES DU PACIFIQUE » ET « VENDREDI OU LA VIE SAUVAGE » DE MICHEL TOURNIER
Publié le 30/06/2012
Extrait du document
Dans Vendredi ou la vie sauvage le héros est rendu à sa vocation première: fascination, émerveillement. Chez Defoe, Robinson représentait une incarnation militante de l'isolement britannique . Dans Les limbes du Pacifique, Tournier ne pouvait se priver de détourner par quantité de réflexions philosophiques, l'imaginaire naïf de ce héros universel. La vie sauvage rend a Robinson sa véritable liberté poétique. Ce Robinson pour les enfants est plus sympathique que l'autre, car moins tracassé par lui-même et donc plus ouvert. Il se laisse porter par les événements avec de moindres résistances. L'auteur n'est plus présent en lui comme un double, un écart, ou un chien de garde. Robinson n'est plus un prétexte, il est devenu pour de bon son propre mythe: à la fois un être et une image. La vie sauvage raconte sa véritable histoire. Mais ce Robinson là est rendu possible par l'autre, le réel, le déchiré, le solitaire, qui est de bout en bout de son aventure, voué aux limbes à tout jamais...
«
où Vendredi ou les Limbes du Pacifique sont un ouvrage spéculatif.La disparition du log-book amène en outre des modifications importantes dans la structure de la deuxième moitié du roman.
Les angoisses de Robinson ne peuvents'y exprimer aussi directement que dans la confidence du journal intime: elles disparaissent, tandis que s'affirment l'évidence de la métamorphose et la suprématie deVendredi.
Le log-book représentait le lieu littéraire et narcissique par excellence, il installait dans l'île l'écrivain occidental, sa culture et sa bibliothèque.
Le romancier, parprocuration, encombrait le roman de ses propres méditations.
Une telle autobiographie aurait lassé le public enfantin et fait perdre au texte sa vertu première:apparaître comme un lieu vital, poétique, double immédiat de Speranza, et non comme la scène d'une aventure cérébrale.
D'autre part, des épisodes nouveaux apparaissent dans la deuxième partie de Vendredi ou la Vie Sauvage.
Ils développent les inventions de Vendredi comme lesinventions culinaires, la cuisson à l'argile, la broche à œuf (p.95-97) les jeux poétiques (p1086-110), l'usage de la poudre pour transformer les arbres morts en grandscandélabres de feu (p.107).
L'épisode des perroquets met en valeur la vertu du silence et de la sagesse de Vendredi.
(p.112-114).Vendredi ou la Vie Sauvage se veut provocateur sur les jeux fondamentaux : on y invente le théâtre, la poésie, le silence et le langage des mains.Mais également, un nouveau personnage apparaît, la petite chèvre Anda que Vendredi recueille et soigne, dont il tombe amoureux, pour qui il affronte en duel le boucAndoar, avec qui enfin il s'évade au terme du roman...Ainsi, le champ de la subjectivité et de la démarche intellectuelle se rétrécit, tandis que s'élargit, avec la chèvre de Vendredi, celui de la nature et de l'amour.Cette chèvre figure dans les bras de Vendredi une image parfaitement sensuelle de l'amour:
"Vendredi et Anda étaient inséparables.
La nuit, Vendredi se couvrait de la fourrure chaude et vivante d'Anda, étendue sur lui.
Le jour, elle ne le quittait pas d'unmètre.
»
« Tu verras, disait-il à Robinson.
Plus tard, quand elle aura du lait, je ne la trairai pas, comme nous faisions autrefois, non I Je la téterai directement, comme unepetite maman.
»
Ce rêve de chaleur, cette expression d'une bienheureuse satisfaction, de l'ordre de la sexualité pré-génitale, comblent les plus secrets désirs de l'enfant.
Ici l'écritureest don, pure offrande de douceurs rêvées.
Dans La vie sauvage, la sensualité même est tendresse.
C'est là une autre définition de la netteté de ce livre: les grandsépisodes symboliques des Limbes (la grotte, la souille, le combat de Vendredi et d'Andoar...) y sont préservées et gagnent une simplicité, une évidence, semblables acelles des anciens mythes.
Dans ces images vient s'investir sans retenue toute la sensibilité de l'enfance.
La réflexion philosophique est donc supprimée au bénéfice de l'action.
Disparaissent également les citations de la Bible, l'épisode des mandragores, de Quillai, de lacombe rose.On peut penser que ces suppressions sont un appauvrissement du texte.
Mais Michel Tournier explique en fait que la sexualité par exemple n'a pas disparu mais aévolué dans Vendredi ou la Vie Sauvage.
Il dit : « la sexualité diffuse de ce roman ne saurait relever de la sexualité génitale ».Quant à la philosophie, elle est présente mais cachée.
Selon Tournier, c'est une erreur de l'étaler comme dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique.
De plus, il y a des substitutions.Lorsque les épisodes sont identiques, la disposition des chapitres courts de deux ou trois pages donne plus de relief aux actes de Vendredi.
