Explication linéaire A la Musique Arthur Rimbaud, Poésies, 1870-1871
Publié le 22/08/2024
Extrait du document
«
A la musique
Place de la Gare, à Charleville.
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.
– L’orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.
Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînant leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;
Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : » En somme !… »
Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d’où le tabac par brins
Déborde – vous savez, c’est de la contrebande ; –
Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…
– Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.
Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.
J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…
– Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
– Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…
Arthur Rimbaud, Poésies, 1870-1871
Explication linéaire « A la musique »
INTRO : Arthur Rimbaud incarne comme aucun autre l’idée de rébellion contre l’ordre établi.
Il rêve de liberté, pas de guerre et de compromis bourgeois : il veut renouveler la poésie et le
langage.
Cela, il ne peut pas le faire à Charleville.
Aussi, l’histoire d’Arthur Rimbaud devientelle celle d’une fulgurance, d’un cri de révolte, et d’une fuite constante.
Le jeune homme
rejette fermement le conflit Franco-Prussien qu’il sent naître au début de l’année 1870 ainsi
que la bourgeoisie de sa ville, qu’il déteste car elle ne voit pas l’arrivée du danger.
Situation du poème : Cette scène d’apparence plutôt banale qu’il raconte dans “À la
musique”, un concert un jeudi soir sur la place publique de Charleville, cristallise en fait sa
critique d’une bourgeoisie cupide et satisfaite de sa médiocrité et d’une musique militaire qui
commence à résonner un peu trop fort à son goût.
Le poème « À la musique » se trouve dans
la première partie du premier recueil d’Arthur Rimbaud : Cahier de douai.
Ce recueil dont
Rimbaud écrit les poèmes à l’occasion de ses fugues en 1870 ne sera publié qu’après sa mort,
en 1919.
Dans “À la musique”, Arthur Rimbaud dresse une critique acerbe de la bourgeoisie
carolopolitaine (de Charleville).
Il s’oppose à ces personnages détestables qu’il dépeint à la
fin du poème : lui s’intéresse aux femmes, à l’amour, à la sensualité, surtout pas à la guerre.
PBQ : Pour guider notre explication du poème, nous nous demanderons comment Rimbaud
critique la bourgeoisie et l’armée tout en donnant une définition du poète.
Plan :
Premier mouvement : strophe 1 ; tableau d’une société bien ordonnée.
Deuxième mouvement : strophes 2 à 6 ; critique de la bourgeoisie
Deuxième mouvement, strophes 7,8 et 9, le poète en marge de cette société
Premier mouvement : une société bien ordonnée
-
-
Une seule phrase constitue ce quatrain en alexandrins et en rimes embrassées (les
autres strophes sont constituées de rimes croisées)
cadre spatial très précis d’abord par l’en-tête « Place de la gare, Charleville » +
nombreux CCL v.
1-2 mais nature sous contrôle de l’homme « taillée », « mesquines
pelouses »+ « correct » > termes péjoratifs car ce décor n’a finalement rien de naturel.
Personnification des pelouses qui renvoie au caractère mesquin des bourgeois évoqués
par la suite
« la place » : article défini (lieu important de la ville)
Puis mise en place des personnages : « les bourgeois ».
Portrait péjoratif et critique ;
emploi de l’hyperbole « tous » > tableau de mœurs.
Les individus sont moqués par le
poète : ils sont “poussifs”, et en surpoids, car la “chaleur” les “étrangle”.
le verbe “portent” au vers 4 est conjugué au présent, temps utilisé ici pour sa valeur
itérative.
Le poète se moque de l’unique activité à laquelle les bourgeois de
Charleville se rendent chaque semaine, tous “les jeudis soirs” : le concert sur la place.
-
L’hypallage “bêtises jalouses” (la jalousie devrait qualifier les bourgeois, pas la bêtise)
montre que ces personnages sont si stupides aux yeux du poète qu’ils se confondent
avec leur bêtise, tant elle fait partie d’eux.
2ème mouvement : critique de la bourgeoisie
2ème et 3ème strophes :
-
2ème critique du poète, l’armée (CL « schakos », « fifres ») + CCL « au milieu du
jardin » (là encore, le décor n’est pas naturel ; présence de l’homme)
Puis énumération des bourgeois présents à la parade tous qualifiés par des termes
péjoratifs et ironiques « gandin », « breloques à chiffres », métaphore comique qui
montre le mépris du poète ;
Tableau hiérarchisé : les « rentiers » sont les premiers : ils n’ont pas besoin de
travailler pour avoir du revenu, ils sont oisifs.
Ils sont présentés comme d’odieux
personnages qui ne savent se mettre en avant qu’en rabaissant les autres.
En effet, ils
“soulignent tous les couacs de l’orchestre” (ils font remarquer chaque fausse note).
Ensuite, la synecdoque les « bureaux » désignent les employés, accompagnés de
leurs dames et de leurs domestiques.
Ils sont uniquement désignés par leur
travail comme s’ils n’avaient aucune valeur en dehors de cela.
Ensuite viennent
les « épiciers » qui sont en club et retraités.
Le « bourgeois à boutons clairs » est
relégué au dernier rang, il exerce une activité malhonnête « c’est de la
contrebande ».
Cela explique sa proximité avec les « voyous ».
Les pioupious
(simples soldats) et les « bonnes » encadrent cette bonne société.
Points de
suspension v.
24 : longue énumération qui n’est pas finie.
-
-
⇨ L’ordre social est extrêmement rigide.
De plus, dans ce vers, puis par la suite, Rimbaud se moque du surpoids de la
bourgeoisie : “gros” ; “bouffis” ; “grosses” ; puis “épatant” ; “rondeurs” ; “bedaine”.
D’ailleurs les grosses dames sont comparées à des cornacs, des conducteurs
d’éléphants (là encore critique acerbe).
La diérèse placée sur l’adjectif « offi/ci/eux »
renforce la critique et la caricature de ces bourgeoises.
Tout « déborde » v.
20, même
le tabac.
Les volants des robes des dames qui accompagnent les bourgeoises ont des airs de
réclame (publicité) v.
12, Rimbaud souligne la vulgarité de ces femmes qu’il observe
sur la place.
4ème strophe :
-
Rimbaud revient rapidement sur un thème abordé au début du poème : celui de la
nature dénaturée par l’homme.
En effet, le vert, normalement celui de l’herbe et des
arbres, est maintenant celui....
»
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