Ainsi, La Vie Sauvagereprésente à peu près un quart des Limbes du Pacifique, ce qui permet à chaque détail, chaque évènement d'acquérir quatre fois plus d'importance.
Mais parfois, les évènements sont totalement modifiés.
Ainsi le bouc Andoar est combattu et tué par Vendredi parce qu'il veut lui enlever Anda.
L'aspect symboliqued'Andoar, le double terrestre de Robinson, est tué comme tel puis disparaît.
Le cerf-volant formé avec la peau du bouc a ici un but ludique et pratique : c'est la pêcheau cerf-volant qui est encore pratiquée dans les îles de l'archipel Salomon.
Le caractère de Robinson change et se diversifie dans les trois romans : Robinson Crusoé de Defoe, Vendredi ou les Limbes du Pacifique et Vendredi ou la VieSauvage de Tournier.
Ce qui se voit beaucoup à l'arrivée de Vendredi.
Le Robinson de la Vie Sauvage n'envisage pas un instant de tué Vendredi.
Il va de soi qu'il doit protéger cette victime.
Le Robinson des Limbes du Pacifique, aucontraire, ne songe qu'à sa propre sécurité et cherche à satisfaire les poursuivants pour les écarter de son domaine.
C'est par hasard qu'il sauve Vendredi qui est unintrus dont la présence l'importune.
Selon Genette, une censure morale amène Tournier à effacer « l'intention égoïste du Robinson des Limbes ».
C'est peut-être aussile jeu des inversions auquel il se livre.
Mais Robinson de la Vie Sauvage ne rejoint pas pour autant le Robinson de Defoe qui agissait, lui, par intérêt, pour s'acquérirun serviteur et non sous une impulsion de générosité.
Le Robinson de la Vie Sauvage pense et agit en même temps.
Il est entier à l'instant présent, il devient un êtreprimaire, un homme du présent.
Les deux Vendredi de Tournier sont deux versions déviées de la version initiale de Defoe.
c'est l'image proche du dérapage de Lévi-Strauss quand il parle des sériesde variantes qui constitue le mythe.
En quoi peut-on parler l'accomplissement de l'être sauvage?
Débarrassé des atours de la rhétorique, rendu à sa nudité première, le texte destiné aux enfants est bien un texte sauvage.
Il est aux Limbes du Pacifique ce queVendredi est à Robinson, ou ce que le Crusoé accompli est au naufrage débutant càd la réécriture a valeur initiatique.
Le récit désaffublé extrait le mythe des limbesdu roman.
C'est pourquoi l'aventure de Robinson pourrait être lue comme celle du romancier même: d'abord jeté par quelque impérieux destin sur cette île errante qu'est la pageblanche, il commence par y entasser une quantité de matériaux hétéroclites afin d'organiser au mieux sa subsistance en établissant sur ceux-ci une parodie de pouvoir;puis, de l'édifice chancelant et complexe du roman naît par explosion le pur monument du récit.Sous la pression des divers imaginaires qui s'y entassent, les limbes éclatent, pour libérer dans l'épure du récit la vraie vie sauvage, la vérité toute neuve de lanarration et des images.L'initiation romanesque conduit donc à un accomplissement à la fois esthétique et moral, puisque le texte enfantin accède à sa véritable nature au terme de cettedécisive métamorphose.Un détail, si on le caricature, illustre cet aboutissement: à la fin de La vie sauvage, le jeune mousse Jean Neljpaev -qui partagera désormais l'existence de Robinson,n'est plus baptisé "Jeudi", mais "Dimanche" par celui-ci, comme si la création de ce monde imaginaire qu'est Speranza était cette fois pour de bon achevée, laissantenfin la place à ce moment de jubilation et de repos qu'est la lecture; le romancier s'étant assujetti lui-même par amour à un royaume dont les enfants seraient lesprinces.
Ainsi, Robinson sent la vie et la joie qui entre en lui et le regonfle.
Vendredi lui a enseigné la vie sauvage, puis il est parti.
Mais Robinson n'est pas seul.
Ilavait maintenant ce petit frère dont les cheveux ( aussi rouges que les siens ) commence à flamboyer au soleil.
Ils inventent de nouveaux jeux, de nouvelles aventures,de nouvelles victoires.
Une vie toute neuve va commencer, aussi belle que l'île qui s'éveille dans la brume à leurs pieds.
Ce point ultime, et quasiment religieux, de la double réécriture des aventures de Robinson, marque l'accession définitive à l'enfance comme apaisement, retrouvaillesavec l'origine, manière de vivre et d'être en posant le pied légèrement sur la terre.
Robinson, après avoir été le héros de la solitude, voit enfin disparaître le temps, etl'espace qui s'ouvre devant lui comme les horizons d'un commencement perpétuel.
La vie sauvage offre ainsi, au moment de conclure, une parfaite illustration dumythe du bon sauvage par une perfection du re-commencement « Sauvage » et « enfance » doivent être entendus dès lors comme des termes a peu près synonymes.
Speranza est elle-même comme une enfance de la terre, une.
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